we're dancing with the demons in our minds (ace)

01 y a un cactus dans ta chambre. tout seul sur le rebord d’une fenêtre. tu sais pas comment il est arrivé là, tu sais encore moins comment il a survécu. tu l’arroses jamais, t’en prends pas soin, mais faut croire que c’est un warrior, parce qu’il est toujours là. toujours vivant, toujours debout comme dirait l’autre. tu fais gaffe à ce que nova y touche pas, par contre. ça t’amuserait pas d’avoir à lui retirer des épines des doigts. 02 crâne rasé qui fait ressortir le vert de tes yeux, comme des émeraudes incrustées dans le caramel de ta peau mate, t’as la chaleur de la méditerranée et un arrière-goût de danger. les prunelles qui brûlent comme les cendres de ta cigarette, les doigts en sang avec des bagues plus menaçantes qu’un flingue. les lèvres qui laissent pas passer un seul mot mais le regard qui hurle tu m’emmerdes et je te bute. les tatouages qui dépassent du blouson en cuir, les poches remplies de petits sachets, on sait pourquoi tu traînes au coin de rues la nuit. une chose qu’est sûre c’est que tu fais pas tâche dans le décor. 03 ace. ce prénom c’est une malédiction, tu t’en es pris plein la gueule entre ceux qui trouvent que c’est un prénom de clebs et les autres qui te demandent si c’est le pseudo que t’utilises dans ton gang. c’est ton poing dans la gueule des premiers et un regard à rayer un pays de la carte pour les seconds. t’as pas de gang ace, c’est toi et toi tout seul, ta solitude comme seule armure. 04 t’as jamais été bon élève à l’école. trop dissipé, tu finissais toujours embarqué dans des bagarres. à croire que tu voulais affronter le monde entier. pourtant ton père était un bon ouvrier, loyal honnête travailleur. respecté dans le quartier. à croire que t’avais trop une tête d’immigré pour plaire, avec ta peau mate et tes grands yeux verts. alors t’as appris. pas le choix. d’abord au club de boxe, puis dans la rue. une insulte, un mot un peu trop fort et t’avais les poings qui te démangeaient, les entrailles qui brûlaient. tu sais faire que ça. cogner. 05 ta vie bien réglée a été chamboulée par l’arrivée de ta sœur. t’avais seize ans, seize ans et les phalanges en sang, seize ans et la capacité de pouvoir la défendre s’il lui arrivait quoi que ce soit, t’en étais certain. c’est ta princesse, ta petite protégée. tu ferais tout pour elle. et face à la désillusion au malheur au désespoir d’une vie qui en finit pas d’être merdique, c’est la seule qui te garde la tête hors de l’eau, elle et ses boucles brunes, elle et ses grands yeux bleus qui t’ouvrent les portes du paradis. 06 à la naissance de nova, ta mère est tombée malade. gravement. c’est à toi qu’est revenue la tâche de t’occuper de ta sœur. et de la famille en général, en fait. ton père a pas supporté de voir ta mère sombrer. il a commencé à plus aller au travail, à traîner dans les bars, à ramener des notes exorbitantes que vous aviez pas les moyens de payer. les soins de ta mère étaient déjà hors de prix et c’est pas comme si vous gagniez des millions, avec le salaire d’ouvrier de ton père. 07 t’as lâché l’école. t’as trouvé un taf dans un garage. un ami de ton père qui a accepté de t’apprendre sur le tas. ça a suffi pendant un temps, t’avais assez d’argent pour les médocs, la vinasse, la bouffe, les fringues. puis ça a plus suffi. fallait plus, toujours plus. quand la demande augmente, faut savoir la gérer. et tu te voyais pas tenir tête à ton père, tu te voyais pas priver nova de ses jouets. elle avait droit à une enfance aussi insouciante que possible, aussi heureuse que la tienne, malgré l’absence de parents et d’un foyer. 08 alors t’as commencé à dealer. un peu au début, en extra, des petites pilules d’ecsta à des touristes en mal de paradis superficiels. puis des drogues douces à la jeunesse du quartier, des drogues dures à la jeunesse friquée. t’en as honte ace, t’aimes pas profiter des faiblesses, mais la rue t’a appris une chose, c’est chacun pour sa peau et tous dans le caniveau. c’est le seul moyen que t’as de t’en sortir, de payer le loyer et la bouffe, d’assurer un avenir pas trop mauvais à ta sœur. mais tu vis dans la peur incessante qui te bouffe les entrailles, tout le temps, la peur de voir des flics débarquer et te passer les menottes, pas parce que ça te priverait de liberté mais parce que ça te priverait d’elle. et tu sais pas ce que tu deviendrais sans nova. 09 ton père tu le hais, et c’est faible de le dire. il a failli à sa tâche, il vous a laissé tomber il s’est laissé sombrer. comme si vous alliez pouvoir vous débrouiller sans lui. un parent en moins c’était déjà douloureux, deux en moins c’était invivable. tu t’en serais pas sorti sans ta sœur. c’est à elle que tu dois ta survie, à elle et à toi, personne d’autre. t’as refusé de porter le nom d’un lâche plus longtemps. à dix-huit ans t’as pris le nom de ta mère, nom aimé nom chéri, nom d’une sainte qui a toujours veillé sur toi, qui t’a toujours donné tout son amour. clouée au lit, le teint pâle et les cheveux d’un or faiblissant, elle ressemble vraiment à un ange. il serait temps qu’elle les rejoigne d’ailleurs. 10 ton père est musulman, ta mère catholique. toi t’es coincé entre deux feux et pas croyant pour deux sous. en même temps, si y a un dieu là-haut, c’est un bel enfoiré. y a quoi voir les inégalités, la crasse et la haine qui rampent dans les rues, la violence et la misère qui grimpent aux murs. si y a un dieu là-haut, c’est vraiment un beau salaud. 11 quand on te demande ce que c’est ta couleur préférée, t’as tendance à dire que t’en as pas. en même temps, qui te demanderait ça ? mais au fond, tu sais que c’est le bleu foncé, celui de la nuit juste avant le lever du soleil. la couleur de l’espoir, la couleur de ta vie de merde qui s’enlise peut-être avant de s’envoler. autant dire que cet espoir, t’as tendance à le tuer dans l’œuf. ta misère elle est collée à ta peau, tu pues le destin tragique à plein nez, ça sert à rien de se réchauffer le cœur avec de fausses idées. 12 quand t’étais pas en train de casser le nez de tes camarades, tu griffonnais des dessins dans les marges de tes cahiers. pas assidu, pas attentif, tu laissais voguer ton imagination au gré des petits carreaux. là un monstre prenait forme, ici c’était un guerrier. parfois y avait des petits animaux, des lapins, des biches, des trucs plus doux. des trucs de mômes. tu les montrais jamais. même pas à ta mère. t’aurais pas voulu la décevoir, à pas écouter quand l’instit parlait.