if knowledge is the key that buys tomorrow, seek it ‹ kseniya

+ AVRIL 2014
« Mademoiselle? Madem... Excusez-moi, mademoiselle, mais nous devons fermer les portes dans cinq minutes. »Je reste accroupie là, les yeux dans le vague alors que j'ai enfin trouvé ce que je cherchais. Un carré de terre un peu à l'écart du reste du cimetière, un environnement plus vierge de mort et tristesse que le reste alentours, un peu comme si, s'il ne devait y avoir qu'un seul endroit à être épargné par le maussade et la nostalgie, ça devait être celui là. Un petit carré de terre, sous un saule dominant le lieu depuis la colline. Les cimetières n'étaient jamais bien glauques ici, pas comme en Russie où bien souvent ce n'était que des tombes l'une contre les autres, délimitées par des grilles supposées protéger les sépultures, peignant le paysage d'un gris de pierre polie et un bazar intégral de révérence et de crainte. Ici, la nature avait toujours un mot à dire, et s'il ne parlait pas de tant de tristesse, le lieu aurait pu être considéré magnifique. Il m'arrivait encore de me demander pourquoi elle préférait être ici, plutôt que retourner "à la Mère Patrie" mais je me moquais de tout ça. A dire vrai, cela m'arrangeait. Je préférais l'écart, la solitude, même si c'est ici que le fossoyeur sait me trouver parce que cela fait des mois maintenant que cette habitude se ritualise. Des mois. Déjà... L'autre continue à parler comme s'il pensait que le fait d'être pressée allait me pousser à abréger ma visite. Pfff. Je n'étais peut-être qu'une jeune femme, mais je n'allais pas couper court à mes habitudes juste parce qu'ils décident de fermer l'enclave deux heures avant la fermeture habituelle. Un autre jour, peut-être aurais-je cédé, mais aujourd'hui... Non. Pas aujourd'hui. De façon peu caractéristique, je me faisais un devoir d'ignorer les appels pour ne me concentrer que sur la raison de ma venue. Pas de respect, cet homme, surtout si la fermeture précoce n'était annoncée nul part. Et en l'absence de la seule personne que j'acceptais encore d'écouter et de suivre aveuglément, il s'imagine perturber ma nécessité en brayant comme un nouveau né... Non mais je rêve...

« Sérieusement ? »

Un murmure ébahi, amusé presque, dément à un certain point, exténuée surtout, avant de ne rester concentrée que sur la pierre que je venais de retrouver, parfaite, comme m'attendant pour marquer l'emplacement d'un énième hommage à la première personne qui mériterait jamais mon amour le plus total. Un peu de mousse souillait le matériau froid, et je l'évinçais d'un coup de main, laissant les quelques fleurs devant, plongeant mon regard sur la surface polie comme si je pouvais y graver d'un seul souhait le nom de celle qu'il me manquait de voir tous les matins. Elle était toujours le premier à me consoler lorsqu'un cauchemar me ramenait dans la maison qu'il nous avait tardé quitter une fois le Mur tombé. Une enfance noyée dans l'existence sous un régime communiste; nous n'étions jamais tranquille, avec le métier de mes parents signifiant une prise inconsidérée de risques et elle était consciente de mon opinion sur l'abandon et la peur de me retrouver seule. Elle savait. Et plus important encore, elle avait promis. Promis lorsque nous étions arrivées ici que je ne me retrouverais seule. Que quoi qu'il arrive, elle serait toujours là pour moi.

Elle avait menti.

Je n'avais que vingt-huit ans, peut-être, mais il n'y avait pas vraiment d'âge pour manquer la personne qui t'avait donné la vie.

« Hey !! »

Je hausse les épaules dans une attitude je m'en foutiste et ferme les yeux à l'entente de cette voix, les paupières serrées au moins autant que l'étau qui prends prise sur mon coeur, et si je me laisse aller, je peux la sentir. La savoir là. Peut-être même que... j'ouvre les yeux. Elle caresse ma joue du plat de la main comme elle le faisait toujours pour me réconforter et m'adresse un rictus amusé bien que réprobateur (elle n'aime probablement pas que je l'appelle "menteuse", c'est ma mère après tout), ce même trait des lèvres qui m'aura rassurée pendant si longtemps. Je m'étais toujours référée à elle, et aujourd'hui rien n'avait plus le moindre sens. Mon père avait disparu je ne sais où, le reste de ma famille était en Russie et je me retrouvais sans la moindre personne pour discuter ce qu'elle avait révélé. Le secret qu'ils avaient tenu; la vie que j'avais pensé idéale (bien que pas simple) s'avérant presque un mensonge à l'idée qu'elle était là bas, quelque part, peut-être à souffrir du manque de commodités que j'appréciais tous les jours. Une petite soeur, comme je l'avais rêvé enfant. Ils avaient affirmé qu'il ne s'agissait que d'une amie imaginaire et, enfant, j'avais fini par les croire. Aujourd'hui, la confession de ma mère me hantait et, sans personne pour me tenir en balance, me rassurer que tout irait bien, je me sentais perdue. L'écho de la personne que j'avais adulé ma vie entière s'assieds enfin près de moi, jambes fermées, bras croisés dessus et observe doucement l'environnement dans lequel je chérissais son souvenir. Muette des réponses qu'il me tardait d'obtenir de sa part.


