katelyn ❀ love is a dangerous game to play.

18 juin 2010 : Deux jours. Deux jours que Katelyn était arrivée à Wellington. Et déjà, la peur et l’appréhension qui lui tordaient le ventre s’étaient atténuées. Ses collègues l’avaient accueillie chaleureusement, même si elle savait que tous regrettaient celui qu’elle était venue remplacer, un infirmier reparti travailler dans le civil après plus de dix ans de loyaux services dans l’armée. Katelyn espérait que ses collègues, à Auckland, la regrettait également, ne serait-ce qu’un tout petit peu. En tout cas, elle, ne cessait de penser à eux. Ils lui manquaient. Mais elle avait maintenant une autre mission à remplir, et des preuves à faire. Elle savait que derrière la gentillesse, tous l’évaluaient, tous jaugeaient de ses compétences. Elle devait trouver sa place, et pour cela, elle devait prouver qu’elle la méritait. Le départ approchait, un départ dont elle ferait partie, le premier avec les soldats de Wellington. Depuis son arrivée, les soldats avec lesquels elle partirait ne cessaient de se bousculer au poste de soins pour mettre à jour leurs vaccinations ou pour faire un petit bilan complet. Déjà, une petite routine s’installait, elle commençait à trouver ses marques, ne demandait plus sans cesse à ses collègues où se trouvait tel ou tel matériel. La matinée ne lui avait pas laissé un seul moment de répit et l’estomac de Katelyn commençait à crier famine. Elle devait cependant terminer les dernières visites avant de prendre un petit moment de pause puis d’enchaîner sur une après-midi qui s’annonçait autant remplie que la matinée. Ce soir encore, elle savait qu’elle allait rester très tard sur la base, pour préparer le matériel dont elle aurait besoin en mission, mais cela ne la dérangeait pas, elle ne craignait pas les heures supplémentaires et de toute façon, personne ne l’attendait chez elle. Son regard s’attarda sur le dossier qu’elle tenait entre les mains tandis qu’elle se dirigeait vers la pièce qui faisait office de salle d’attente pour les soldats : Robin Bergman, vingt-cinq ans, engagé depuis l’âge de dix-huit ans, en partance pour sa onzième mission extérieure.

- Sergent BERGMAN, vous pouvez me suivre...
Arrivée dans la pièce où s’effectuaient les visites, Katelyn commença à se présenter, par politesse.
- Bonjour sergent. Je crois que nous ne sommes pas encore rencontrés. Je suis Katelyn HUBBELL, la nouvelle infir…
Cependant, Robin ne la laissa pas terminer, sans même un regard pour elle, il déclara froidement :
- Si vous pouviez vous dépêcher… Je n’ai pas que ça à faire, le devoir m’appelle ailleurs, contrairement à vous, apparemment… Pourquoi faut-il qu’ils aient embauché une incompétente à la place de ROLLINS ?
Katelyn ne sut que répondre à cette tirade, allant chercher le vaccin, elle garda son calme pour faire l’injection, réprimant l’envie de se mettre en colère. Non mais pour qui se prenait-il ? Elle ne supportait pas les soldats rustres, hautains et sans aucun respect dans son genre.  
Mais le destin est farceur. Comment aurait-elle pu se douter à ce moment-là que quelques mois plus tard, un certain vingt-et-un mai 2011, elle lui dirait oui, pour le meilleur et pour le pire, liant leurs avenirs à tout jamais ?

