Avril 1999 - 6 ans.
Les hurlements sont constants dans la maison depuis ce matin. J’entends mon père hurler sur maman depuis que je suis réveillé. Je n’ai pas eu le droit de descendre pour prendre mon petit-déjeuner. Je ne dois pas sortir de ma chambre sinon je vais me prendre une fessée. Papa me frappe lorsque je n’écoute pas ce qu’il me dit. Hier soir, il m’a mis une gifle parce que je n’avais plus faim et je ne voulais pas finir mon assiette. Je crois que maman n'était pas très contente alors elle a voulu lui dire que ce n’était pas bien. Alors depuis ce matin, elle discute avec papa, mais les cris se font de plus en plus fort et je commence à avoir peur. Il est capable de faire du mal à maman et j’ai peur de cela et surtout de lui. J’entends des bruits de vaisselle qui casse et puis d’un coup une porte qui claque et quelqu’un qui cours dans les escaliers. Je me cache derrière mon lit, mon doudou serré contre moi. La porte s’ouvre doucement.
« Eliott mon chéri, c’est maman. » Je sors de ma cachette et vais me blottir tout contre maman. Elle me caresse les cheveux doucement et ne dit rien pendant quelques minutes. Le silence est présent dans la maison et c’est presque trop calme pour que ce soit normal.
« Mon chéri, tu vas m’aider d’accord ? On va mettre des affaires dans la valise. » « On va où ? Papa, il vient avec nous ? » « Non, il ne va pas venir mon grand.. On va partir tous les deux. Tu es d’accord ? » Je hoche la tête très vite et me lève de suite pour aller chercher les affaires que maman veux que l’on emmène. On ne prend que le plus important. Des vêtements, quelqu’uns de mes jouets préférés et des affaires de grands pour maman. On est monté dans la voiture et sans se retourner, on a quitté Auckland. On est parti chez une amie à maman dans une nouvelle ville : Wellington. Pour un nouveau départ, sans papa. Sans le savoir, ce matin d’avril serait la dernière fois où je verrais le visage de mon paternel. Il ne m’a jamais manqué, pas une seule fois. À partir de ce jour-là, c’était maman et moi contre le reste du monde. Cela a duré dix ans, juste elle et moi.
Février 2010 - 17 ans.
« Eliott vient voir mon grand s’il te plaît. » Je lève les yeux de mes devoirs et regarde ma mère. Je la sens nerveuse depuis quelques jours et je vois bien que c’est pire aujourd’hui. Je ne suis plus un gamin et je commence à avoir un peu peur de ce qu’elle cherche à me dire depuis quelque temps. Je viens m’asseoir à côté d’elle sur le canapé et instinctivement passe un bras autour de ses épaules.
« Qu’est-ce qui se passe mama ? » Elle joue nerveusement avec le bas de sa veste et je fronce les sourcils. En l’espace de quelques secondes, les pires possibilités commencent à me traverser l’esprit, j’ai peur qu’elle ait perdue son travail ou pire qu’elle soit malade.
« Je… J’aimerais te parler de quelque chose mon grand. » « Bah, je t’écoute mama, dit moi. Tu me fais peur là » « Je… J’ai rencontré quelqu’un. Je le vois depuis quelque temps et j’aimerais que tu le rencontres. » Oh. Je m’attendais a tout sauf à cela, je crois. Ma mère a eu quelques relations depuis qu’elle a quitté mon père il y a de cela dix ans, mais elle ne m’as jamais présenter personne. Je crois que ça n’as jamais vraiment été des relations qui durait et nous n’avons jamais vraiment parler de tout cela tous les deux. C’est une première et je me dis qu’il doit être quelqu’un de bien pour qu’elle veuille me le présenter.
« Si tu veux oui… » dis-je doucement. Je n’ai jamais eu à partager ma mère avec quelqu’un, et même si je ne suis pas un enfant cela me fait bizarre de me dire qu’elle puisse avoir un homme dans sa vie. Pourtant, elle le mérite ma maman, elle mérite réellement d’être heureuse, alors j’accepte de rencontrer cet homme.
