Sous un soleil couchant du mois d’août, le jeune Adam domptait les vagues en compagnie de sa fidèle planche. Dans ces moments là, plus rien ne l’arrêtait. Il n’y avait que lui et cette folle obsession : prendre la bonne vague. Son rêve depuis qu’il avait commencé le surf était de réussir un jour à faire un tube c’est-à-dire à surfer en étant recouvert par la lèvre de la vague. C’était la figure ultime en surf, certains surfeurs affirmaient même que se retrouver à l’intérieur donnait des sensations plus intenses que le sexe. Adam en rêvait jour et nuit, c’était le but de sa vie. Car oui à cette époque, rien ne l’intéressait plus que le surf, c’était sa passion et il ne jurait que par ça. Sa maison d’enfance se situait juste sur la côte atlantique de la France, la plage à même pas deux minutes à pied. Le jeune garçon était à peine sorti de l’école qu’il se dépêchait de prendre sa planche pour aller surfer sur les vagues folles de l’atlantique. Ce jour là, Adam était persuadé que c’était le bon. Le temps était parfait, il y avait un vent offshore qui creusait et relevait les vagues comme si elles appelaient le jeune garçon. Cela faisait maintenant plus d’une heure qu’il était dans l’eau sans succès. Soit il perdait l’équilibre, soit les vagues n’étaient pas assez grandes, soit le timing n’était pas le bon. Malgré cela, il ne perdit pas espoir et ne lâcha rien. Il était plus que déterminé et rien ne pouvait l’arrêter. Par moment, la mer était calme et aucune vague ne se pointait. Comme si l’océan lui parlait, Adam s’éloigna de quelques mètres de la plage pour se situer exactement où les vagues étaient à leur point culminent. C’est comme s’il avait un instinct, un sixième sens qui lui faisait ressentir chaque vibration de la mer. Au loin, l’océan prenait une courbure qui lui était si familière, si agréable : la naissance d’une vague, de la vague. C’était elle, c’était la bonne, il pouvait la sentir au fond de lui. Petit à petit, elle s’approchait de lui en ne cessant de grandir. Rapidement, Adam se mit en condition dos à celle-ci et commença à nager allonger sur sa planche. L’adrénaline l’avait complétement envahit, c’était son moment et il ne devait pas le rater. Il attendit que la vague l’ai rattrapé afin de se laisser glisser. Au moment crucial qu’il ne durait que quelques millièmes de secondes, le jeune garçon se mit d’un geste confirmé accroupi sur ses pieds et bascula son poids pour se laisser tomber dans le fameux, le sublime et l’unique tube. Alors qu’il prenait de la vitesse, il se redressa complétement pour se trouver debout sur sa planche tout en encaissant les vibrations de l’eau. La vague continuait sa progression et se refermait au fur et à mesure au-dessus de la tête du surfeur. Il y était, il avait réussi. Un sourire se dessina sur son visage et il lâcha un cri de joie tout en restant concentré sur sa folle course. Une de ses mains caressait du bout des doigts la vague, tout était parfait. Il profita de chaque seconde de ce moment de sa vie qui restera gravé à jamais. Une fois sorti de cette vague, Adam se laissa tomber dans l’eau en levant les bras comme signe de victoire. Il regagna la plage et sortit de l’eau en courant comme il pouvait avec sa planche sous le bras. Sa mère était là, elle l’avait observé depuis le début et savait à quel point c’était important pour lui.
« T’as vu Maman, t’as vu ! J’ai réussi, c’était magique ! Maman je suis trop content ! ». Voir son fils aussi heureux était une sensation indescriptible pour une mère. En guise de réponse, elle le prit dans ses bras pour le serrer très fort et lui dire qu’elle était si fière de lui. À cette époque, Adam était jeune, insouciant, heureux.
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Une explosion. Des écroulements. Des cris. Des balles qui sifflent. Encore des cris. Adam et son escouade était en plein affrontement au cœur de la capitale d’Afghanistan, Kaboul. C’était en pleine journée sous une chaleur étouffante du mois d’août. Un groupe de soldats opposants avait décidé d’attaquer l’armée adverse par des explosifs. Le groupe d’Adam avait été obligé de fuir et de se réfugier dans un bâtiment tenant encore debout pour échapper aux flammes. On pouvait lire dans les yeux des soldats de la peur, ils étaient pris au piège. Le sergent tenta de reprendre le dessus en élaborant un plan de secours. Pour cela, il envoya Adam et Grégoire, un autre soldat de l’escouade, en éclaireurs pour trouver une sortie dans le bâtiment. Même s’il avait peur, le français ne se laissait pas abattre et était déterminé à sortir de cette ville en vie. Le bâtiment était assez sombre ne laissant que très peu de visibilité aux deux jeunes hommes. Ils avançaient en silence dans un couloir aux aguets. Ils n’étaient pas en sécurité et l’ennemi pouvait surgir à n’importe quel moment.