Quelques semaines plus tard, camp militaire au beau milieu du désert…
Cette nouvelle journée n’avait pas été facile. Tous souffraient affreusement du climat auquel ils n’étaient pas habitués. Et puis il y avait les morsures de serpents et de scorpions, tous les jours, que Katelyn et ses collègues devaient à chaque fois gérer de toute urgence. Katelyn, cependant, ne regrettait à aucun instant d’être ici. Malgré le danger, malgré la promiscuité pas toujours facile à vivre et les vives disputes qui apparaissaient parfois entre les soldats, elle avait trouvé ses marques et tous commençaient dorénavant à lui faire preuve d’un réel respect. La veille, l’un des soldats, un tout jeune homme s’était écroulé de déshydratation. Il était inconscient depuis et son rapatriement vers la Nouvelle-Zélande devait avoir lieu le lendemain. Katelyn se préparait à une nouvelle nuit blanche, à veiller son malade. Elle ne pouvait se résigner à aller dormir un peu, de peur que quelque chose n’arrive durant son sommeil. Le goutte à goutte de la perfusion coulant dans les veines du jeune soldat l’hypnotisait. Elle ne l’entendit donc même pas arriver lorsqu’il approcha.
- Vous devriez aller dormir…
Katelyn sursauta puis se retourna vers celui qui lui avait parlé. Elle reconnut le visage du sergent Bergman.
- Hors de question, je ne suis pas fatiguée et ce soldat a besoin de moi.
- Arrêtez de mentir, vous avez des cernes qui ne font que s’accentuer depuis quelques jours. Et nous avons tous besoin de vous ici. Allez dormir un peu, je veille sur lui…
- Depuis quand vous préoccupez-vous de moi ? Je croyais que je n’étais qu’une incompétente, laissez-moi donc faire mon travail, vous êtes bien la dernière personne de qui j’aurais besoin de l’aide.
- Je suis désolé pour l’autre jour. J’ai été odieux avec vous. Et si nous recommencions sur de bonnes bases : appelez-moi donc Robin, et sachez que je suis très heureux que vous nous ayez rejoints, Katelyn HUBBELL…

Juin 2016 : Le sang, chaud, qui coulait sur sa peau. Et la douleur qui maintenant prenait le pas sur la surprise. La fourmilière de ses camarades qui s’agitaient autour d’elle. Elle avait mal à la tête, affreusement. Que s’était-il passé ? Tout était flou dans sa tête, sauf cette douleur, lancinante, à l’épaule.
Ses yeux qu’elle reconnut en premier, ce pli d’inquiétude sur son front, il se jeta presque sur elle, comme si sa vie en dépendant, lui arrachant une grimace de douleur.
- Katelyn, mon Amour, j’ai eu tellement peur…
Puis il l’embrassa, liant avec désespoir leurs lèvres ensemble, et plus rien autour ne compta plus. Elle avait mal, mal au cœur de le voir ainsi inquiet... Mais que s’était-il passé ?
La blessure était profonde, la balle s’était fichée dans ses chairs et elle avait besoin d’une chirurgie. Dans l’avion qui la ramenait en Nouvelle-Zélande, leurs mains ne se lâchèrent pas un seul instant. Dans son coude était fiché le cathéter à travers lequel coulait le liquide transparent. Elle avait soif, affreusement, la gorge sèche, en feu, mais on refusait de lui donner quoi que ce soit à boire, elle devait passer au bloc opératoire dès leur arrivée et pour cela, elle devait être à jeun. Une légère fièvre commença à s’emparer d’elle, signe précurseur d’une infection qui s’installait. Elle  et s’accrochait aux yeux bleus de Robin.
- Je t’aime
Et elle sombra dans l’inconscience. Et tout était encore flou, trop flou dans son esprit…

Quelques jours plus tard…
Il l’avait veillée, jour et nuit, refusant de quitter son chevet, ne s’accordant que quelques moments d’assoupissement dans le fauteuil pas vraiment confortable de l’hôpital. Il attendait que sa belle au bois dormant se réveille…
- Mon Amour, je crois que ce n’est pas aujourd’hui que tu vas te débarrasser de moi…
Elle se voulait humoristique. Mais sa petite tirade tomba à plat.
- Ne dis pas ça Katelyn, tu ne peux pas imaginer à quel point j’ai eu peur de te perdre…
Et il l’embrassa, se fichant bien qu’une infirmière, un médecin ou une aide-soignante puisse entrer à tout moment dans la chambre.

