extraterrestrial • maisie

Cette petite soirée au cinéma était parfaite, enfin, en apparence. Ils avaient passé l'après-midi au parc à se balader, avaient été manger au fast-food du coin Maisie, elle était déjà dingue de lui. Son meilleur ami, son tout. Le seul qui la faisait rougir, qui la rendait vraiment heureuse quand elle n'était pas avec ses frères et sœurs. Elle l'adulait, le voyait comme le petit-ami parfait, voulait passer sa vie à ses côtés. Elle trouvait ça normal, d'espérer autant à son âge, après tout, Léo était passée par là, elle aussi, et était toujours avec lui aujourd'hui. C'était peut-être l'ambition d'être comme sa sœur qui l'avait menée à tomber amoureuse. Pourtant, lui, il ne s'intéressait pas à elle de cette façon là. Il avait une copine, certes, ça ne durait pas depuis très longtemps mais elle avait envie que ça s'arrête déjà. Le fait qu'il ait accepté de venir avec elle lui faisait plaisir, même s'il y avait une ombre au tableau : il était venu avec sa copine, et ça la foutait mal, Maisie, de se retrouver à tenir la chandelle. Elle rêvait d'un conte de fées mais se retrouvait être dans un véritable cauchemar. Les images devant elle défilaient mais elle n'y portait aucune attention. Son regard revenait sur lui à chaque fois, cherchait le sien, en vain. Jusqu'à ce qu'elle ne commette l'erreur de lui prendre naturellement la main. Il la serra d'abord, mais fut contraint à rompre ce contact. En rentrant, elle lâcha toutes les larmes de son corps, dévastée, ayant l'impression que c'était foutu pour elle, alors qu'elle n'avait que seize. Elle ne parvint pas à dormir de la nuit, ruminant ses sombres pensées. Pourtant, à l'aube, une surprise l'attendait. Il était là, il était revenu à sa porte alors qu'elle pensait ne jamais le revoir. « J'viens de me faire larguer. » Instantanément, elle n'a pas pu faire autrement que de faire exploser sa joie. Maladroitement peut-être, mais c'était tout ce qu'elle souhaitait. Lui, il ne comprenait pas, jusqu'à ce qu'elle lui donne cette lettre qu'elle avait rédigé il y a des mois déjà, avec l'ambition de la lui donner un jour. De sa petite écriture, elle lui ouvrait son cœur. C'est comme ça que, finalement, au fil du temps, ils se sont fréquentés plus souvent, formant petit à petit un couple complice et soudé, et ce, malgré les difficultés. Maisie était si amoureuse qu'elle n'hésitait pas à le clamer haut et fort à qui voulait l'entendre, elle qui d'habitude, ne dévoilait rien de sa vie. Elle ne voyait aucune raison de cacher ça à sa famille et au monde entier, alors que son bonheur se lisait sur son visage.


Ce noël-là, elle reçut une console, sa première console, et ce fut le début de son déclin. Elle avait dix-huit ans, n'était pas encore majeure, l'avenir encore incertain. Elle avait décidé de poursuivre ses études en sciences, se passionnant soudainement pour l'astronomie et la façon dont l'univers s'était construit. Cette console, elle devint soudainement la bouée à laquelle se raccrocher dès que quelque chose allait mal. Une dispute avec une amie, une dispute avec son copain, un coup de blues, l'ennui, tout était devenu une excuse pour passer du temps devant les jeux vidéos. Ce monde-là, il ne posait pas de problèmes, elle pouvait s'y réfugier et faire toutes les conneries du monde sans que jamais personne ne lui dise rien. Au départ, elle jouait une heure, pas plus, puis au fur et à mesure, elle y a passé plus de temps. Elle a séché un ou deux cours pour terminer un jeu, en oubliait même parfois les sorties prévues, que ce soit entre amis, en famille ou avec son petit-ami. Oui, elle est devenue accro en quelques mois, et elle ne s'en est jamais relevée. Suite à cela, elle s'est retrouvée à piquer des crises quand elle n'avait pas sa dose quotidienne, a déjà failli rompre à cause de ça. Il se demandait si elle l'aimait toujours, si elle ne s'était pas moqué de lui, finalement. Ce jour-là, quand il l'a accusée de ne plus l'aimer, Maisie s'est sentie coupable. Elle a tenté de faire des efforts, mais en vain.


