je suis le spleen, et toi l'idéal ϟ zephyros

(TORNADO) Petit gamin qui tient pas en place, débordant d’énergie, un sourire collé au visage en permanence. Une aversion pour les règles déjà bien prononcée alors que je balbutiais à peine trois mots. « Faut pas toucher, Zephy, c’est pas encore prêt. » Plus rapide que l’éclair, un doigt dans la compote. Juste pour contrarier, juste parce que c’est drôle de faire l’inverse de ce qu’on me dit. Papa et Maman qui tentent tant bien que mal de me canaliser, mais ils sont vite dépassés par la petite tornade. Alors Maman, un jour, elle dit qu’elle s’en va. Elle dit qu’elle est fatiguée, qu’elle est au bord de la crise de nerfs. Elle dit qu’elle me supporte plus. Elle a mis ses vêtements dans un grand sac marron, et puis la porte s’est refermée. Et j’avais plus de maman. Et j’ai pleuré, encore et encore. Je l’ai attendue. Jusqu’à ce que mon petit corps s’endorme sur les genoux de papa. Quand j’ai demandé à papa pourquoi elle était partie, il m’a dit qu’elle était bête et que je devais pas me tracasser pour ça. Qu’on s’en sortirait tous les deux. Qu’on avait pas besoin d’elle. Mais moi je savais que c’était ma faute et qu’elle m’aimait pas.


(BROKEN PIECES) Je grandis, je m’endurcis. Et j’aime de moins en moins les règles. Mais papa s’est bien occupé de moi. C’est un bon père, il m’a toujours fait passer avant le reste. On a trouvé un équilibre rien que tous les deux. Les dimanches devant la télé en pyjama, à manger des céréales sur le canapé. Les croque-monsieur le vendredi soir. Et les nuits sous la tente au fond du jardin, à se perdre dans la nébuleuse d’Orion. Je pense à maman des fois, mais ça rend mon coeur tout lourd, alors je sors ma guitare et je laisse mes doigts effleurer les cordes, remplir le vide avec des notes. Puis papa a commencé à m’emmener dans son garage, m’a fait découvrir sa bulle, l’univers de la mécanique. J’ai plongé dedans tête la première. J’aurais pu m’y noyer. J’ai grandi, je tiens toujours pas en place. J’enchaîne les conneries. Je joue avec le feu en équilibre sur mon skateboard. Petite tornade est devenu un ouragan. Et ça toque à la porte. Revoilà maman avec son grand sac marron. Je suis plus un gamin, j’ai conscience des choses. Je t’en veux d’être partie sans te retourner. De pas avoir donné signe de vie. Mais t’es revenue, alors je pensais que t’allais réparer les choses. Je t’ai laissé ta chance. Je pensais pas que t’allais tout faire voler en éclats. Et mon coeur avec. Pour la deuxième fois.


(FLY AWAY) T’as déconné, maman. T’as vraiment déconné. T’es revenue, et tout a changé. Fini les céréales sur le canapé et le camping au fond du jardin. Mais ça a pas duré. « Qu’est-ce que tu fous, Zeph ? Ca va pas la tête ! Qu’est-ce que ça foutait au fond de ta poche ? » Je revends de la drogue pour payer un beau cadeau pour l’anniversaire de papa. Celui que t’as zappé ces dernières années. Mais tu fais que de me gueuler dessus. Tout le temps. Tu m’énerves, tu me sors par les yeux. Et les yeux de papa, eux, ils brillent plus comme avant depuis que t’es là. Et puis toi et ton foutu sac marron, vous êtes repartis. J’ai pas pleuré. J’ai pas souris non plus. « J’le supporte plus ton fils ! C’est plus possible ! » Parce que je suis son fils à lui, pas le tien. Bousillé, mon petit coeur déjà fêlé. Désenchanté. Et on s’est retrouvés que tous les deux papa et moi, encore une fois. Sauf que cette fois, il a pas dit que c’était pas grave, que t’étais bête. Il a dit qu’il te détestait et qu’on allait sortir de ta vie pour de bon. Sans prévenir, on a pris un aller simple pour Welllington. Loin de tes crochets de vipère. Loin de ton putain de venin qui parasite nos astres.