Quelques jours plus tard, Katelyn retrouva enfin leur chez eux. Elle savait que la rééducation serait longue avant qu’elle ne retrouve toute l’amplitude de son épaule mais elle se battrait, comme une tigresse s’il le faut. Elle revenait de loin, sa fièvre n’avait fait que s’aggraver, le foyer infectieux avait été coriace, résistant à bon nombre d’antibiotiques, laissant les défenses immunitaires de Katelyn se battre seules contre plus fort qu’elles. Puis à force de pugnacité, la bonne combinaison avait été trouvée et le foyer infectieux détruit…

Katelyn se réveilla ce matin dans les bras de Robin, qui ne cessait de la veiller comme une enfant depuis son retour à la maison. Il ne cessait d’être délicat et de prendre des pincettes lorsqu’il s’approchait d’elle, comme s’il avait peur qu’elle ne se casse entre ses mains mais elle, n’avait qu’une envie : le sentir vivant contre elle, sentir ses mains sur son corps, leurs peaux électriques. Elle le réveilla d’un baiser.
- Katie… Comment vas-tu
- Ça va très bien, je vais bien Robin, tu m’entends ? Tout va bien…
Elle savait qu’il ne prendrait pas les devants alors elle le fit, lui montrant qu’il ne devait pas avoir peur, et qu’elle avait besoin de lui, besoin de se sentir vraiment vivante entre ses bras.
- J’ai eu tellement peur…
Elle lui coupa la parole par un baiser
- Je suis là, et tu es là, c’est le principal, tu ne crois pas ?
Il prit ses mains entre les siennes, rivant ses yeux bleus dans les siens
- Je ne veux pas que tu y retournes, Katelyn, je ne supporterais pas de vivre cela une deuxième fois… Ton métier c’est de nous soigner, pas de risquer de mourir…
- Robin, je suis militaire, comme vous tous… C’est mon métier, ça fait partie de moi et je suis heureuse de l’exercer. Je connais les risques…
- Promets-le moi Katelyn…
Elle hocha la tête, doucement mais ne dit rien. Elle était incapable de prononcer ses mots, comment pouvait-il lui demander de renoncer à cette partie d’elle-même ? Ne comprenait-il pas que sans cela, ils ne se seraient même pas rencontrés ? Elle ne pouvait renoncer à l’armée, après tout, c’était sa famille. Mais elle n’avait pas la force de se battre avec Robin pour ça pour le moment. Il était encore sous le coup de l’émotion et de l’inquiétude. Avec le temps, ça s’atténuerait, elle en était certaine… Et puis ils auraient bien l’occasion d’en reparler plus tard. Après tout, tant qu’elle n’avait pas terminé sa rééducation, elle n’était pas prête de retourner au travail…
Mais aujourd’hui, cette promesse qu’elle ne lui avait pas vraiment faite ne cessait de la hanter…

20 novembre 2016 : Robin était retourné en mission depuis deux mois. Une mission qui s’annonçait longue et difficile. Katelyn de son côté continuait la rééducation. Elle avait un kinésithérapeute en or, qui au fil des séances, est devenue son amie.
Le soir, Katelyn avait parfois du mal à trouver le sommeil et des cauchemars la réveillaient parfois en pleine nuit. Robin lui manquait, elle avait peur qu’il lui arrive quelque chose et qu’elle ne soit pas là pour le soigner, non pas qu’elle croit ses collègues incompétents, loin de là, mais elle aurait tout simplement voulu être également à ses côtés sur cette mission. Elle connaissait les risques quotidiens d’une telle mission, et cela ne rendait la séparation que plus difficile. Chaque jour lui paraissait être des mois. Elle ne vivait qu’en comptant les jours qui s’égrenaient avant leurs retrouvailles. Encore sept long mois… Cette année, Robin ne serait pas à ses côtés pour son anniversaire ni pour fêter Noël et rien que de penser à cela, son cœur se déchirait. Chaque jour passé aux côtés de Robin avait un goût d’éternité, chaque jour loin de lui était bien fade. Mais depuis la nouvelle qu’elle avait apprise hier, sa perception des choses avait quelque peu changée. Parce que le mois de Mai ne signerait pas seulement le retour de Robin…

