'Cause I'm gonna be free and I'm gonna be fine

001. Dylan, c'est une petite victime du système. Ses parents n'étaient pas amoureux, ils ne se connaissaient pas à vrai dire, mais ça ne leur a pas empêché de faire un môme. Dylan ne les a jamais connus, elle qui a passé ses premiers jours de vie dans un centre d'adoption. Elle ignore tout d'eux. Leur identité, leur histoire, la raison qui les a menés à la laisser à des inconnus... Pourtant, elle n'y a jamais prêté attention. Contrairement à d'autres enfants adoptés, elle n'a jamais posé la moindre question sur ses parents biologiques. Elle sait qu'elle ne pourra tirer les vers du nez de qui que ce soit, puis qu'est-ce que ça pourrait bien lui apporter de tout savoir ? Rien du tout. Elle restera toujours cette petite orpheline fouteuse de merde comme on a toujours aimé la définir.

002. Elle n'avait que quelques semaines de vie lorsqu'elle a trouvé une première famille d'accueil. Un couple aimant, stérile, dont elle a très peu de souvenirs. Ils s'occupaient d'elle comme de leur propre fille. C'était beau, c'était mignon, on pouvait déjà les imaginer former la plus belle des familles mais ça s'est terminé quelques mois plus tard lorsqu'on apprit leur séparation. La demoiselle fut jugée inapte à élever cette petite fille seule alors elle lui a été retirée, direction le centre d'adoption. Durant son enfance, elle fut accueillie par de nombreuses familles. Certaines étaient plus marquantes que d'autres mais en général, Dylan se souvient que ça se passait plutôt bien, au départ en tout cas. Elle ne se mettait jamais à l'aise puisqu'elle savait très bien que tout avait une fin. Parfois, on se débarrassait d'elle après deux semaines parce qu'elle "n'était pas comme on la voulait", parce qu'elle "était insolente", parce qu'elle frappait des camarades à l'école. Des petites broutilles qui l'aidaient à réaliser que personne ne voulait d'elle, au final. Et les raisons de ses expulsions s'amélioraient avec l'âge. À un tel point qu'après ses onze ans, elle n'a plus jamais reçue la moindre demande d'accueil. Elle est restée en centre d'adoption les cinq années qui ont suivies, seule, entourée de ces gosses qu'elle trouvait plus insupportables les uns que les autres.

003. Elle était impatiente d'avoir seize ans, Dylan. Pour certains, c'était un âge comme un autre, qu'une simple étape qui nous rapproche de la mort. Pour elle, c'est différent. Elle sait qu'à seize ans, on rentre quelque peu dans la vie adulte. On a la possibilité de passer le permis, de se trouver un travail, de demander son émancipation. C'est ce qu'elle a fait le jour de son anniversaire après en avoir beaucoup discuté avec des employés du foyer d'accueil. Ce fut une longue bataille et dure bataille. Elle a eu le droit à beaucoup de rendez-vous au tribunal, à beaucoup d'entretiens pour qu'on soit sûr de sa volonté et de sa maturité... et deux mois plus tard, elle était autonome. Elle a passé les six mois suivants chez l'une de ses anciennes copines de foyer, âgée de quelques années de plus, qui l'avait quitté quelques mois plus tard mais avec qui elle a gardé contact. Un petit appart douillet, un canapé rien que pour elle. C'était pas le luxe mais elle aidait Amelia à payer les factures en faisant des baby-sittings de droite à gauche, ne voulant absolument pas quitter les bancs du lycée. Elle y a passé six mois au total, six mois à prétendre avoir un style de vie stable entre babysitting, cours et dodo. Elle a quitté l'appart après une grande dispute avec son amie, un truc à la con qui a mise Dylan dans tous ses états. Caractère de merde, elle a quitté son nid douillet avec regret, a passé les deux nuits qui ont suivies au parc de la ville avant de trouver refuge au lycée dans l'une des ailes qui était toujours en rénovation. Les ouvriers n'y travaillaient que de jour, arrêtaient à 17h pour revenir à 7 heures le lendemain matin. Elle s'y installait tous les soirs après leur départ et s'assurait de se réveiller à chaque fois avant leur retour...

