GALAXIE
▬ 11/01/1991 : Naissance dans le Queens, au fin fond d’une rue défoncée, dans les draps à la propreté douteuse d’un hôpital qui a connu les deux guerres.
▬ 1993 : Le patriarche violent s’engueule une énième fois avec la daronne qu’il tabasse et laisse pour morte dans le caniveau. Elle en réchappe et porte plainte, s’échappe de la baraque. Le daron prend sept ans ferme. Killian ne le reverra plus jamais vivant.
▬ 1993 - 2000 : Emménagement dans le Bronx. La daronne l’élève à la dure, toute seule, tenant son garage d’un côté tout en l’amenant à l’école de l’autre. Pas de tendresse, pas de compassion, le seul temps partagé résidant dans le décrassage des moteurs.
▬ 2000 : Le daron à peine sorti de taule se fait tabasser dans la rue pour règlement de comptes. La daronne entreprend des procédures chiantes pour divorcer d’un gars qui ne l’avait jamais voulu. Le daron est balancé dans un carré d’indigents ; Killian en demeure secrètement marqué.
▬ 2001 : La daronne s’éprend d’une gonzesse à la surprise de tout son environnement. K le prend modérément bien.
▬ 2002 : La daronne se marie, change de nom. Killian suit, pour pas être abandonné, pas être laissé derrière, comme il donne perpétuellement l’impression de le faire.
▬ 2006 : Il a l’âge d’apprendre que la daronne fait pas toujours des trucs très nets pour payer le loyer. Daronne transporte de la marchandise illégale quand il est pieuté, revient à l’aube comme si de rien n’était ; le statut d’héroïne qu’elle a toujours eu pour lui prend une autre saveur. Il découvre aussi les coulisses de la belle-mère, superbe Madone qui sous ses jupes trop courtes trifouille du gros calibre.
▬ 2009 : Sans surprise K enchaîne les foirades à l’école ; bientôt le talent littéraire, sorti d'on ne sait où, ne suffit plus car il faut bosser. A passer son temps les mains dans le cambouis, le sommeil perturbé de savoir si les matriarches vont rentrer, on sait plus réviser, on sait plus étudier, on sait plus poser son cul et écouter. K passe son permis sans le moindre problème, première réussite de sa vie de merde ; il entame des aller et retours pour la marchandise. De plus en plus loin, de plus en plus dangereusement. Il échoue en Nouvelle-Zélande, dans un squat. Ruiné par une affaire qui a mal tourné, il ne peut repartir. Mais il donne le change, se fait des relations par son bagou et son culot, fréquente des soirées huppées qu'il appelle "soirées déguisées", se tape les minettes des grands pontes pour obtenir des infos, trafique du fric, transporte des cochonneries. Il joue sur tous les tableaux, colorie avec tous les crayons, les relie ensemble, les emmêle, s'en sort toujours.
▬ 2011 : Jusqu'à cette nuit-là. C'est une nuit simple, illicite, dans les bras d'une fille un peu trop jeune, découverte par le père, qui pour se débarrasser du parasite porte plainte pour abus sexuel sur mineure. Le casier s'ouvre et dégueule. Petits délits, mais accumulés, se prennent un coup de soleil et la fresque est noire, impossible à sauver. Bientôt le cliquetis n'est plus celui des bijoux mais des menottes, le froid n'est plus celui de la pluie mais des barreaux, les relations ne sont plus celles de la société libre, mais des détenus. Killian prend 8 ans ferme.
▬ 2011-2019 : Les jours passent et se ressemblent. La vie est rythmée par des trucs qu'on ne raconte pas, parce que c'est la honte, parce qu'il faut pas passer pour une petite nature. Le temps se dilate, aussi bien que les pupilles sous le coup du bédo parce qu'il faut tenir, aussi bien que les chairs sous la douche parce qu'il y a hiérarchie à maintenir. Les insomnies s'allongent ; à défaut de pouvoir briser les aiguilles du temps comme les barreaux de la taule, Killian écarte les barreaux des mots. Les lettres deviennent des fenêtres, les livres des villas de baies vitrées sur un monde meilleur. Et puis il y a Hélio' qui n'a jamais si bien porté son nom solaire, et dont les visites et les lettres lui permettent de tenir.
▬ 15 Janvier 2019 : Il a 29 ans, et le soleil de la liberté fait mal aux yeux.
