(parti dans la fumée, oui mon cœur échoué)

papa. La vie n'a pas fait de cadeau aux Albarn, d'aussi loin qu'il s'en souvienne Jacob n'est allé que de misère en misère, en passant par pas mal de galères. Jusqu'à sa rencontre avec Abby, comme quoi New York n'aura pas eu que des mauvais côtés. Il n'a pas eu droit à plus de reconnaissance, peut-être même moins qu'à Londres d'ailleurs, mais il a trouvé bien mieux que gloire et fortune. Il a trouvé la femme de sa vie et, avec elle, les cadeaux n'ont pas cessé de pleuvoir. Les plus beaux de tous ne sont autres que ses enfants, pour lui qui jamais ne s'était imaginé père de famille. Tous ses rêves de rock star et de virtuose se sont envolés à la seconde où il a entendu le cœur de son fils battre au creux du ventre d'Abby. Il en a pleuré, tout le reste lui semblait tellement sans importance, dérisoire, face à la naissance prochaine de sa plus belle création. Il n'a pas pour autant manqué de raisons de se plaindre, seulement il y avait ce rayon de soleil pour chasser les nuages, d'un simple sourire, et bientôt un second enfant a complété l'équation. Ils ont, l'un comme l'autre, grandi en musique, et s'y sont rapidement intéressés. La guitare a eu la préférence d'Elijah, quant à Charlie elle s'est tournée vers le chant. Naturellement, en grandissant, ils ont voulu être artistes, et Jacob il a paniqué. Il avait tellement ramé, et ramait encore. Il n'a pas pu le leur défendre, mais il a tout fait pour qu'ils se dirigent vers d'autres carrières. Il les voyait médecins, ingénieurs, de grandes carrières qu'ils étaient parfaitement capables de mener, et s'il est parvenu à un bon compromis avec Eli, il n'a pu dissuader Charlie de se lancer dans la chanson.

maman. Abby, elle a grandi dans les beaux quartiers, à New York. Fille de chirurgiens, adoptive du moins. Elle n'a aucun souvenir de ses parents biologiques, et a longtemps cru qu'elle pourrait vivre sans, mais elle a fini par tenter de les retrouver. C'est comme ça qu'elle a rencontré Jacob, dans les mauvais quartiers, en compagnie douteuse. Elle a tout lâché pour le suivre dans l'aventure, persuadée qu'il finirait par percer, si impressionnée par ses multiples talents. Ce n'est jamais arrivé et, trop fière que pour retourner auprès de ses parents, elle s'est débrouillée. Ils se sont débrouillés, à deux, trois, puis quatre. Elle a enchaîné de petits boulots, et puis un poste stable de secrétaire médicale les a littéralement sauvés. Jacob, artiste dans l'âme, n'a jamais pu lâcher son premier amour pour se consacrer à quelque chose de plus rentable, mais elle ne lui en a pas voulu. Aussi puissante soit-elle, aussi assurée et réaliste, elle se montre toujours douce lorsqu'il s'agit de son mari et ses enfants. Elle comprend, elle pardonne, encourage et accepte. Elle n'a jamais cessé de pousser Jacob, même si c'était voué à l'échec. Elle a porté la famille à bout de bras jusqu'à la retraite, sans faillir ni se plaindre. Jusqu'à ce qu'Elijah prenne le relais.

charlie. Elle lui en a voulu, il était trop parfait Eli. Déjà petits, il lui volait la vedette, un peu par jalousie, l'enfant unique qu'il avait été deux années durant se trouvant tout à coup en compétition avec la nouvelle favorite. Ça n'a pas duré longtemps, dès sept et cinq ans ils s'entendaient à merveille, le grand frère veillant jour et nuit sur sa cadette. Des duos musicaux sont nés, une complicité indestructible avec. Il est le seul à avoir cru en elle lorsqu'elle a commencé à chanter, il l'a encouragée dans le dos des parents, même si cela signifiait lâcher l'école et commencer par de petits et mauvais boulots, à l'image de leur père. Plus tard, il lui prêtait de l'argent, a même commencé à travailler en parallèle de ses études pour l'aider, histoire que jamais qui que ce soit d'autre ne soit au courant de sa galère. Lorsqu'il s'est retrouvé seul, elle a vécu avec lui, ça les arrangeait aussi bien l'un que l'autre. Il avait besoin de compagnie, elle d'un toit. Puis elle s'est éternisée, même lorsqu'il a eu l'air d'aller mieux. Relativement mieux. Elle s'est installée, n'ayant nulle part où aller, et son grand frère n'aurait rien dit s'il n'avait pas fini par la percer à jour: elle avait abandonné. Elle ne faisait plus rien, et ne cherchait pas non plus de solution. L'argent lui servait désormais à déconner. Picoler, trop. Fumer, encore plus, et pas que des cigarettes. Elle ne l'avait pas souvent vu s'énerver, mais là ça a éclaté. Pourtant, il l'a gardée, et c'est là qu'elle l'a le plus détesté: il devait avoir pitié, et se sentir largement supérieur. Il entamait une carrière, et elle qui n'en avait fait qu'à sa tête, elle n'était nulle part, n'irait pas plus loin que rien. Il lui est même venu à l'idée qu'il l'avait fait exprès, l'encourageant sur une voie sans issue afin d'être le meilleur. De remporter une compétition inexistante aux yeux de leurs parents. Elle délirait. Dépression, boisson, conneries, il a tout supporté, comme un frère et non comme un rival. La relevant inlassablement, jusqu'à ce qu'elle y parvienne seule.


