i can read minds, not hearts (neal)

i want to break free. Neal a quinze ans, et il y a deux choses qui le font rêver : Freddie Mercury et les tours de magie. Enfin, d'illusionnisme comme il se plaît à dire, ce qui n'a rien à voir avec les lapins qui sortent des chapeaux. Lui, il fascine. Il fait disparaître, apparaître, se fait connaître dans les ruelles de Sheffield et ramasse de l'argent comme les artistes de rue. C'est d'abord innocent, un passe-temps comme aurait pu l'être le basket, ou le football. Et quand il rentre chez lui, il tape son album de Queen et casse les oreilles de ses voisins sur Don't Stop Me Now. Neal a quelques copains aussi, des amis qu'il évite d'inviter chez lui non pas par honte, mais parce qu'il sait qu'ils préfèrent le confort d'un cocktail au bord d'une piscine dans un jardin à l'herbe sèche de sa minuscule maison. Un gamin normal si on met de coté les problèmes d'argent, quoi qu'il s'est rapidement habitué à vivre modestement. Sauf qu'à dix-neuf ans, Neal a perdu son père. Il n'a pas vraiment eu l'occasion de pleurer la perte de ce dernier, trop occupé à devoir ramasser sa mère à la petite cuillère qui, elle, ne cesse de répéter qu'elle n'a aucune idée de ce qu'elle va devenir. Pour l'aider, il se met en tête qu'il doit absolument gagner de l'argent, peu importe le moyen. Il a bien son job d'étudiant en tant que caissier dans un supermarché, métier qui lui a permis de s'inscrire dans des études de droit, mais ce n'est pas assez. Alors sur le coté, Neal se met à jouer. Y a le poker d'abord, les quelques parties entre "amis" où il mise gros et développe petit à petit une capacité extraordinaire à mentir sans se faire repérer. Il se remet à l'illusionnisme aussi, pratique des spectacles pour de l'argent et fait rêver ces crétins de riches aux poches bien remplies pendant que son assistant, un gamin de douze ans, leur fait les poches sans qu'ils ne s'en rendent comptent. Pendant plusieurs années, Neal flirte avec l'illégal. Il finit même par y prendre goût alors qu'à la base, il ne lui fallait que quelques billets pour assurer à sa maman une belle fin de vie. Vers ses vingt-deux ans, il se fait attraper à cause de la montre de son père. Lui qui a toujours été si doué pour garder ses émotions à l'intérieur, lui qui sait rester de marbre et rattraper n'importe quel coup de manière à avoir la situation à son avantage, il n'a pas supporté de voir un riche obèse s'emparer de la montre de son paternel et s'est pour la première fois laissé déborder. Si les sentiments n'avaient pas joué, il ne se serait certainement jamais fait prendre. Parce qu'il était doué Neal, discret dans les gestes et subtile dans les paroles.

bohemian rhapsody. Après quatre ans passés à enchaîner les boulots sans avenir, une arrestation et un loyer à peine payé, Neal décide de ressortir son diplôme en droit. Il n'y croit d'abord pas, se dit que personne ne voudra d'un jeune de vingt-quatre ans à peine pour se défendre face au tribunal. Mais il se trompe, et il tape bien rapidement dans l'oeil d'un certain type de clientèle : les plus démunis. Ceux qui ont entendu dire que, malgré le milieu précarisé dans lequel il a grandi, le jeune Fitzpatrick a tout de même réussi à terminer ses études et à cumuler avec plusieurs petits boulots. Ils se retrouvent en lui, veulent celui qui peut les comprendre. Et ça marche, un véritable décollement dans ce début de carrière. Neal manipule les mots, entre dans la tête des juges, fait face aux gérants de grosses entreprises et plante son regard dans leurs petits yeux vitreux. Fini les activités illégales, fini de compter tous les soirs combien de grammes de pâtes il peut encore manger si il ne veut pas risquer d'être à sec le lendemain. La même année, Neal retrouve Gemma. Une vieille copine de la fac, jeune femme aux cheveux mi-longs et au regard semblable à un feu déchaîné. Coup de foudre, papillons et tout le bordel. Gemma n'a pas changé, elle est restée la même fêtarde fan de Nirvana et des Red Hot Chilli Peppers. Il s'est souvenu de moments passés avec elle, eux deux dans sa voiture à elle à écouter des morceaux de rock tout en enchaînant des canettes de bière. Et comme il refusait de la laisser prendre le volant avec autant d'alcool dans le sang, ils finissaient par s'endormir sur leurs sièges avant de partager à deux la même migraine. Ils étaient amis, des amis proches, le genre de relation ambiguë qui fait soulever les sourcils et qui réveille les sourires. Six ans plus tard, elle lui tombe dans les bras pour la première fois, après qu'il ait gagné son premier procès. Deux ans après leurs retrouvailles, ils décident d'emménager ensemble. Gemma et Neal, c'est Bonnie and Clyde. Le couple qui amuse, imprévisible, tous les deux ayant joué avec les limites de la légalité et se retrouvant aujourd'hui du coté de la justice. C'est une vague de bonheur, un élan d'air frais, une déferlante de moments qui les font rire jusqu'à en avoir mal au ventre. Ils découvrent le monde à deux, grattent sans arrêt les vols les moins chers et se retrouvent dans des avions minables tout ça pour pouvoir se dire qu'ils ont vu la Thaïlande ou le Brésil. Sauf qu'à vingt-sept ans, ils doivent déjà renoncer à leurs projets de voyages. Pas à cause de l'argent cette fois, la carrière de Neal fonctionne si bien qu'il a même pu mettre de coté pour s'acheter sa première maison. La raison est encore petite pour le moment, cachée quelque part dans le ventre de Gemma. L'arrivée d'Abby.

