Dites-moi qui est la personne en qui vous avez le plus confiance ?
-Ma mère.
Et celle que vous craignez le plus ?
-Ma mère.On raconte que les miraculés naissent alors qu'ils n'auraient "pas dû". Qu'ils ont été sauvés par Dieu en personne de l'accident, ou de toute autre chose qui aurait pu les empêcher de contempler le jour.
C'est après la naissance prématurée de son enfant et dans l'optique du remerciement éternel que Mme Woolf éduqua son fils, promettant ce dernier à une longue vie dédiée au Seigneur. On lui avait bien rappelé :
"un peu plus tard, et le petit n'aurait pas..." la suite est limpide. "Les miraculés"... Osric était probablement impatient de découvrir les couleurs de la vie au moment où il a décidé de quitter la poche. Peut-être trop impatient.
Il était un enfant poli, droit et jamais de mauvaises paroles ne semblaient évacuer du seuil de ses lèvres. Sa mère le déclarait "proche de Dieu", une zone de sûreté dans laquelle son fils ne craignait rien et n'aurait rien à craindre. Cela au détriment d'une certaine férocité morale, si elle n'était pas physique.
Un décalage eut alors lieu entre Osric et tous les camarades de classe. Les premiers se baladeraient avec leur ballon de foot et leurs vieilles plaisanteries acerbes à la bouche ; le second franchirait la cour de récréation avec la sainte bible coincé sous le bras. Cependant, personne ne lui en tiendrait rigueur : Mme Woolf ayant déjà largement fait les preuves de sa colère divine face aux professeurs et à toute représentation autoritaire.
Osric garderait donc la présence littéraire de Dieu à ses côtés.
Ce qu'on ne savait pas, c'est que derrière ce visage blanc et ces paroles dénuées d'impuretés, se cachaient les bleus de la violence. On ne pouvait pas savoir... Ni d'où ça venait, ni pourquoi ils étaient là. Et personne ne posait la question, parce que personne ne faisait attention.
Les bleus étaient la réponse aux rares bévues, à la mauvaise foi occasionnelle. Mme Woolf était passionnée. Pour toute autre femme, le Dieu de leur vie aurait été leur mari. Pas pour Mme Woolf qui ne vivait et n'avait vécu que pour servir son idéal ultime, invariable, intarissable. Ce qu'elle ne pouvait voir elle le bénissait, le haïssait parfois ensuite, mais répétait son adoration toujours.
L'arrivée de son fils n'avait fait qu'alimenter cette fervente croyance.
(...)