La soirée à été particulière. Liam, le compagnon de maman, est venus dîner et il vient juste de partir. En soit-il a l’air adorable. Il a amené des fleurs et mon dessert préféré. Il a tout fait pour s’intéresser à moi. Je n’ai rien à lui reprocher en soit, mais je ne sais pas… Je crois que je me méfie de lui. Je ne le connais pas et je veux être sûr qu’il ne fera jamais de mal à ma mère. Cela risque de prendre du temps et je crois que maman la remarquer.
« Tu ne l’aimes pas, c’est ça. » « Non mama c’est pas ça… Je me méfie, c’est tout, mais il a l’air gentil et puis il a l’air de te rendre heureuse. » « Je suis bien avec lui, il fait attention à moi, tu sais. » « Alors c’est le plus important mama. » Elle vient se mettre contre moi et je la serre dans mes bras. Il va falloir que j’accepte cet homme dans notre vie, je crois, tant qu’il la rend heureuse le reste je m’en fiche.
Il aura fallu plus d’un an pour que je commence à faire confiance à Liam. Cela fait désormais deux ans qu’il est en couple avec ma mère et un an que l’on vit ensemble tous les trois. Il fait attention à ce que l’on passe toujours du temps ensemble tous les trois et depuis peu, on va surfer juste tous les deux. Parfois, je me méfie encore de lui, mais j’ai conscience qu’il est un mec bien. Dans le fond, il prends peu à peu cette place de figure paternelle dont j’ai toujours manqué. Il était là lorsque j’ai fait mon coming out à 16 ans et il a été le premier à me dire qu’il était fier de moi pour avoir osé leur en parler. Depuis on discute souvent tous les deux et Liam s’amuse à me « trouver » des mecs dans la rue. On s’entend réellement bien et je crois que cela fait plaisir à maman. Pour la première fois de ma vie, j’ai l’impression de faire parti d’une véritable famille.
4 Juillet 2013 – 20 ans.
Il y a de cela neuf mois, ma mère est venue m’annoncer qu’elle était enceinte. Elle a beaucoup pleuré lorsque je n’ai pas réagi, effrayer que je n’accepte pas bien la nouvelle. Cela a été un peu dur à digérer, mais j’ai fini par accepter l’idée et lorsque Liam et maman m’ont appris qu’ils attendaient un garçon, tout a commencer à devenir concret. Peu à peu, je me suis fait à l’idée de devenir grand frère. Je l’ai attendu avec impatience ce bébé et aujourd’hui je vais enfin pouvoir le rencontrer.
Je viens d’arriver à l’hôpital, je suis un peu nerveux, je ne sais pas comment les choses vont se dérouler maintenant que mon petit frère est là, mais j’ai vraiment hâte de le découvrir. Je retrouve mon beau-père sur le parking, il a l’air épuisé comme si c’est lui qui venait d’accoucher, cela me fait rire et je ne me gêne pas pour le chambrer un peu. Il m’explique que Noah est un beau bébé en pleine forme et il m’emmène de suite dans la chambre. Maman est fatiguée, mais elle a un énorme sourire sur les lèvres. Elle me fait signe de m’approcher et c’est un peu timidement que je viens vers elle pour observer le petit bébé lover dans le creux de ses bras.
« Je te présente ton petit frère mon chéri. » J’ai les larmes aux yeux et viens embrasser le petit front de Noah.
« Salut bonhomme. Bienvenu dans la famille ! » Sans que je n’ai le temps de réagir, maman me dit de mettre mes bras dans la même position qu’elle et en deux secondes, je me retrouve avec Noah dans les bras. J’ai tellement peur de lui faire mal ou quoi que je ne bouge plus d’un millimètre. Alors que je contemple son petit visage tout rond, Noah ouvre doucement les yeux et me fixe intensément.
« Coucou toi. » Je souris alors que maman vient caresser sa joue du bout des doigts.
« Je vais te surprotéger toi, tu sais. Je serais toujours là pour toi, je te promets. » lui dis-je tout doucement. Je relève la tête lorsque j’entends des petits reniflements et croise le regard humide de ma mère. Je rigole un peu en la voyant comme ça et elle râle un peu.