show must go on. Pendant douze ans, Neal met sa carrière entre parenthèses au profit d'une vie qu'il n'aurait jamais pensé avoir. Fiancé à celle qui arrive à le faire rire avant même qu'il n'ait bu son café, père d'une petite brune aux yeux immenses et aux joues toujours roses à force de courir dans leur grand jardin. Ils adoptent leur premier chien, Copperfield, avant qu'Altaïr ne vienne rejoindre cette famille idéale deux ans après. Abby, il la voit grandir et changer si vite qu'il en oublie que lui-même vieillit. Elle devient son soleil, le phare de sa nuit, celle capable de lui remonter le moral après une trop longue journée rien qu'en entourant son visage de ses petites mains potelées. À deux ans, Abby commence à marcher. À six ans, elle monte sur son premier vélo. Une famille parfaite, comme une bulle dans laquelle il flotte avant qu'elle ne finisse par s’essouffler. À onze ans, Abby se met à tousser. Ils ont d'abord cru à un rhume, une pharyngite, n'importe quoi pouvant expliquer cette toux qui lui assèche la gorge. En deux mois seulement, les symptômes s'enchaînent en une suite de mauvaises nouvelles. Abby a de la fièvre, Abby frissonne. Abby a une pneumonie. C'est la chute libre, le paradis qui devient enfer. Les rires se font rares, les sourires laissent place à des moues tristes, des regards perdus dans le vide à force d'aller encore et encore à l'hôpital. Lorsqu'Abby ferme les yeux pour la dernière fois, elle a douze ans. Neal en a trente-huit, même si il donne l'impression d'en avoir soixante. Aujourd'hui, il ne parle jamais de cette sombre période de sa vie. Celle après Abby, l'année qui a suivi son enterrement. Elle est morose, à croire que chaque jour la terre entière était en deuil vu les litres de pluie qu'elle faisait couler. S'il bat d'abord de l'aile les premiers mois, le couple Gemma et Neal finit par se briser en milles morceaux comme leurs coeurs à tous les deux. Elle est partie en ne laissant qu'un mot sur la table de la cuisine, a stipulé avoir besoin de changer non pas d'air, mais de vie toute entière. Et malgré la tristesse, malgré la rancune qu'il a pendant longtemps ressentie envers d'elle de la voir s'en aller sans le soutenir dans son chagrin, Neal a fini par comprendre et accepter son choix. Il a décidé de faire pareil, a plaqué son Angleterre pour partir vivre dans un des pays qui l'attirait lorsqu'il était encore dans ses rêves de voyages. Il finit par franchir la frontière de la Nouvelle-Zélande, emportant avec lui un bagage émotionnel qu'il préfère cependant garder dans un coin de sa mémoire plutôt qu'à la vue de tous. La seule photo qu'il a gardée d'Abby se trouve dans son porte-feuilles, il n'y a rien chez lui laissant penser qu'il a jour vécu une véritable vie de famille.