Le cœur battant, Katelyn attendit que Robin se connecte pour leur discussion habituelle hebdomadaire. Ce soir, elle avait une grande nouvelle à lui annoncer.
- Hey, Katie, mon Amour, comment vas-tu ?
- Ça va et toi ? Et comment vont tous les autres ?
- Tu ne peux pas imaginer à quel point entendre ta voix me met du baume au cœur…
- Tu me manques tellement… Le temps passe bien trop lentement sans toi…
- Tu me manques aussi, mon Amour. Et ben écoutes, ici tout va bien. Il y a des jours où le moral est moins bon mais c’est normal je crois. Pour l’instant les choses sont plutôt calmes… La phase plus critique de l’opération n’a pas encore commencée pour le moment…
- Fais attention à toi, Robin
- Je te le promets…
- Robin, j’ai quelque chose à te dire de très important…
- Je t’écoute.
- Hier, je suis allée voir le médecin…
- Comment va ton épaule ?
- Très bien, la rééducation se passe bien mais ce n’est pas pour ça que je suis allée le voir…
- …
- J’ai eu un retard de règles ce mois-ci, alors je me suis inquiétée. Robin… Je suis enceinte, tu vas être papa ! Le médecin a dit que j’étais à un peu plus de deux mois de grossesse. Normalement, le bébé devrait être là pour Mai, peut-être même que tu seras rentré de mission lorsqu’il arrivera…
- Kat… Oh mon Dieu ! Je n’arrive pas à y croire… C’est une fabuleuse nouvelle… Je t’aime tellement… J’aimerais tellement être à tes côtés pour vivre tout cela avec toi, ça me rend fou… Tu diras à ce petit bébé dans ton ventre que son papa l’aime très fort et pense tous les jours à lui, hein, Katie ?
- Bien sûr que je lui dirais…. Je t’aime tellement Robin…
- Prends bien soin de toi, Katelyn, d’accord ?
- Oui Robin, je ne compte pas aller faire de sports à sensations fortes, ne t’inquiètes pas… Prend soin de toi aussi…
- Je regrette tellement de ne pas pouvoir voir ton ventre s’arrondir… Tu prendras des photos, dit ?
- Oui, oui, ne t’inquiète pas et je te dirais tout, je te le promets… Et finalement, c’est peut-être pas plus mal que tu ne me voie pas énorme comme une baleine, je n’aurais pas été vraiment désirable ainsi…
- Idiote. Arrêtes donc de dire des sottises…
- Moi aussi, je t’aime, futur papa BERGMAN
Et ils raccrochèrent, en rigolant tous les deux. Katelyn souriait, et ce sourire refusait de quitter ses lèvres. Elle était heureuse. Et elle avait hâte, hâte d’être en Mai pour pouvoir serrer dans ses bras les deux amours de sa vie : Robin, et ce petit bébé qu’elle aimait déjà de tout son cœur.