« On se sépare ? Tu prends à gauche, je vais à droite. Si ça ne va pas, on cri. » Adam écouta son camarade et pris le couloir de gauche. Son souffle était saccadé et on pouvait entendre son cœur battre. Son seul objectif était de trouver une sortie à cette prison, le sergent et tous les autres soldats comptaient sur eux. Il pouvait entendre le cri des civils dehors, c’était un cauchemar. Alors qu’il continuait son exploration, son nom résonna dans le couloir. Grégoire. Ni une ni deux, il fit demi-tour et couru rapidement pour rejoindre l’émetteur du cri. Il le trouva allongé par terre sous une poutre en bois qui était tombé. Adam se précipita à ses côtés et tenta de le dégager de là. La poutre était beaucoup trop grosse, elle ne bougea pas d’un centimètre.
« Je crois que c’est foutu mon pote ». Grégoire avait ce petit sourire en coin des lèvres, il avait compris que c’était sûrement la fin pour lui. Adam n’était pas de cette idée et essaya de trouver des solutions. Il tenta de faire levier avec un autre débris mais impossible. Il ouvrit son sac et trouva une corde. Il l’accrocha à la poutre et la fit passer derrière un poteau résistant. Il tira de toutes ses forces mais rien ne se passa.
« Peters, arrête ». « Je ne te laissera pas tomber ». Après des dizaines de tentatives, le français s’assit auprès de son ami et lui fit boire quelques gorgées d’eau. Il le rassurait en lui répétant que les autres allaient bientôt arriver, ce n’était qu’une question de temps. Mais ce qu’Adam ne savait pas, c’est que des ennemis s’étaient déjà introduits dans le bâtiment et avait ouvert le feu sur les soldats de son escouade. Seulement quelques uns s’étaient échappé et courraient dans la direction du français jusqu’à le rejoindre. Ils étaient complétement sous le choc, certains étaient blessés mais le pire, ils avaient perdu espoir. Ils ne s’arrêtèrent pas et crièrent à Adam de s’enfuir. Le soldat français ne savait pas quoi faire, il était désemparé. Au fond, il entendis des cris et des coups de feu, les ennemis arrivaient.
« Peters, tu dois partir. Maintenant ». Adam secoua la tête et dans un immense souffle, il tenta encore et encore de dégager son ami. Des larmes commencèrent à couler le long de ses joues, il ne savait plus quoi faire.
« Grégoire, reste avec moi du m’entend. Je vais te sortir de là, je te le promet. ». Alors qu’Adam tentait en vain de sortir la poutre, un petit garçon afghan arriva paniqué sur le lieu. C’était un civil, jeune et innocent, qui fuyait tout comme eux. Il pris le bras d’Adam et le poussa à le suivre tout en lui parlant dans sa langue. Adam ne comprenait rien mais lui montra son ami allongé par terre. Le garçon regarda rapidement le soldat et se reconcentra sur le français qu’il tenait par le bras. Ce regard, Adam s’en souviendra toute sa vie. Même s’il ne parlait pas la même langue, il comprit de suite qu’il n’y avait plus aucun espoir pour Grégoire. Ils restèrent plusieurs secondes à s’observer avant que des bruits de balles ne résonnent. Le jeune civil pris le bras du français et le poussa à courir avec lui. Sous le choc et les yeux dans le vide, Adam se laissa entrainer par le petit garçon. S’il est encore en vie aujourd’hui, nous pouvons dire que c’est grâce à lui. Même s’il s’en est sorti vivant, Adam a laissé une moitié de lui dans cet enfer. Il avait promit à son ami de le sauver et de le ramener en vie mais il a échoué. À partir de ce jour là, Adam a changé. Le petit garçon heureux et plein de vie a laissé place à une homme blessé, froid et distant.
« Fuis Peters… et reste en vie », ce fut les derniers mots du soldat Grégoire Richard.