Ethel. Il l'aimait comme un fou, même si cela peut paraître idiot. Puéril. Ils étaient jeunes, c'est vrai, probablement trop que pour se promettre tant de choses et se lier devant la loi, mais ils étaient surtout sincères. Elijah, il aurait tout enduré pour elle, absolument tout. Il a supporté son père, par amour et dévotion. Il a tout supporté, tout comme elle, parce que ce qu'il y avait de bon, et il y en avait énormément, du bon, en valait la peine. Il préférerait regretter, se dire que, de toutes manières, il n'étaient pas faits pour être ensemble, mais ce serait mensonge pur et simple. Lui et elle, elle et lui, c'était une évidence. Et puis, promesse brisée, mots gribouillés, néant. Elle est partie, a fui, lui il a eu le sentiment d'avoir raté quelque chose. Peut-être qu'il était pas assez présent, ou fort. Peut-être qu'elle ne lui faisait pas confiance pour porter le poids de cet avortement avec elle, ou pour la pardonner. Mais il aurait tout pardonné, tout compris, si seulement elle était restée, le lui avait dit et non écrit. Il a perdu la meilleure partie de lui, a eu le cœur brisé sans plus de cérémonie, avec pour seule consolation la demande de ne pas souffrir pour elle. Impossible, même s'il en rêvait. Il était trop jeune, de toutes façons, que pour vivre la nouvelle autrement que très mal. Alors il s'est occupé l'esprit, la vie, comblant le manque par le travail, s'oubliant dans ses études et s'y perdant. Ensuite, il a eu à s'occuper de Charlie, et les blessures béantes se sont lentement refermées, laissant cependant derrière elles des cicatrices indélébiles.


« Tu ne peux pas y aller. » Ce n'est pas comme s'il cherchait une quelconque approbation, mais il prend la remarque. Il comprend. « Maman... » Elle secoue la tête, de gauche à droite, pendule folle. « Tu ne peux pas, elle t'a démoli, tu t'es relevé, ne gâche pas tes efforts de ces dernières années. » Il grimace face au terme employé, secouant la tête et jetant un regard à sa soeur qui, contrairement à ce qu'il s'imaginait, ne semble pas moqueuse du tout. Elle est préoccupée. Comme leur mère, d'ailleurs. Comme s'il annonçait la fin du monde. Comme s'il était devenu fou. « Elle ne m'a pas démoli. » Elle lève les yeux au ciel, et il se sent obligé de poursuivre: « J'étais blessé. D'accord, je suis blessé. J'ai souffert de son départ et aujourd'hui j'ai besoin d'avancer. Il me faut des réponses, un mot d'excuses ne me suffit plus. A vrai dire, ça ne m'a jamais suffi, mais je n'avais pas le courage de lui faire face. » Aujourd'hui, il s'en sent capable. Et il en a besoin, c'est important pour la suite de son parcours. Il y a un divorce, aussi, à prononcer, parce qu'il serait temps, même si les mots lui restent en travers de la gorge. Mariés durant plus de dix ans, malgré la séparation, ce n'est pas rien. Mariés tout court, même si ça n'a pas duré, ça n'a jamais été rien, ce coup de tête n'était rien de moins qu'une preuve évidente de leur indescriptible attachement. Et signer ces papiers, mettre officiellement fin à cela, ce ne sera pas aussi évident qu'il le souhaiterait. « Nous évitons tous ne serais-ce que de prononcer son nom en ta présence, et toi tu veux un face à face. Douze ans après. Tu veux vivre dans la même ville. Tu te fais du mal, chéri. Jacob, dis-lui enfin. » Tous les regards se posent sur l'interpellé, demeuré muet tout au long du débat. Nul ne saurait dire de quel côté il est, pas même lui. « Tu connais ton fils, Abby, pas la peine de raisonner avec lui. Et puis, on a pas notre mot à dire, il ne nous prévient de son départ que par politesse. » Il n'a pas tout à fait tort, mais une infime partie d'Elijah souhaitait être retenue, qu'on l'empêche de s'envoler pour Wellington et la vérité qu'elle garde depuis bien des années. Il sait pertinemment qu'il fonce droit dans le mur, et une trop grande partie de son être n'a de cesse d'accélérer. « Papa a raison. Je pars dans une semaine. »