9 mars 2017 : Bientôt six mois étaient passés et les légers coups de pied à travers son ventre -qui s’était dorénavant arrondi- ne cessaient de l’émerveiller. Elle n’avait pas souhaité connaître le sexe de l’enfant lors de la dernière échographie, elle voulait garder la surprise. Tout allait bien, c'était la seule chose qui importait vraiment. Katelyn avait hâte de faire enfin la connaissance de cet enfant et en même temps, plus les jours la rapprochaient de cette rencontre, plus elle avait peur… Et si elle n’était pas capable d’être une bonne mère ? Plongée dans une énième lecture de Peter Pan, l’un de ses livres préférés, Katelyn sursauta lorsque retentit la sonnette de la porte d’entrée. Elle n’attendait personne, qui pouvait-ce bien-être. Elle regarda son reflet dans une glace : elle n’était définitivement pas présentable pour accueillir quelqu’un. Recherchant le confort, elle avait gardé le short qu’elle mettait pour dormir et portait avec une blouse assez ample ainsi que son bola de grossesse dont elle ne se séparait presque jamais. Un coup d’œil dans le lutin lui fit immédiatement reconnaitre le colonel Wagner. Tout à coup, son cœur se mit à battre plus vite. Que faisait chez elle le supérieur du régiment ? Elle ouvrit, les mains tremblantes, en oubliant même qu’elle n’était pas vraiment présentable pour une visite de son plus haut supérieur. Il ne sourit pas en la voyant, il avait l’air grave et immédiatement, Katelyn se mit à penser à Robin. Lui était-il arrivé malheur ? Elle ne pouvait pas l’envisager. Le destin ne pouvait pas s’en prendre à lui alors qu’il allait devenir père… Elle avala sa salive, difficilement, avant de se reprendre et de faire preuve d’un minimum de politesse envers le colonel.
- Bonjour colonel WAGNER. Je ne m’attendais pas à votre visite… Vous voulez que je vous serve quelque chose ?
- Je vous remercie sergent-chef BERGMAN mais ça ira. Pouvons-nous vous assoir quelque part ?
- Oui, bien sûr, suivez-moi, nous allons nous installer au salon…
- Comment allez-vous ? Votre épaule va bien ? Et votre grossesse se passe bien ?
Katelyn invita le caporal Wagner à s’installer puis elle s’assit à son tour en face de lui. Elle prit la parole, balayant sciemment les questions de son supérieur.
- Je ne voudrais pas paraître impolie mais si nous évitions de tourner autour du pot. Pourquoi êtes-vous là ? Je sais très bien que vous n’êtes pas venu simplement pour prendre de mes nouvelles….
- Très bien. Hier soir, nos hommes qui sont en mission ont été pris dans une embuscade. Il y a plusieurs blessés et une dizaine d’entre eux sont morts. Je suis au regret de vous annoncer que votre mari est décédé…
D’un coup, Katelyn se leva. L’air lui manquait, elle avait l’impression d’étouffer. Elle avait envie de hurler, de taper sur quelque chose, et les larmes refusaient de couler. Elle ne pouvait pas croire ce qu’elle venait d’entendre. Elle aurait dû être avec lui sur cette mission, elle aurait dû être celle qui recueillerait son dernier souffle, celle qui lui aurait tenu la main puis fermé les yeux. Elle était en colère contre elle-même, en colère contre le monde entier, contre ce fichu destin qui lui enlevait celui qui chaque jour la rendait meilleure, celui sans qui la vie ne valait pas vraiment le coup d’être vécue. La tête lui tournait tout à coup, elle pris appui sur le rebord du plan de travail de sa cuisine, essayant de respirer calmement mais même son corps tout entier semblait refuser ce qu’il venait d’apprendre.
- Katelyn, est-ce que je peux faire quelque chose pour vous ?
Qu’est-ce qu’il faisait encore là lui et pourquoi l’appelait-il par son prénom. Elle le regarda dans les yeux et sans même qu’elle ne sache comment elle trouva la force de parler, elle prononça les mots suivants :
- Allez-vous-en, allez-vous-en ! C’est la seule chose que je veux !
Puis son corps, épuisé par tant d’émotions lâcha et elle perdit connaissance.

Quelques heures plus tard…
Katelyn ouvrit les yeux, éblouie par les murs d’un blanc immaculé. Tout lui revint d’un coup en mémoire et elle regretta de ne pas être restée plus longtemps dans la torpeur de l’inconscience. Des électrodes étaient collées sur son ventre, qui enregistraient le rythme cardiaque de son bébé, de leur bébé. Elle posa la main sur son ventre puis prise soudain d’une angoisse qui lui prit le cœur en étau, elle appuya avec désespoir sur le bouton de la sonnette. Quelques minutes plus tard, une infirmière arriva.
- Qu’est-ce qu’il vous arrive ?
Katelyn ne put s’empêcher de rire, d’un rire nerveux qui donna certainement l’impression à l’infirmière qu’elle se moquait d’elle, ce qui n’était pas le cas…
- Qu’est-ce qu’il m’arrive ? Ce serait plutôt à moi de vous poser la question. Qu’est-ce que je fais ici ?
- Le colonel WAGNER vous a amenée. Il nous a tout expliqué.
- Tout expliqué ? Expliqué quoi ? Vous a-t-il dit que Robin était l’homme de ma vie, qu’il était le seul qui était capable de me faire rire, le seul avec qui je ne craignais pas d’écouter mon cœur, de croquer la vie à pleines dents, et même de faire des choses un peu folles ? Vous a-t-il dit tout ça ? Parce que je crois que vous ne pouvez pas comprendre. Vous ne pouvez pas comprendre que je ne serai pas capable de vivre sans lui….
- Vous devez vous reposer… Il y a votre enfant… Quand vous êtes arrivé, le bébé était en détresse respiratoire. Là, ça va mieux mais nous devons surveiller. Vous allez rester ici, au repos, complet parce qu’il y a un risque de naissance prématurée. Nous allons faire tout ce que nous pouvons pour que le bébé reste encore un maximum de temps dans votre ventre mais pour ceci, il faut avant tout que vous vous reposiez… Oh et puis, je pense que ça pourrait vous faire du bien de rencontrer une psychologue…
- Alors comme ça, vous me prenez pour une folle ?
- Ce n’est pas du tout ce que j’ai dit…

