lucia ☽ fire on fire

La pluie battante sur les vitres teintées de la voiture, comme si le ciel pleurait la perte que Lucia portait dans son cœur, encore rongé à vif par la douleur. Elle s’attendait presque au beau temps, les oiseaux piaillant à travers le bruit des moteurs et de la ville. Elle aurait même préféré ce temps chaleureux à la place de la pluie morose et des nuages gris. Edward n’aimait pas la pluie, trop salissante et déprimante, alors que Lucia la trouvait enivrante et rafraichissante. Ils étaient contradictoires, allant des plus petits aspects de la vie à la résolution des problèmes existentielles. Edward avait tendance à affronter la vérité comme elle venait, faisant face aux conséquences. Quant à Lucia, elle trouvait d'abord une solution, elle amadouait les propos, les tournait en sa faveur, manipulait les conséquences pour en faire des avantages. Il aimait le sucré, elle, le salé. Il adorait aller à la mer et enfouir ses pieds dans le sable chaud, elle préférait l’air pur de la montagne et la froideur revigorante de la neige. Si contradictoires, et pourtant l’un ne pouvait se passer de l’autre, ils fonctionnaient ensemble, comme deux pièces d’un puzzle, deux engrenages d’une horloge. Fusionnel malgré les trois ans qui les séparaient.

Lucia avait toujours été fière de son petit frère. Il réussissait tout ce qu’il entreprenait dans la vie, il ne se laissait pas marcher dessus, il savait ce qu’il voulait et n’avait pas peur de courir après, tout en respectant son environnement et ses principes moraux bien ancrés. Même quand il a annoncé à sa famille qu’il allait rejoindre l’armée de l’air, elle était fière de lui. Elle n’avait pas saisi, à l’époque, l’importance et la gravité de sa décision. Elle était restée aveugle aux conséquences. Et elle a réussi à se voiler la face pendant quelques années. Les premières fois qu’Edward revenait à la maison, tout allait bien. Ils étaient heureux de le retrouver, il était content de rentrer. Et puis, il repartait. Certes, elle ne pouvait plus le contacter, et ça lui manquait de ne plus lui parler quotidiennement. Mais son travail et sa vie animée à New York la maintenait occupée jusqu’aux jours où il était de nouveau présent. Mais Edward ne resta pas longtemps le jeune homme plein d'énergie et de joie de vivre qu'il était. Il se mit à gueuler sur ses parents, à s'enfermer dans sa chambre, à aller plus souvent au bar, jusqu'à tard le soir. Lucia savait, au fond d’elle ; il n'était plus le même, un déclic avait changé quelque chose en lui. Alors elle commença à se questionner, à questionner le choix d’Edward. Peut-être n’avait-il pas fait la bonne décision après tout, peut-être n'y avait-il aucune raison d'être fière de son choix de carrière. Elle s'était toujours imaginée qu'il serait absent pendant quelques années, surement cinq ou six, puis qu'il reviendrait, reprendrait le cours normal de sa vie, trouverait un autre emploi, plus stable et calme.

Elle avait eu tord, et elle s’en mordait les doigts à présent. Elle s’en voulait d'avoir manipuler la vérité à son avantage, de l’avoir poussé à rejoindre l’armée, de l’avoir félicité pour son courage et sa bravoure. Et maintenant, il reposait dans un cercueil, en costume officiel, six pieds sous terre. Sa vision devenait floue, mais elle ne pleurait pas. Elle restait le visage impartial pendant que des personnes, vêtues de noir de la tête au pied, déposaient des fleurs sur le cercueil enterré. Une mère inconsolable à sa droite, un père inerte tel une statue à sa gauche, elle semblait être le pilier qui les maintenait de s’effondrer complétement et de rejoindre le défunt qui ne semblait être qu’un petit garçon rigolant de bonheur seulement quelques jours auparavant.

Mais son remord et la responsabilité de veiller sur ses parents lui pesaient sur les épaules, et plus les jours passaient, plus le fait de respirer devenait difficile et laborieux. L’offre de son entreprise tomba comme une opportunité d’échapper à l’air nauséabonde de sa famille. Elle n’hésita pas une seule seconde et s’envola pour la Nouvelle-Zélande. Sans un regard en arrière, sans une pensée pour sa famille, rester aux États-Unis, pleurant la mort d’Edward.