like a hurricane (phoebe)

Phoebe voit le jour à Londres, poussant ses premiers cris geignards un matin d’automne. Elle est la fille de Jonah et Esther Kelley, respectivement médecin cardiologue et bienfaitrice du milieu associatif, considérés comme un couple de gens biens et propres sur eux, influents en ville. Phoebe a donc grandi au milieu d’une situation sociale très établie et pleine de pseudo-règles de bienséance si chères à ses géniteurs très pieux. Chacun de leurs huit enfants porte un prénom biblique, la religion et les saintes paroles jalonnent son enfance. Fillette plutôt vive et turbulente, c’est sa manière de se démarquer au milieu de toute la marmaille. Phoebe éprouve une tendre affection pour ses frères et sœurs, les relations avec chacun subissant les fluctuations de la vie, mais jamais Phoebe ne pourrait tourner le dos à sa famille.

Élève rêveuse Phoebe brûle de curiosité, elle est touche-à-tout et prompte à se questionner sur les choses. C’est une enfant audacieuse dont les croisades juvéniles ne font pas toujours le bonheur de ses parents, surtout quand elle embarque un autre représentant de la progéniture dans ses déboires. En la matière, c’est bien Andrew qui a ouvert la voie des écarts et Phoebe s’inspire parfois de l’ainé. Jamais malintentionnée, ses entreprises demeurent tendrement insolentes. La jeune femme suit pour le reste un parcours relativement normal, elle rejoindra l’université de Cambridge afin d’y faire des études de médecine pour devenir infirmière. Cela satisfait les exigences parentales, tout du moins jusqu’à son cinquième semestre, la dernière année. L’été touchait à sa fin et avait un goût de rentrée. C’est dans un bar à proximité de l’université que pour la première fois Phoebe entend l’Américain. Les accentuations trainantes dans sa bouche ne trompaient guère. Il s’appelait Grayson, globetrotter de profession lui avait-il déclaré sur un ton qui forçait le mystère. Ils avaient parlé toute la nuit et c’est peut-être à ce moment-là qu’elle était tombée amoureuse.

Phoebe avait ressenti comme une attraction pour cet homme à qui elle s’abandonna finalement quelques temps après leur rencontre. Ils étaient si différents, et pourtant si identiques sur tant de points. Cambridge devait être son pied-à-terre pour un mois, puis le vagabond s’en irait. Il lui avait décrit sa vie de nomade, et Phoebe s’était laissée porter. Alors quand il quitta la ville, elle partit avec lui. Ce fut aussi spontané que prématuré, la belle avec l’insouciance de la jeunesse laissa sa famille sur le fait accompli et leur inquiétude légitime. Les amants insubordonnés se rendirent au Canada et embarquèrent alors sur un bateau pirate engagé par une association afin de lutter contre le braconnage des orques de l’Atlantique. L’épopée s’étendit sur quelques semaines avant que les autorités ne s’en mêlent. Le pavillon est intercepté, on embarque brutalement les protagonistes pour les cloitrer en cellule en attendant de savoir quoi en faire. Ce sont ses parents alertés qui règlent l’incident en jouant de leur relation à l’ambassade, permettant tirer leur fille de ce mauvais pas afin que cela n’ait pas de conséquence si ce n’est un froncement de sourcils sévères. Mais si la situation de Phoebe est régularisée et qu’on lui intime de rentrer à Londres, Grayson demeure toujours en cellule et le couple doit se séparer après une étreinte longue et silencieuse, pourtant lourde de sens. Ce fut la dernière fois qu’elle le revit, lui et ses beaux yeux cobalts.

Revenue en terre connue et rapatriée d’un ton impérieux à l’université, on ferme les yeux sur l’incident en marmonnant et Phoebe est autorisée à finir sa dernière année d’études. Mais la cadette Kelley rêve encore de vadrouilles ; et si elle admet que son précédent vagabondage clandestin était empreint de fougue zélée, Phoebe nourrit un projet plus concret à l’avenir. A l’obtention de son diplôme, elle décide de prendre part à une opération de médecine humanitaire et devient nomade, participant à des missions de santé dans les bassins indigents. La jeune femme a sillonné le monde, ou tout du moins un monde jusqu’ici méconnu et nécessiteux. Ses voyages sont un ensemble de terres, de cultures et de rencontres différentes qui ont enrichi Phoebe au profit d’un certain relativisme. Elle a vu la guerre, porté des nourrissons orphelins et réconforté un homme défiguré par des éclats d’explosifs. Cette violence a laissé des traces en elle, comme des fantômes impossibles à exorciser. Au cours de ces années de périples, Phoebe prend le temps tout de même d'entrevoir les siens le temps d'escales courtes mais salvatrices. Elle apprend la mort de son frère Benjamin alors qu'elle rentre de mission une semaine après les faits et vit avec la culpabilité de ne pas avoir été là au bon moment, n'arrivant pas à se le chasser de l'esprit. Son chagrin est insatiable.

Au gré de ses voyages, elle construit un blog, Mrs. Earth, sur lequel elle publie des articles, pensées ou enquêtes sur des sujets du monde ou des dossiers qui lui tiennent à cœur. Sa plume est affutée, le site est consulté et elle jouit d’une certaine stature qui lui a valu le passage dans des émissions ou débats organisés autour de l’humanitaire notamment.

Très récemment, la jeune femme s’est rendue au Mexique dans le cadre d’une opération sanitaire. C’est un soir alors qu’elle se rendait à son hôtel que Phoebe est prise à partie par un groupe d’hommes qui l’interpelle violemment avant de la trainer dans une ruelle en faisant taire ses cris d’une gifle bien sentie. Ils l’avaient battu, insulté, et elle avait perdu connaissance, son corps inerte laissé aux mains des brutes. On l’avait retrouvé au matin dans un amoncellement de détritus et respirant à peine, ses vêtements en lambeaux. Elle avait été rapatriée d’urgence à Londres où elle s’était rétablie ; tout du moins physiquement. Et si sur son corps tout a disparu, cette soirée a bel et bien existé et elle demeure encore terriblement vive dans son esprit. Phoebe n’oublie pas la violence exercée, et se réfugie dans le silence de ce traumatisme qu’elle porte comme un fardeau. En réalité, elle a besoin d’un sursaut, et de sa famille.

La cadette décide donc de faire ce qu’elle pratique le mieux : bouger. Elle est débarquée à Wellington depuis peu. Elle a besoin de retrouver un sens concret à l’engrenage de l’existence et reprendre également son rôle de sœur. Un rôle normal dans un monde normal où elle veut tourner la page et passer au chapitre suivant.