27 mars 2017: Dix-huit jours. Dix-huit-jours que la vie de Katelyn était un véritable enfer. Dix-huit jours à être prisonnière de cette pièce aux quatre murs blancs. Les médecins avaient même voulu l’empêcher de se rendre à la cérémonie d’hommage à Robin et aux autres soldats décédés lors de cette embuscade mais il avait hors de question pour Katelyn de louper cet instant. Disons qu’elle avait su se montrer persuasive auprès du personnel soignant. Elle était même allé jusqu’à les menacer de fuguer. Ils l’avaient tellement prise au sérieux, ils avaient tellement eu peur qu’elle fasse quelque chose d’inconsidéré qu’ils avaient fini par accepter, mais à certaines conditions : hors de question qu’elle y aille debout, alors, un fauteuil roulant était devenu son « carrosse », et interdiction de rester plus de deux heures à l’extérieur, cela aurait été trop fatiguant. Alors Katelyn s’était soumise à ses règles, promettant de se tenir tranquille. Depuis dix-huit jours, Katelyn n’avait reçu que très peu de visites à l’hôpital. Elle avait pris la décision de couper son téléphone portable car elle avait besoin de faire un « break » avec tous ces gens de l’armée qui ne cessaient de l’appeler pour prendre de ses nouvelles. Et surtout, elle ne voulait pas de leur pitié, elle ne voulait pas non plus les voir car elle savait que tous lui feraient penser à Robin, rouvrant cette blessure à vif de son cœur, loin d’être cicatrisée. Et elle n’avait pas l’énergie pour ça. Elle devait se concentrer sur l’enfant qu’elle attendait, cet enfant qui était déjà à ses yeux un trésor, car reflet de l’amour que Robin et elle avaient partagé.

Ce matin, l’état du petit bébé dans son ventre s’était dégradé. Les soignants avaient alors commencé à se suivre, les uns après les autres, dans sa chambre. Et Katelyn, la peur au ventre, murmurait à ce petit bébé de rester encore un peu plus longtemps dans son ventre. Elle voulait le garder encore un peu plus, en sécurité, en elle. C’était encore bien trop tôt pour que cet enfant vienne au monde.
Une césarienne. L’ébullition dans le bloc opératoire, tout le monde s’affairant à ses tâches et tout cela donne mal à la tête à Katelyn. Anesthésie seulement locale. Des discussions animées comme si elle n’était pas là, comme si elle ne pouvait entendre dans leur voix l’inquiétude, l’urgence de la situation, ce petit bébé entre la vie et la mort et qu’il faut sortir au plus tôt. Son bébé. Et puis le silence. Un homme en blouse qui sort en courant, un drap entre les mains. Son bébé.
Katelyn, les larmes aux yeux, interroge l’infirmière anesthésiste auprès d’elle.
- Comment va-t-il ? Je veux le voir !
- Calmez-vous. Des professionnels sont en train de prendre soin de votre enfant. Ils viendront très vite vous donner des nouvelles.
Et Katelyn réduite au silence, et prisonnière de cette table d’opération, interdite de poser des questions auxquelles on est bien incapable de lui donner des réponses tellement la situation est incertaine : comment va le bébé ? Va-t-il vivre ?...