« Te moque pas ! Mes deux bébés ensemble ! » Je souris et viens m’asseoir tout près d’elle, Noah encore coller à moi tandis que Liam nous surveille du coin de l’œil tous les trois. Je suis sûr qu’il est ému lui aussi. C’est un peu bizarre de devenir grand frère à vingt ans. Jamais je n’aurais pu l’imaginer. Pourtant, c’est bel et bien vrai. On est devenu une famille tous ensemble. Liam est devenu la figure paternel dont j’avais tellement manqué dans ma vie, et même si nos débuts ont été un peu compliqués aujourd’hui, je sais que je peux lui faire confiance pour prendre soin de ma mère et je lui fais assez confiance désormais pour être réellement proche de lui. Il sait certaine chose dont je parle très peu avec ma mère et il nous arrive de passer des moments rien que tous les deux. Les choses ont vraiment changé et pour le meilleur dans le fond.
Novembre 2013 – 20 ans.
Le bonheur qu’as amener la naissance de Noah n’aura pas durer très longtemps. Il y a deux mois, Liam a eu un grave accident sur son lieu de travail. Il est tombé d’un toit alors qu’il était en train d’y faire des travaux. Résultat une fracture du bras et surtout une hanche brisée. Il a dû être opéré d’urgence et il a eu beaucoup de mal à se remettre de l’anesthésie. On a vraiment eu peur pour lui. J’ai eu peur que le bonheur nous file entre les doigts une nouvelle fois. Heureusement, Liam a fini par être sorti d’affaire, mais les ennuis ne se sont pas arrêté là pour nous. Mon beau-père a eu besoin d’une prothèse pour espérer pouvoir remarcher correctement un jour et les factures d’hôpital se sont accumulées en quelques semaines seulement. On ne m’a rien dit pendant un moment, mais hier en voulant aider maman avec la maison, j’ai commencé à ranger la maison et je suis tombé sur nos factures. Les innombrables factures aux sommes plus folles les unes que les autres. J’ai laissé maman tranquille hier soir, mais aujourd’hui je n’ai pas cours et je compte bien lui parler un peu. Elle vient de mettre Noah à la sieste et je l’attends en bas.
« Maman, on peut discuter un peu ? » « Bien sûr mon grand. » Elle vient s’asseoir à côté de moi et c’est un peu nerveusement que je sors la pochette contenant les factures que j’ai trouvé. Le regard de ma mère s’assombrit de suite en voyant cette fameuse pochette et ses yeux commencent à se remplir de larmes et cela me fait mal au cœur.
« Tu devais pas tomber là-dessus, tu sais. » « Je suis plus un bébé maman, j’ai vingt ans. Je m’en doutais, tu sais… » « J’ai trouvé un travail, mais Noah est encore tout petit… » me dit-elle avant de fondre en larmes. Je la prends dans mes bras prenant pleinement conscience du poids qui pèse sur ses épaules. Elle a failli perdre son homme et maintenant, on accumule les problèmes.
« Je vais vous aider mama. Je vais prendre un travail à plein temps pour payer les factures de l’hôpital d’accord ? Et puis… Peut-être que tu peux travailler quelques jours par semaine et quand t’es pas là de toute façon Liam sera là pour Noah. » Je vois de suite que cette idée ne lui plaît pas. Qui dit travail à plein temps, dit que je n’aurais plus le temps pour aller à la fac. Honnêtement, mon choix n’a pas été difficile à prendre, ils sont ma famille et je dois les aider, c’est tout.
« Non Eliott, tu peux pas abandonner tes études comme ça. » « Je reprendrais plus tard maman. C’est pas grave. » Bien entendue, elle n’a pas cédé facilement. Pendant plusieurs jours, elle n’a rien voulu entendre. Pour elle, il était hors de questions que je refuse à mes études. On a eu une grosse dispute un soir et Liam a commencé à s’en vouloir, se sentant véritablement coupable de nous avoir mis dans une telle galère financière alors que rien de tout cela n’est de sa faute, ce n’est pas comme s’il avait choisi de se blesser gravement. Après cette dispute, j’ai trouvé un travail dans un café à temps plein plus un petit travail de baby-sitting occasionnel. Cela n’a pas plu à ma mère que je n’en fasse qu’à ma tête et elle a même refuser le premier chèque que je lui ai donné. Après de nombreuses discussions et quelques disputes supplémentaires, les choses ont fini par se calmer entre nous. Maman a fini par accepter mon aide et on a commencé à remonter la pente, petit à petit.