CONSTELLATION
D. W. ▬ Sa mère, sa sauveuse, son bourreau et son héroïne tout à la fois. C’est celle qu’il a aimée autant qu’il l’a haïe, celle qu’il a crainte, et qu’il n’a pas toujours comprise. Elle s’est déchirée des années durant pour qu’il ne manque de rien même si c’était le strict minimum. Son amour a toujours senti le sang, l’essence et le cambouis ; la tendresse de ses yeux n’a toujours été que la glace de ses pupilles bleues ; la caresse n’a toujours été qu’une claque au coin de la mâchoire, des poings quand il a eu le courage de riposter. Mais c’est sa mère, c’est la famille, c’est son sang, sa chair.
A. W. ▬ Sa belle-mère. Il l’a pas toujours appréciée, cette putain trop belle et trop lisse, aux longs cheveux superbe, aux yeux trop pigmentés, aux lèvres trop épaisses, aux sourires trop doux. A charmer sa mère, pourtant fervente hétéro, fervente homophobe autrefois, il l’a prise pour une sorcière. Et puis elle est restée. Elle a soutenu sa mère. Elle a fait ce que le père n’avait jamais fait. Elle a maintenu la daronne en vie quand K ne le pouvait plus, et ça, il ne l’a jamais oublié. Peu à peu, il a accepté l’étrangère qui lui donnait l’amour tendre qu’il n’avait alors jamais eu. Puis il s’est placé entre elle et le monde, pour la protéger des coups, des connards, des balles.
J. W. ▬ Elle est à peine là ; elle a une place mystérieuse dans son cœur. Issue d’on ne sait qui, des deux à la fois, trois peut-être. Autour de sa silhouette parfaite on murmure des rumeurs. Elle a la beauté de l’une, la force vengeresse de l’autre, l’animosité métallique du troisième. C’est pas exactement une petite sœur, pas exactement une étrangère. C’est une beauté subtile et sincère, un équilibre superbe entre la haine abyssale et l’amour inconditionnel. Elle a une lambo jaune avec un volant en moumoute rose, des talons hauts contre l’embrayage, et un flingue énorme sous le siège passager ; accroché à son rétroviseur, il y a un Pokémon blanc qui danse sur les vibrations du moteur et qui s’appelle Méga-E.
L. E. ▬ C'est une ombre métallique qui malgré ses passages intermittents a su être plus marquant dans son histoire que beaucoup de monde. Il a jamais su quel rapport exact cet homme élancé, bien trop efféminé avait eu avec sa mère, mais il sait qu'il lui a beaucoup appris ; de la manière de se faire des relations et de les entretenir, à la discrétion de la fuite, en passant par son inénarrable manière de conduire. Killian ne serait toutefois le considérer comme un père ; un Parrain sans doute, dans tous les sens du terme, qui est encore un peu là, même à des milliers de kilomètres, dans sa manière nerveuse de passer les vitesses et son sourire qui mérite des claques.
H. O'T. ▬ C'est pas exactement un sauveur Héliodore, mais c'est pas loin. C'est une des relations qu'il lui reste d'avant, et c'est assez rare pour être signalé. C'est le seul qui est resté quand tout le monde lui a tourné le dos, le seul qui était là quand les lourdes portes se sont de nouveau ouvertes sur le monde et sur son sac de sort élimé, le seul qui a cru en une petite flamme même très profond dans le noir. C'est d'ailleurs le seul qui sait. Il lui doit énormément.
Mais il le dira pas à haute voix, faut pas déconner.
D. B. ▬ Parce qu’au milieu de toutes ces chattes il faut un chien, il faut le père, le disparu. Violemment décédé alors qu’il l’avait à peine connu, le daron s’est gravé dans sa mémoire à sa manière, sous la forme de ces souvenirs à jamais enfouis au coin de la paupière parce qu’on est trop jeune pour en avoir. Il aurait aimé le connaître et le voir autrement qu’à poil, dans un sac mortuaire sur la paillasse d’une morgue. Il aurait aimé l’embrasser, il aurait aimé lui parler, il aurait aimer le frapper, lui rendre les coups portés à sa mère.
Mais sans lui, il serait pas là.
Alors le père reste là, dans l’ombre, dans son foie déglingué d’alcool, dans ses yeux de fils de pute. Dans son cœur, aussi, un peu, sans doute.