Le lendemain
Une nouvelle fois, Katelyn avait fait appel à son pouvoir de persuasion. Son bébé, hospitalisé en réanimation néonatale qu’elle n’avait pas encore pu voir et elle, prisonnière de son lit, des murs de la maternité. Comment pouvait-on imaginer qu’elle accepte de laisser plus longtemps son bébé seul ? Les médecins ne voulaient pas, prétextant qu’il fallait qu’elle reste encore au calme pour ne pas risquer de complications dues à sa cicatrice. Mais Katelyn n’entendait rien de tout cela. Elle se fichait bien de tout cela. La seule chose qui comptait, c’était cet enfant et cet enfant avait besoin de sentir sa mère auprès de lui. La voilà donc devant les portes de la réanimation néonatale, en fauteuil roulant, sa cicatrice la faisant souffrir dans cette position assise mais hors de question d’abandonner si près du but. Elle allait voir son bébé puis elle retournerait se reposer, c’était promis.
La réanimation, un endroit dans lequel on ne rentre pas avant d’avoir satisfait à tout un ensemble de rituels. Les consignes de l’infirmière qui lui explique comment se laver les mains, comment enfiler cette blouse de tissu et cette charlotte. Katelyn qui s’exécute comme un robot, mais ce qui la marque avant tout, ce sont ces bruits incessants de machine, des sonneries qui bientôt hanteront jusqu’à ses rêves.  
L’infirmière l’accompagne jusqu’à une couveuse tandis que Katelyn absorbe tout cet univers où elle passe depuis ce jour, une grande partie de ses journées. Un univers hyper médicalisé et hyper technicisé, un univers où, chaque jour, la mort est repoussée.
- Félicitations, c’est une adorable petite fille. Comme souhaitez-vous l’appeler ?
- Ce sera Joséphine, Joséphine BERGMAN.
Les yeux de Katelyn étaient incapables de se détacher de ce minuscule corps dans la couveuse, relié à plusieurs tuyaux.
- Je trouve que ça sonne très bien… Si vous voulez, vous pouvez la toucher….
- Je ne sais pas… Elle est si petite, j’ai peur de lui faire mal. Combien pèse-t-elle ?
- Elle pèse 900 grammes. Si vous ne vous sentez pas prête, ne vous inquiétez pas, c’est tout à fait normal. Sachez que vous pouvez le faire et quand vous vous sentirez prête, vous pourrez nous appeler à n’importe quel moment, on viendra vous accompagner. Vous pouvez lui parler également, elle vous entend et elle reconnaîtra votre voix… Je vais vous laisser un peu, d’accord ?
Katelyn hocha la tête puis se rapprocha un peu de la couveuse. Une larme coula sur son visage. Elle ne pouvait s’empêcher de se sentir coupable, coupable de n’avoir pu garder cette petite fille un peu plus longtemps en elle… Et Robin lui manquait, terriblement.  Bientôt, ceux qui étaient parti en mission avec lui rentreraient et Katelyn savait que ce moment serait dur pour elle. Mais maintenant, elle avait un autre combat à mener : cette petite fille qui se battait pour vivre. Tout doucement, elle approcha son visage et chuchota :
- Maman t’aime Joséphine, ma petite princesse. Et papa veille sur toi, j’en suis certaine. Je sais que tu dois avoir mal, que tout ça n’est pas facile, que cet environnement ne doit pas être confortable pour toi en comparaison avec mon ventre, et j’en suis désolée. Je sais que peut-être, tu peux avoir envie de stopper le combat, et de rejoindre papa mais s’il te plaît, ne me laisse pas, ma Joséphine. Parce que maman va se battre pour toi, je te le promets… Je t’aime.
Et ça lui faisait mal de prononcer ces trois mots : Je t’aime. Parce que la dernière personne qu’elle avait aimée de tout cœur était Robin et que celui-ci était parti. Elle ne supporterait pas de perdre Joséphine également…