Août 2016 – 23 ans.
J’éteins les dernières lumières du café et sors pour fermer le magasin complètement. Je range mes clés dans la poche de mon sac à dos lorsque je sens une main se poser sur mon épaule ce qui me fait sursauter. Je me tourne et me retrouve face à face avec mon copain qui me souris comme un idiot fier de sa petite surprise.
« Je vous amène dîner beau mec ? » Je ris un peu et m’approche pour l’embrasser. J’aime lorsqu’il vient me chercher au travail comme ça et encore plus lorsqu’il propose que l’on se fasse une petite soirée tous les deux. Oliver est très souvent avec moi à l’appartement, ais avec mes horaires de boulot, on ne se voit pas très souvent. Il sait que je ne travaille pas demain et visiblement à décider que l’on dînerait dehors ce soir. C’est main dans la main que l’on part vers le restaurant qu’il a choisi en discutant de notre journée. On passe une excellente soirée tous les deux et il est environ vingt-trois heures lorsque l’on quitte le restaurant. Oliver est de bonne humeur et il vient m’embrasser alors qu’on attend pour traverser l’avenue. C’est un geste banale et tendre. C’était le geste à ne pas faire ce soir. On a, à peine le temps de traverser qu’une bande de gars de notre âge nous accoste. Il leur faudra exactement trois secondes pour commencer à nous insulter. Les « tapettes », « sale pédale » et autre florilège d’insultes commencent à pleuvoir sur nous. Je sens la main d’Oliver resserrer la mienne tandis qu’il accélère le pas son appartement n’étant pas très loin d’ici. On fait quelques pas en essayant de les ignorer et alors que l’on passe au croisement de deux rues, un des garçons de la bande se jette sur moi me séparant d’Oliver. Je me prends un coup-de-poing dans la mâchoire et un coup de pied dans le ventre tandis que les insultes continuent de pleuvoir. Je ne sais combien de temps s’écoule, mais les coups ne cessent de s’abattre sur mon corps. Je sens ma respiration se couper lorsqu’un énième de coup de pied atteint mes cotes. Les coups se font de plus en plus fort et je finis par fermer les yeux attendant le coup qui finira par m’achever.
Il ne viendra jamais. Je ne me souviens de rien. J’ai fini par m’évanouir et me suis réveiller le lendemain matin dans un lit d’hôpital avec trois côtes cassées et un bleu qui me mangeait la moitié du visage. Je n’ai jamais revu Oliver après cet évènement. Il a jamais voulu répondre à mes appels et lorsque j’ai fini par aller le voir, il m’a simplement dit que c’était fini. Je n’ai jamais eu d’autres explications, un an de relation parti en fumée à cause de cette bande d’homophobes sans cervelle.
Et maintenant...
Cette agression m’a traumatisé et a laisser une marque indélébile dans ma vie. Auparavant, je n’avais jamais eu honte de qui j’étais. J’affichais fièrement mon homosexualité, sans me poser des questions. Depuis Oliver, je n’ai plus jamais eu un copain. Cela fait deux ans que je suis célibataire et il y a de cela quelques mois, je me suis surpris à essayer de me convaincre que je pouvais sortir avec une femme, pour faire comme les autres, pour rester dans les normes. Ma mère est toujours mon pilier et elle m’aide beaucoup depuis l’agression, elle est la seule personne avec qui j’arrive à parler de tout cela. Elle voudrait que je me fasse aider, mais je ne me sens pas prêt pour cela. Alors en attendant, je continue à travailler au café et je passe le plus de temps possible avec mes proches et notamment mon petit frère qui me permet d’oublier tout cela. Il est mon petit rayon de soleil et je ferais tout pour lui. Pour le reste, on verra plus tard. J’aime bien dire ça désormais. On verra plus tard. Reprendre mes études, ouais plus tard. Changer d’appartement, peut être plus tard. Sortir de nouveau avec un homme… Probablement jamais. Enfin. Qui sait.