004. Le vol à l'étalage, le mensonge, le squattage. Elle le pratique depuis des années, elle ne se souvient plus quand elle a commencé et c'est peut-être un miracle si elle n'a pas de casier judiciaire. Un paquet de biscuit par-ci, une bouteille d'eau par-là. Parfois, elle se fait plaisir, elle se rend dans le magasin du coin pour voler ce parfum à cinquante dollars qu'elle a vu sur les affiches publicitaires de l'arrêt de bus en face du lycée. Parfois ça passe, parfois ça casse. Elle s'est déjà faite coincer, de nombreuses fois même. Et étrangement, elle a toujours réussi à s'en tirer. Soit en faisant les yeux doux au vendeur, en lui racontant sa (fausse) misérable vie. Elle dit qu'elle a un petit frère très malade à nourrir, que sa mère les a laissés seuls pour la drogue. Ça a souvent marché. Puis il y a eu des fois où les vendeurs ne voulaient rien entendre et décidaient d'appeler les flics. Là, elle prenait une grande inspiration et se mettait à courir comme jamais. Les cours d’athlétisme ont porté leurs fruits, on dirait. La dernière fois qu'elle s'est faite chopper, c'était il y a près d'un mois. Elle essayait de voler un paquet de sandwichs à l'épicerie du coin, on l'a prise la main dans le sac et on l'a menacée d'appeler les flics. Paniquée, elle a usé de ses charmes, elle s'est inventé un passé et une situation bien plus pourris que dans la réalité. On l'a autorisée à partir sans l'article, mais elle fit une rencontre tout à fait fortuite à la sortie du magasin. Thelma, une jeune femme qui semblait intéressée, qui voulait l'aider. Elle lui a donné son adresse et Dylan s'est tirée sans dire un mot. Deux semaines plus tard, elle se pointait à la porte de son appart avec un sac plein d'affaires et un petit sourire embarrassé. Elle avait décidé de troquer sa fierté en échange d'un bon toit et d'un lit bien douillet.

005. Dylan, elle aime s'amuser comme toutes les adolescentes de son âge. Elle aime se balader dans la rue jusqu'à pas d'heure, elle aime aller aux soirées organisées par ceux en dernière année. Elle y va souvent d'ailleurs, elle se fait des connaissances, on la conseille parfois sur ses prochains cours, on lui file un coup de main... et on lui propose aussi à boire, parfois à fumer. Tout ce qu'elle a déjà goûté, c'était de la bière et Dieu sait qu'elle déteste ça. Elle ne touche jamais à l'alcool, aux joints qu'on lui propose. Elle a beau être folle et aimer s'amuser, elle sait ce qui est nocif pour elle et ces deux objets le sont. Elle se limite aux cocktails sans alcool et au champagne. Le dance floor lui fait très souvent oublier qu'elle est la seule à ne pas boire une goutte d'alcool.

006. Elle a toujours aimé le sport. Elle n'a pas vraiment eu l'occasion d'en faire beaucoup lorsqu'elle était en foyer, mais ses établissements scolaires disposaient chacun d'un programme de sport qui lui permettait chaque année de pratiquer le sport qu'elle voulait gratuitement, à condition d'être motivée et de se montrer présente. En primaire, elle a choisi de pratiquer du foot et de la gymnastique. À son arrivée au collège, elle s'est lancée dans l’athlétisme qu'elle a pratiqué trois longues années avant de s'arrêter par manque de motivation. Ce qui l'a toujours intéressé, ce qui l'a toujours faite rêver Dylan, c'est la danse. La danse classique, plus précisément. On dit souvent que c'est le rêve de toutes les petites filles de devenir de jolies ballerines, et ce fut la vérité pour elle. Le tutu rose, les jolies pointes... Elle a toujours fantasmé sur les cours sans jamais réellement avoir les moyens d'en prendre. Tout le monde sait à quel point les cours de danse, ainsi que les accessoires sont très coûteux. Dylan a abandonné cette idée lorsqu'elle était plus jeune. Pourtant, la flamme semble s'être ravivée depuis quelques mois déjà, depuis qu'elle s'est mise à croiser de plus en plus souvent Sadie dans les rues de Wellington, vêtue de sa tenue de danse, sûrement sur le chemin de son studio de danse. Elle l'a croisée une fois, deux fois. À chaque fois, elle ne pouvait s'empêcher de la regarder, de lui échanger un petit sourire timide. Puis elle s'est mise à la suivre discrètement. Elle ne sait pas ce qui l'a poussée à faire ça. Sûrement la curiosité, peut-être la jalousie. Puis à chacun des cours de danse de cette dernière, elle la regarde discrètement à l'extérieur de la grande salle d'entrainement. Elle la regarde elle, cette jolie fille qu'elle a eu l'occasion d'embrasser un an plus tôt lors d'une innocente fête de lycée. C'était un jeu stupide mais un baiser qui a suffit à marquer la petite rebelle. Elle danse, Sadie. Elle prend son pied, elle se donne comme pas possible, et à chaque fois, Dylan en a le souffle coupé parce que Dieu sait qu'elle aimerait être là, à ses côtés pour pouvoir elle-aussi danser avec une telle souplesse, une telle légèreté et une jolie paire de pointes aux pieds. Mais c'est pas près d'arriver, pas avec le misérable salaire que lui offre ses shifts au Mc Donald's. Impossible de financer des cours et des accessoires.

