DEHORS AUX ETOILES (BOO)

j'ai l'habitude, le soir, avant de rentrer dans mon petit appartement tout pourri qui sert à rien, d'aller voir un lac, pas très loin, quelque part, un ruisseau, un point d'eau, une flaque, dans lequel je trempe mes pieds, et je répète ce manège, parce que ça m'amuse de me voir dans le reflet et de lui sourire, et de sentir l'eau qui se promène le long de mes nougats. ≈ quand je suis face à la mer, je prends un galet, je le frotte mes doigts contre lui, je tourne sept fois ma langue dans ma bouche (je fais ça aussi quand je dois prendre une décision importante), et je le lance loin, le plus loin possible, le plus loin de moi, et j'essaie de l'entendre s'écraser contre l'eau, et je me sens plutôt forte, de l'avoir envoyé là bas. ≈ avant, avant avant, quand j'étais plus jeune, je me suis cognée contre un arbre, à saigner à mort. mais je suis pas morte. j'ai juste eu une semaine à l'hôpital avec un front ensanglanté enroulé dans une bande de sparadraps et avec pleins de gens en blouse blanche (j'ai appris plus tard que c'était des docteurs et des infirmiers). j'ai réfléchi, là bas, et j'ai songé que la vie était vraiment étrange, et j'ai décidé de la vivre au jour le jour, juste pour voir ce que ça fait si on ne prévoit pas grand chose à l'avance. ≈ un jour, je suis allée sur internet (oui chez moi j'ai ça) et je savais pas quoi entrer dans la barre de recherches, j'ai tapé sauvage (car à l'époque je devais sûrement trouver ça trop cool). il y avait pleins de résultats, j'ai vu recherches associées : enfant sauvage. j'ai passé l'après midi devant des cas spéciaux et je me suis dit qu'un jour, je serais une enfant sauvage, la chair de la chair de la nature. j'ai abandonné le projet. ça me traumatisait. ≈ j'ai vingt ans, je m'appelle boo, ma patronne qui m'embauche m'appelle pas, adore mettre 29303021 smileys dans ses sms et orthographie mon prénom bau au lieu de boo et le prononce pas moins. ma mère a trouvé son bonheur au supermarché : un homme tellement cool que dès qu'il ouvre la bouche tout le monde rit. je l'aime bien il est cool et comme moi, il a choisi de vivre au jour le jour. j'ai un frère, pas de sang ni de coeur ni de rien du tout, c'est un frère, un double un peu, partout où je suis il est et inversement lorsqu'on est dans la rue. et on poursuit notre route comme des malades. ≈ j'aime : les princes, le petit prince, les playmobils, les oréos, les livres neufs (odeur), les fleurs, les gens, la vie, les cloportes, les gentils, les gros durs et pleins d'autres choses qui sont utiles et in'utilise et ce serait trop long à expliquer.≈ j'aime pas : les vilains gaillards, les jeux vidéos, la wii, les smileys, mettre une majuscule et un point au début et à la fin des phrases, utiliser il y a (mais pas le choix des fois), la formule il était une fois, les films qui font hypertexte peur avec de la musique hypertexte stressante ( en général j'aime pas tout ce qui est hypertexte, exemple : hypermarché), les produits pseudo biologiques, les sciences, les acides désoxyribos nucléiques que je sais jamais comment ça s'écrit c'est pour ça), les calculs (mentaux) et pleins d'autres trucs pas forcément avouables ici ≈ j'aime moyennement : ranger, le bazar, les gens étrangement étranges, les gros lourds, les clichés, le vieux qui fait de l'ombre au neuf et inversement, trier mes déchets bien comme il faut (trop dur), rentrer dans l'eau froide quand il fait chaud, entendre les voisins regarder le match de foot en criant alleeeeeez vas y xkzjiedokz, marcher sur des graviers pieds nus, prendre le bus avec une mamie qui me parle de sa vie, manger devant tout le monde, voler et pleins d'autres trucs (...) ici ≈ des fois je me dis que la vie est belle même si tout est moche, l'avantage d'être mort c'est qu'on ressent plus rien mais justement c'est pas drôle de pas réfléchir et puis après tout c'est pas grave si y a un problème c'est qu'il y a une solution mais si y en pas c'est qu'il devrait pas y avoir de problème et ensuite je comprends rien, j'crois que (ré)fléchir c'est mauvais pour la santé ≈ moi si je suis sur terre, c'est pour faire un maximum de trucs dans la journée : exemple (ma vie est constituée d'exemples débiles) trouver où l'on peut acheter des serviettes de bains pour moins cher en été, on est le bar le mieux pour passer une soirée entrès potes, cartographier la ville avec un crayon de bois et une feuille format raisin, en manger, rire et pleurer,  et puis travailler peut-être. ≈ je vois les choses en grand, parce que c'est tellement mieux d'avoir des choses imposantes que toutes riquiqui devant soi, même si le riquiqui n'est pas ridicule. des fois, je m'arrête et je le regarde, pas trop longtemps, juste assez, et je l'imagine plus grand, plus magistral. plus vrai. ≈ j'apprends le grec. je sais écrire en grec. parler, moins. mais quand même. et puis, je peux réciter quarante décimales du nombre pi sans me tromper. et aussi, je peux jongler, faire du cloche pied sur le pied droit pendant dix minutes sans me fatiguer. voilà. je sais faire ça, je sais pas à quoi ça va me servir. mais pourquoi pas. ≈ j'ai peur : des vilains vrais, de l'alcool, de la cigarette, des voitures qui roulent à plus de 120 km/h, des dangers, des produits nocifs, de plus voir les gens que j'aime, des crapauds ≈ j'ai pas peur : des gorilles, des araignées, des moustiques, des gros durs qui se la jouent, des faux filous, des faux-filets, des fautifs, des gribouillages, des enfants, des personnes âgées, de tout ce que n'ai pas peur ≈ la ratatouille c'est chouette, la raclette aussi. ≈ je veux créer un jardin potager ≈ je veux avoir ma propre maison (sale) ≈ je veux avoir un gros chien ≈ je sais pas ce que je veux ≈ je privilégie la qualité à la quantité (j'essaie) ≈ je veux être plus concise ≈ je veux du rire, du lol, de l'amour ici ≈ j'aime la couleur grise ≈ je crois en moi, en toi, en nous ≈ j'aime les tomates ≈ non d'un asticot