lea Mulligan ~ il y a un faux-contact dans le regard.

« En Australie ? Tu es sérieuse ?" S’exclama Andy, la meilleure amie de Lea, jeune fille pétillante, mais qui n’avait pas en elle la moindre envie de quitter l’État qui l’avait vu naître. À 22 ans, elle rêvait d’être institutrice primaire, de trouver un bon mari et un bon emploi. Elle s’imaginait avec une ribambelle d’enfants rien qu’à elle et comprenait donc très mal le besoin incessant de Lea de découvrir le monde. “Oui. L’Australie. Il cherche une monitrice dans une colonie de vacances. C’est une occasion rêvée.” L’interlocutrice de Lea déglutit péniblement. Elle ne voyait pas ce qu’il y avait de si passionnant dans cette aventure. »Et tes parents ? Ils sont d’accord ? » Évidemment. En soi, la question était inutile. Elle savait qu’ils encourageaient leur fille unique à vivre ses rêves jusqu’au bout. Le papa de Lea, ingénieur talentueux, refusa un post bien payé et à haute responsabilité dans une multinationale réputée, afin d’aider à la construire de dispensaire dans les pays du tiers-monde. Il travaillait pour une ONG. Gagnait sa vie modestement. Il se sentait néanmoins utile et ça lui convenait. Sa mère, quant à elle, dirigeait avec brio et poigne un foyer pour femmes battues. Elles les aidaient dans leur démarche, leur trouvaient du travail, appuyaient leur plainte pour leur sécurité et si c’était nécessaire, s’arrangeait pour que ces victimes de brutes ne quittent le pays. C’était des gens altruistes et dévoués à l’être humain. Leur loyauté n’avait pas de limite et ils encourageaient vivement leur unique petite fille à croquer la vie à pleines dents, sans se poser de soucis, persuadé qu’une fois qu’elle aurait acquis assez d’indépendance, elle serait comme eux, elle dépenserait son énergie à venir en aide au moins chanceux. Elle parlait d’être médecin et de s’engager chez médecin sans frontière. Ils étaient fiers d’elle. Elle était polie et n’avait jamais causé le moindre souci à sa famille. Ce voyage en Australie, pour eux, c’était le début de quelque chose. « Ils sont enchantés. Ils m’ont même payé mon billet d’avion. Je ne devrai pas puiser dans mes économies. Je suis tellement contente d’être tombée sur ce boulot. » Tellement, qu’elle sautillait sur place. « Tu te rends compte ? Je vais voir des paysages nouveaux, découvrir des façons de vivre différentes, rencontrer des gens… » « Que tu ne reverras jamais. » cracha Andy sans jalousie, mais avec de la crainte dans la voix. Elle avait peur qu’un jour, Lea l’oublie au cours de ses pérégrinations, car elle le savait, c’était la première d’une longue série. « Ce n’est pas forcément vrai. C’est une question de volonté et avec les moyens actuels, on pourrait avoir des amis au Japon si on veut. Ou en Europe. J’aimerais tellement voir la France un jour. » Andy ne comprenait pas. Elle ne saisirait jamais ce qu’elle considérait comme des lubies. Pour elle, tous ces voyages étaient vains. Lea envisageait les choses différemment. Elle était persuadée qu’un jour, les cartes de Noël qu’elle signerait de sa plus belle écriture quitteraient l’Amérique pour les quatre coins du monde et elle ne croyait pas si bien dire et penser.

Quand elle croisa le regard de Zeke, quand elle lui adressa son premier sourire, elle ne s'était pas attendue à susciter chez lui le moindre intérêt. D'ailleurs, quand il l’accosta, elle présuma qu’il cherchait à coucher avec elle. Simplement. L’ambiance s’y prêtait. Le feu de camp, les guimauves, un moniteur, guitare à la main pour faire chanter les mêmes. C’était assez romantique pour faire flancher n’importe quelle jeune fille de petites vertus. Lea, elle n’était pas de ce genre-là. La condition, pour qu’elle se donne, c’est le frisson, le grand. Pourtant, il fallait l’admettre. Ce gars avait un physique à faire tomber toutes les filles. IL devait s’en donner à cœur joie avec les petites saisonnières. Elle pouvait bien se méfier, mais pas longtemps. Il y avait de la bonté dans le regarde de Zeke et de la douceur dans ses gestes. Il embrassa le dos de sa main et Lea considéra qu’il était différent, fatalement, à mille lieues des hommes qu’elle rencontra jusque là. Sa sincérité envahissait leur échange et elle tomba sous le charme de sa galanterie et de sa bonhomie. Ce fut certainement l’été le plus intense en sentiment qu’elle vécut tout au long de sa courte vie et, au moment de se dire au revoir, elle sut qu’elle lui cédait un pan entier de son cœur. Rien ne fut plus pénible que ses adieux. Ils se jurèrent de ne jamais perdre le contact et elle s’y employa durant toutes ces années, redoutant le jour où il l’oublierait. Ça devait arriver. Elle-même rencontra d’autres hommes au cours de ses voyages. Médecin reconnu pour son engagement dans des projets au profit des plus démunis et pour ses interventions dans les bidonvilles du Caire ou d’ailleurs, elle crut tomber amoureuse ou chercha à oublier ce que beaucoup considérait comme un amour d’été, un passage, une amourette sans importance. Ça ne fut jamais très probant. Alors, quand on diagnostiqua à son père une maladie de Parkinson, elle se dit qu’il était peut-être temps pour elle de se poser quelque part. En Australie, pour le moment, parce qu’il y a des pages qui doivent se tourner si on veut avancer. Peu importe la suivante, il faut se lancer.

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