All that I am
Elle adore la pluie. L'odeur qu'elle laisse sur le bitume, le bruit qu'elle fait lorsqu'elle tape sur les carreaux. Son regard suit les gouttelettes sur la vitre, imaginant qu'elles sont dans une sorte de course. Un sourire se dessine sur son visage. Elle observe sa voisine tirée par son énorme chien tout content d'être trempé, sa capuche s'envole et elle lit le désespoir qui s'imprime immédiatement sur son visage. Lucy lui adresse un signe de la main, accompagné d'un large sourire, celui qu'elle sert si facilement. Puis, elle tire les rideaux et rejoint la cuisine. Les poings contre les hanches, elle fixe avec dégoût l'énorme tas de vaisselle entassée. C'était censé être son jour de repos pourtant, elle a passé la journée à laver et à repasser du linge. Ce n'est clairement pas la vie dont elle avait rêvée. Soufflant, elle se met à pester contre elle-même tout en attrapant l'éponge. Elle aurait mieux fait de partir. Quitter cet endroit miteux dès qu'elle en avait eu l'occasion. Puis, son regard se pose sur le frigo et sur les photos de sa famille qui y sont disposées et elle se souvient pourquoi elle est restée.
Violent amour pour les siens qui lui tiraille l'estomac. Responsabilités qui ne cessent d'augmenter pour subvenir à leurs besoins. Lucy ne peut laisser tomber, pourtant toute sa vie est basée par rapport à eux. Son existence correspond avec leurs exigences. Elle les aime terriblement, mais aimerait pouvoir s'en détacher, pouvoir vivre sa propre vie. Faire des erreurs, tombée amoureuse, sortir avec des amis sans se soucier de ceux qui l'attendent à la maison. Plongée dans ses pensées, la vaisselle diminue rapidement. Lucy dépose la dernière assiette sur le bord de l'évier quand la sonnette retentit.
Enlevant son tablier, elle se précipite vers la porte s'attendant à voir Aileen à travers le judas. Sa meilleure amie est l'une des rares à connaître son adresse et à être rentrée quelques fois chez elle. Elle n'a pas eu le choix, cela devenait trop compliqué à éviter. Approchant son oeil de l'ouverture, elle fait brusquement un pas en arrière. Ce n'est pas Aileen, ni son père, ni l'un de ses cadets rentré plus tôt que prévu, c'est sa mère. Aucun doute. La chevelure blonde, les grands yeux bleus qui inspire la pitié et des lèvres pulpeuses étirées en un sourire désolé. Lucy pose une main sur sa poitrine, sa respiration s'est emballée, les battements de son coeur aussi.
Quinze ans. Ça fait quinze ans qu’elle ne l’a pas revu. Quinze ans sans visite, sans un coup de téléphone ou même une carte postale. Elle les a abandonné, les a laissé à la merci d’un père déjà absent. La sonnette retentit, à nouveau. Les larmes lui montent aux yeux, elle ne veut pas ouvrir, elle n’est pas prête. Emma frappe à la porte, Lucy sursaute. Elle bouche ses oreilles à l’aide de ses paumes et se recroqueville derrière la porte attendant qu’elle parte, priant pour qu’aucun Andrews ne la croise en revenant à la maison.
All that I ever was
Elle n'a rien dit. Pas un mot. Elle attendu là que sa mère parte, espérant qu'elle quitte sa vie pour quinze nouvelles années. Puis, elle s'est relevée et a continué le ménage avant de commencer à préparer le repas, comme si de rien était. Le stress a envahi son estomac, pris place au sein de son ventre et ne va décidément pas la quitter.
Le réveil du lendemain est compliqué. Hésitante, elle se demande si elle n'a pas simplement rêvé. Ça aurait été tellement plus simple. Elle a pris la décision de ne parler de cet épisode à personne. Sa famille n'a pas besoin d'être au courant, pas maintenant. Et si Emma veut réellement les voir, elle n'a qu'à se montrer plus persuasive, de toute manière, Lucy a fait son choix, elle ne veut pas lui adresser la parole. Pas après qu'elle les ai abandonnés sans se retourner.
Continuer sa vie. Faire comme "si", elle en a l'habitude. Au travail, personne n'a rien remarqué, même si dans son coeur la tristesse a fait sa place, s'est nichée dans un coin de sa poitrine. Immobile, derrière le comptoir, elle attend le prochain client, un sourire géant greffé sur le visage.