+ ÉTÉ 2016
C'était l'exercice pour lequel mon père et moi étions les plus doués: main dans la main, courir comme si le diable était à nos trousses et trouver encore le moyen de nous esclaffer tout en fendant la foule qui nous séparait de la porte d'embarquement. S'il avait pu, je ne me serais absolument pas gênée pour lui procurer un billet d'avion, le voir m'accompagner et s'assurer que je m'habituerais sans souci à mon futur "chez moi". 30 ans sur ma tête et à ses yeux, j'allais toujours être sa petite fille. Si seulement il avait pu; mais il m'avait fallu tant de temps pour me trouver un petit job et obtenir mon visa, il aurait été d'autant plus difficile pour lui de suivre. Alors on fait comme si de rien n'était, on ignore la séparation approchant. Au lieu de quoi, on se retrouve là à courir comme deux fous en plein aéroport, à passer la moitié du temps à rire et l'autre à nous excuser auprès des autres passagers pour les avoir bousculés. C'était une chance que nous étions tous les deux assez bien habitués à la course, puisque je doute que nous aurions pu survivre à notre trot à travers tout le terminal pour parvenir enfin à la porte qui accueillerait désormais les voyageurs en partance pour la Nouvelle Zélande. Ils commençaient à peine l'embarquement qu'il fut retenu par un contrôle de sécurité au dela duquel aucun "non passager" n'était autorisé. Alors nous y étions. Une dernière course pour compenser le fait que l'embarquement avait changé de porte et nous y voilà. Les dernières minutes. Juste ces quelques derniers instants où je pouvais encore profiter de sa présence à mes côtés avant qu'il ne me laisse décoller vers un tout autre univers. Mon sourire était hagard, un petit peu perdu, mais lorsque mes yeux se déposèrent sur l'homme qui tenait toujours ma main fermement dans une habitude qu'il ne voulait laisser aller, je n'aurais jamais pu me sentir aussi fier. Elle était tout simplement sublime, avec sa longue chevelure dorée et son allure sportive dans son jogging clair qui soulevait un petit peu plus le nacre de sa peau. Aussi fier que ma mère, pas essoufflée pour un sou malgré le galop que nous venions de faire de part et d'autres de l'aéroport, son regard pétillant de plus en plus d'excitation alors que le grand moment approchait. Il était ravi pour moi. Il lui avait fallu du temps pour accepter ma détermination à vouloir retrouver ma petite soeur, mais maintenant il comprenait et il me supportait, même si ça voulait dire que la trace me menait dans un pays à l'autre bout du monde. Et il avait l'air déchiré, probablement occupé à rager une bataille intérieure entre vouloir être ravi pour moi, et me supporter, et l'instinct familial le poussant à toujours tout faire pour s'assurer de mon bien-être. C'était la première fois que nous nous séparions ainsi depuis que le cancer avait emporté sa femme et son côté protecteur prit le dessus longtemps assez pour m'attirer dans une étreinte qui sembla sans fin. Un dernier câlin du père qui tente de se rassurer plus que de rassurer sa fille... On avait vécu tellement de choses, lui et moi, il avait passé tant de temps à tout faire pour me protéger de tout que je sentais comme si son impuissance à faire "plus" se faisait un chemin dans mon coeur, brisant un petit peu plus ce qui avait déjà été démolli par la disparition de ma mère, il n'y a pas si longtemps. Aussi irrationnelle soit la pensée, j'espérais qu'il ne prenait pas ça comme un abandon de toutes les femmes de sa vie, et me faisais un devoir de lui rappeler que ce n'était pas définitif. Enfin, ça n'était pas prévu le devenir, en tout cas.

Tu vas la retrouver, hein?

Ce n'était pas autant une question qu'une affirmation voilée, alors que j'avais passé les dernières semaines à discuter la sagesse de mon expédition. Il voulait que je la retrouve, celle pour qui j'avais passé mes maigres économies à engager détectives privés et autres pour dénicher la trace. Un nom. Une ville. C'est tout ce que j'avais bien pu recevoir depuis. Et les dossiers dataient un peu, il était complètement possible qu'elle ne soit même plus là où je me rendais, et cette quête, en plus d'être une aiguille dans une botte de foin, pouvait s'avérer futile tout simplement. Tu crois?, devait probablement être ce que mon regard demandait. J'avais eu la chance de retrouver un petit job tel que celui que j'avais jusque là, mais cela ne payait pas une fortune et en dehors de l'application de quelques techniques investigative que j'avais pu observer au boulot, je ne pouvais me permettre les services d'un P.I. une fois arrivée là bas. Pas après mon séjour à Novgorod dans l'espoir de retrouver la moindre information. Mes parents avaient déjà tant sacrifié pour me voir faire des études supérieures, fait extraordinaire de la part d'une famille d'immigré russes, que je ne pouvais accepter l'aide financière qu'il voulait m'accorder encore une fois aujourd'hui. Non. Si ces retrouvailles étaient destinées à arriver un jour, j'allais être la seule à travailler pour que cela se produise.

Je touche doucement ma joue là où il avait déposé un baiser d'adieu destiné à me faire patienter jusqu'au jour où il allait me rejoindre. Une simple bise. Cela ne prenait pas grand chose et je n'avais jamais été le genre de fille à être rebutée à l'idée d'embrasser son vieux père, mais en cet instant précis ce simple geste avait plus de signification à mes yeux que tout l'or du monde. Je n'avais jamais vraiment aimé les aéroports, jamais vraiment trouvé leur intérêt mais en ce jour où je m'éloignais enfin pour franchir le portique de sécurité qui allait m'amener vers un monde entier de nouvelles possibilités, ils avaient un arrière-goût de catastrophe ambiante... Je ravale ma fierté et mon appréhension dans un déglutis presque douloureux et je laisse mon cœur sombrer dans un mélange émotionnel mêlant la joie à la douleur avant de finalement me retourner, lever la main, sourire et saluer mon père une dernière fois.