(FUCKING HURRICANE) Veste en cuir sur le dos, de l’encre sous l’épiderme. Les ténèbres dans le regard. De quoi aspirer les âmes. De quoi les faire toutes flamber, vos putains d’âmes souillées. Je danse avec l’illégalité, fais des courbettes à la loi. Je rends les nanas dingues de moi, puis je me casse et je me retourne pas. J’ai pas de pitié, que de la rage à distribuer. La haine pure et dure, un diamant noir, affûté comme un rasoir. L’ouragan qui fait trembler la ville, qui fait éclater les coeurs. L’ouragan qui se nourrit de cette colère qui gronde en permanence à l’intérieur. Zephyros l’incontrôlable. Electron libre, indomptable. L’âme sibylline, le palpitant d’acier sauvage. La couronne sous mes pectoraux. Le majeur dressé contre vos idéaux. Je suis l’amant de la lune, le fils de la nuit. J’embrasse l’obscurité chaque soir et je baise le destin en flirtant avec les étoiles. Cagoulé, armé, un mot de travers et vous tombez. La bouche pleine d’amertume parce que conscient que l’amour tue. Je sème le chaos, un sourire sur le coin des lèvres. Je déverse l’essence, craque l’allumette et je regarde le monde brûler. Je suis le plus beau des cauchemars, un Adonis en pacte avec Lucifer. L’Apollon de la terreur, les fleurs du mal.

Et je veux pas te faire de mal, papa. J’ai juste besoin d’évacuer. Avant d’imploser. Faut pas t’en faire pour moi, je m’en sortirai. Je te protégerai. Je la laisserai plus t’approcher.


(BEAUTIFUL TRAUMA) Et toi. Toi, t’as débarqué sans crier gare, t’as bouleversé mon existence. T’étais ma muse, l’inspiration à mon âme. Tu venais d’un autre monde, t’étais pas de mon univers. T’étais la Belle, j’étais la Bête, le Clochard ou presque. J’étais le prince des rues, le roi des ténèbres. Et toi, souveraine de cristal, de ces étendues glacées où naissent les aurores boréales. C’est ça, que tu faisais. Tu donnais à ma vie toutes ses couleurs. Des éclaboussures de peinture sur la toile monochrome. Je m’y suis jeté à corps perdu, à 300km/h sur l’autoroute de l’amour. Tu me faisais confiance, tu me suivais partout où j’allais, coûte que coûte. T’avais pas froid aux yeux, et dans tes prunelles, j’ai vu cette étincelle que j’avais jamais vu ailleurs. L’admiration. J’aurais pu crever pour toi. Je te protégeais comme le plus précieux des trésors. T’étais mon tout, mon amie, mon amante, mon acolyte. Une relation aussi pure qu’un diamant brut. T’étais ma Bonnie, j’étais ton Clyde. Parce qu’on fendait l’air dans nos blousons en cuir, les mains solidement liées. Parce que tu riais, cheveux au vent à l’arrière de ma moto. Ces éclats de rire qui se sont fissurés, fracassés. L’ouragan qui a tout emporté. T’es partie aussi vite que t’es arrivée. On les a oubliées, nos promesses dopées au bonheur. A cracher notre venin, à se tuer des yeux. On s’est arraché le coeur. Ultraviolence.


(BANG BANG) Je m’enfonce dans le vice, je fais péter les scores. Je suis l’aigle qui règne en maître sur le monde d’en-bas. Et tout bascule. Un règlement de compte avec des sales types qui a mal tourné. Et t’étais là, Stan. T’avais toi aussi participé à ce putain de deal qui posait problème à ces connards. Le ton monte, la rage grimpe. Bordel sans nom, des insultes, ça en vient aux mains. Un coup de sang, ça sort les flingues. Je perds le mien, le type le récupère. Bang. Il est assourdissant, le bruit qui claque à mes oreilles. Et pendant un moment, j’ai cru que c’était moi qui étais touché. Mais c’est son acolyte qui tombe, en même temps que mon flingue. L’incompréhension qui me prend au bide. Mes pupilles dilatées, vides. Comme le corps qui gît sur le bitume, encerclé par un irrégulier halo vermeil.