007. C'est un secret pour personne, encore moins pour ses camarades de classe. Dylan n'est pas la première de la classe. Elle rend souvent ses devoirs en retard, il lui arrive de sécher quand elle n'a pas la motivation d'aller en cours. Pourtant, elle fait des efforts, bien plus qu'on ne le croit. Ses devoirs sont toujours rendus, et elle s'applique parfaitement et essaye très souvent de faire du mieux qu'elle peut. L'école, c'est important, encore plus pour elle qui aime penser qu'aller dans une école qui permettrait de lui trouver un beau métier pourrait la sauver de cette misérable situation dans laquelle elle se retrouve, sans un sous dans la poche. Qu'on se le dise, elle ne sait pas ce dans quoi elle va finir, elle ne sait pas quel secteur professionnel l'intéresse. Elle se dit qu'elle ira là où le vent la mènera.

008. Son orientation sexuelle n'a jamais été un sujet tabou pour elle. D'aussi loin qu'elle s'en souvienne, elle a toujours su qu'elle était bisexuelle avec une grande attirance pour les filles. Quand on lui pose la question, quand un garçon lui propose de sortir après les cours avec une intention très spécifique en tête, elle le dit sans tabou : il n'y a que les filles qui l'intéressent. Elle n'est sortie qu'avec une seule fille et quelques garçons dans sa vie mais ça ne se rapprochait en rien de relations sérieuses. Plutôt d'expériences adolescentes comme on en fait souvent. Le premier baiser, les premiers mots d'amour, le premier contact intime avec un garçon. Dylan regrette certaines choses plus que d'autres. Aujourd'hui, elle a la possibilité de se trouver des partenaires amoureux. Elle a le droit à certains flirts de garçons, de filles... mais ça ne l'intéresse pas. Pas pour l'instant, en tout cas.

009. Bien que sa situation ne soit pas la situation rêvée, elle a un smartphone comme tous ses camarades de classe. C'est pas le plus récent mais il lui permet de rester en contact avec la plupart de ses amis, de surfer sur le net et de télécharger de la musique... tout ça grâce à la wi-fi que lui offre les magasins et surtout le fast-food dans lequel elle bosse. Elle est très attirée par la technologie sans pour autant en être obsédée. Elle a un compte Snapchat, un compte Facebook, un compte Instagram mais elle se limite. Elle ne veut pas être de ces filles qui ne vivent qu'à travers un écran.

010. C'est une mauvaise chose, elle en est convaincue mais elle essaye de ne pas y penser. Elle ment, sans arrêt. À ses camarades de classe, à ses professeurs, à son patron. Elle s'invente une vie fictive et personne n'est réellement au courant de sa situation. Pour ceux qu'elle côtoie au quotidien, elle vit dans une jolie baraque de Mount Cook avec son père et sa mère. Elle dit que ceux-ci ne sont jamais présents à cause d'un travail trop chargé. Elle s'invente une vie de rêve, la vie qu'elle aurait aimé avoir. Ça lui réussit plutôt bien pour l'instant, personne ne pose trop de questions et quand c'est le cas, elle parvient à s'en sortir. Mais elle sait que tôt ou tard, ça lui retombera dessus et ce petit monde qu'elle s'est bâtit s'effondrera sur elle.

011. Elle s'habitue peu à peu à sa situation actuelle. Peut-être qu'elle a faux, peut-être qu'elle dit vrai mais elle a l'impression de peu à peu s'en sortir. Elle a enfin la tête hors de l'eau. Elle commence à prendre les cours et son avenir plus au sérieux, elle continue les baby-sittings bien qu'ils se font de plus en plus rares puisqu'elle privilégie ses services au fast-food du coin. C'est pas le métier rêvé, elle aime pas passer ses soirées dans une cuisine graisseuse mais elle fait avec. Elle aime son nouveau logement, elle ne sait pas combien de temps elle y restera mais elle se dit qu'elle a de la chance. On lui a tendu la main et elle ne la lâchera pour rien au monde.