I Was Here (Sofia)

Elle avait posé son front contre le sien, les yeux fermés, elle savourait cette étreinte, la dernière avant longtemps. Cette seule idée lui fendait le cœur. Dieu sait quand ils auraient l’occasion de se revoir. Des semaines, des mois, des années ? Elle renifla tristement et Evan resserra la pression de ses bras autour d’elle avant de donner un petit coup de son nez dans le sien. Elle ouvrit les yeux et vit qu’il souriait. Un sourire triste qui étirait ses lèvres mais ne rejoignait pas ses yeux. Ses prunelles azurées elles ne souriaient pas. Au contraire, plus sombres que d’habitude, presque orageux, les yeux se son petit ami affichaient la même tristesse que l’on pouvait lire dans ses yeux à elle. Des yeux marrons tellement moins originaux que ceux d’Evan. Elle se demandait souvent ce qu’il lui trouvait. C’est vrai, il était beau comme un dieu, musclé par des années de pratique dans l’équipe de natation du lycée, avec un sourire qui pouvait vous faire oublier jusqu’à votre prénom. Il aurait pu avoir toutes les filles de Seattle à ses pieds, et pourtant, c’est avec elle qu’il sortait depuis bientôt deux ans. Une donne qui, elle en était certaine, ne tarderait pas à changer. Il avait beau lui faire toutes les promesses du monde, elle avait beau avoir une confiance aveugle en lui, elle ne faisait pas confiance aux autres filles, à commencer par Sienna Paxton, la meilleure nageuse de l’équipe féminine de natation de la ville, une blonde plantureuse que des années de natation avaient, elle aussi, doté d’un corps parfait à condition de ne pas regarder ses épaules de camionneur disait toujours Evan pour la rassurer… Elle sourit faiblement à ce souvenir et releva les yeux vers le garçon qui lui souriait tendrement. Il allait tellement lui manquer… « Allez, ne soit pas triste... La Nouvelle-Zélande, c’est pas le bout du monde ! » Justement, si… Elle sourit à nouveau avant de renifler pour tenter de retenir les larmes qui menaçaient d’inonder ses joues. L’une d’elle se fraya un chemin à travers ses cils qu’Evan essuya avec son pouce. Elle ferma de nouveau les yeux et se détendit à son contact. Parfois, comme en cet instant, elle était persuadée qu’ils pourraient s’en sortir, vivre chacun à un bout de la planète et se retrouver plus tard, plus forts que jamais. Puis la  seconde d'après, la réalité lui revenait en pleine tête, comme une gifle cuisante et elle désespérait de partir si loin de lui. Ca arrivait à chaque fois : « Sofia, c’est l’heure de partir ma chérie, on ne peut pas manquer notre avion… ». La gorge serrée, l'intéressée secoua positivement la tête sans pour autant relâcher son étreinte autour du corps musclé de son petit ami qui déposa un long baiser sur son front, suivit d'un plus bref sur le bout de son nez avant de déposer sur ses lèvres un baiser qui, elle l'aurait juré, avait un goût d'adieu. « Sauve toi avant que j'arrive plus à te laisser partir...» Souffla-t-il d'une voix rauque avant de détacher ses bras de son corps. Sofia renifla à nouveau et lui adressa le plus beau sourire qu'elle était capable d'afficher malgré son désespoir avant d'attraper le manche du chariot qui lui servait à promener partout avec elle sa bouteille d'oxygène. Tout en se dirigeant vers la voiture, elle garda les yeux rivés sur Evan. Elle trébucha à quelques mètres du véhicule mais parvint à conserver son équilibre, ce qui les fit sourire tous les deux et convainquit Sofia de lâcher son petit ami du regard pour se concentrer sur sa route. Lorsqu'enfin elle atteignit la portière de la vieille Ford de sa grand-mère, elle s'installa sur le siège arrière et se retourna à nouveau vers Evan. La voiture démarra et la silhouette du garçon commença à rapetisser. Plusieurs fois, Sofia s'imagina hurler à sa grand-mère de s'arrêter pour la laisser descendre. Plusieurs fois elle s'imagina sauter de la voiture en marche et courir jusqu'à Evan pour se jeter dans ses bras. Puis quand il fut enfin hors de portée, elle se résigna. Une partie d'elle même serait toujours ici, avec Evan, avec la dépouille de son père aussi, quelque part dans le cimetière de la ville, et sous l'angle décollé d'un laie de papier peint dans sa chambre, là où en faisant ses cartons, elle avait griffonné "I Was There"