(TAKE THE FALL) T’étais chargé de faire disparaître mon flingue et ces foutues empreintes, Stan. T’as dit que t’avais tout prévu, que j’avais pas de soucis à me faire. T’étais mon meilleur pote, je te faisais confiance, évidemment. Je me suis planté, assurément. Quelques jours qui passent, l’affaire qui se tasse. Toc toc. Il est tôt, je me réveille à peine. Les flics ? C’est quoi ce bordel ? Gling gling. Les poings liés par de jolis bracelets argentés. Et c’est toi qui leur as filé ce putain de revolver, Stan ! C’est toi qui m’as fait tomber. Tomber comme le flingue, comme le corps de ce type. Tomber comme la sentence qui m’assomme. Quinze ans. J’ai pris quinze ans. J’ai cherché ton regard au tribunal. Je l’ai pas trouvé.


(LOCKED UP) Des murs. Y’a que des murs ici. Partout. Même dehors. Une vitre sur la porte de ma cellule qui donne sur le couloir de la folie. Une autre avec des barreaux qui donne sur le néant de la cour d’entrée. Un lit, des draps rêches. Des chiottes, un lavabo, un bureau fixé au mur. Des étagères. Baudelaire, Shakespeare, Choderlos de Laclos. Un feutre. Des feuilles blanches. Des vers en vrac. Des gribouillis un peu brouillon. La bouffe est dégueulasse. Infâme. Y’a des gens pas fréquentables. Des gens malsains. Des gens qui tournent en rond comme des poissons dans un bocal. Puis y’a moi. Zep. Zep, pas Zephyros. Parce qu’on se foutrait de ma gueule et que je finirais en tas de viande. Zep, ma nouvelle identité. Trois lettres. Presque rien. Parce que la vie tient qu’à un fil entre ces putains de murs. Elle s’échappe sans crier gare. Comme ce mec qui s’est tapé la tête contre la porte de sa cellule jusqu’à ce qu’elle éclate. Comme ce type qui s’est fait égorger dans le réfectoire. Tout est éphémère dans notre interminable routine. C’est l’équilibre instable qui régit la taule. La loi du plus malin. Pas celle du plus fort. Faut pas avoir d’amis, mais pas d’ennemis non plus. Faut savoir faire les bonnes alliances et éviter les balles perdues. Y’a jamais le silence ici. Jamais. Même quand tout le monde dort, y’a des cris tout droit venus des Enfers qui éclatent la nuit. Des hurlements de cinglés. Parce qu’on pourrait perdre la tête dans ce trou à rats.


(BREAK THE CHAINS) Trois cent quatre-vingt-neuf jours. C’est ce qui s’est écoulé très exactement dans ma fragile clepsydre carmin entre ces murs. Trois cent quatre-vingt-neuf jours où j’ai arrêté de vivre. Où j’ai fait que survivre. Puis y’a eu cette sortie au tribunal. Une bouffée d’air frais tourbillonnante. Angoissante. Un monde désormais trop grand pour moi. Et la vidéo. Putain cette vidéo que tout le monde pensait inexploitable. Cette vidéo que mon avocat a déterrée pour me sortir de là. Il a remué ciel et terre. Pour qu’enfin, on distingue mon profil pixelisé, quelques secondes. Quelques précieuses secondes qui s’égrainent devant la cour. Signent enfin ma liberté alors que j’espérais plus rien. Un mois. Un mois que je respire à nouveau l’air pur de Wellington. Un mois que le monde me paraît démesurément grand. Relâché sans crier gare. Relâché comme le loup sauvage resté trop longtemps en captivité. J’ai du mal à retrouver mes marques, à me créer un quotidien libéré du conditionnement carcéral. Du mal à agir avec les gens. L’impression d’être constamment jugé. Constamment sur mes gardes aussi. A l’affût du moindre bruit. On perd pas ses vieux réflexes facilement. Une année entière enfermé, isolé du reste de l’univers. Une année qu’on ma volé, qui m’a filé entre les doigts. Et ces questions qui me chamboulent toujours, nuit et jour. Pourquoi t’as fait ça, Stan ? Y’a cette colère qui gronde en moi quand j’imagine tes traits dans ma tête. Cette rage de vivre qui hurle à la lune. J’ai été sauvé par un mec que je connaissais de nulle part, et qui s’est tué à la tâche parce qu’il croyait en moi. Alors que toi, t’as précipité mon corps dans les abysses des Enfers. J’vais te retrouver, Stan. Tu vas pas t’en sortir si facilement. J’vais te retrouver, et tu vas payer, enfoiré.