« Parlez-moi de l'incident. » demande la psychologue, insistant sur ce dernier mot, fixant la jeune femme derrière ses lunettes rondes qui lui mangeaient la moitié du visage. Installée sur le sofa, jouant avec un petit bracelet en argent, Maisie regarde le plafond, dégoûtée d'être là, peu encline à faire des efforts. C'était une suggestion de son petit-ami. Janvier 2018, elle se rappelle de la date exacte, c'était le dix-sept, un mois avant son anniversaire. Elle se revoyait décider d'aller étudier les étoiles à la nuit tombée, télescope à la main, petit carnet dans l'autre. Elle s'était habillée chaudement, parce qu'aux États-Unis, les saisons sont inversées par rapport à la Nouvelle-Zélande. Elle pensait faire une sortie nocturne des plus banales, elle pensait rentrer en toute sécurité une fois ses observations terminées. « N'ayez pas peur, vous pouvez tout me dire. » Les yeux bleus de la demoiselle se posent sur la psy, ses lèvres hésitent. Elle se redresse finalement sur le fauteuil, une moue boudeuse ancrée sur le visage. Elle n'avait clairement pas envie d'en parler, vu la façon dont ça avait fini avec son copain. Encore une histoire qui lui faisait monter les larmes aux yeux. Incapable de les retenir, elle les laissa affluer sur son visage et haussa les épaules. « Vous me croirez pas. » lance-t-elle, secouant vivement la tête. « Ils sont vraiment là ! Ils attendent que vous soyez seul, faible, que Dieu ne puisse pas vous atteindre, et ils attaquent. » Elle commence à se moucher bruyamment tandis que la professionnelle griffonne, peu déconcertée par le comportement de la brune. Après tout, elle en a croisé des cas comme elle, désespérés. « A quoi ressemblent-ils ? » Maisie fait la grimace, se demande pourquoi elle n'est pas allée voir sa sœur plutôt qu'une vieille dame qui passait son temps à écouter la vie des gens sans jamais donner de conseils. « Ils n'ont rien d'humain. » commence-t-elle son récit, revenant caler son dos contre le sofa, fermant les yeux, imaginant en boucle la scène dans sa tête. C'est alors qu'elle commença son récit, racontant sans réfléchir, évacuant tout ce qu'elle avait sur le cœur et ce dont elle était incapable de parler depuis toujours. Leur forme particulière, leur manière de communiquer silencieusement, remettant en cause tout ce qu'elle avait appris en cours sur l'anatomie, cette sensation d'avoir été violée lorsque leurs membres servant de mains se sont emparées de son crâne, alors qu'elle était à la limite du conscient. A la sortie du cabinet, il l'attendait. Assis sur la chaise, il fixait le vide d'un air inquiet. Elle se précipita dans ses bras, en pleurant à nouveau, cherchant du réconfort. « Plus jamais je reviens ici, plus jamais j'en parlerais. » murmure-t-elle alors, ne parvenant pas à se remettre de ses émotions, préférant faire la promesse de se taire plutôt que de laisser le monde la croire folle, plutôt que de laisser son compagnon de vie l'envoyer dans un quelconque asile pour avoir tenu le même discours que des milliers de gens aux témoignages similaires. Mais dans son esprit, elle les revoyait encore aussi clairement que s'ils étaient face à elle elle ressentait encore leur contact sur sa peau, et nul ne saurait probablement jamais si elle était névrosée, en train de rêver, ou si elle disait la vérité.


Des rêves plein la tête, elle est comme ça, Maisie, aujourd'hui. Elle rêve d'avoir un métier aussi passionnant que Milo, de vivre une aussi belle histoire d'amour que Léo, d'être aussi libre qu'Ellie, et d'avoir autant d'enfants que Giorgio. Tous les jours, elle essaie de prendre le meilleur de sa fratrie, de garder le sourire en permanence pour que le monde ne cesse jamais de rayonner. Même avec ses colocataires, elle est comme ça. Oui, des fois, elle est un peu insupportable à rechigner, à ne pas vraiment savoir comment communiquer, on aurait bien envie de la mettre sur pause le temps d'une soirée, mais c'est plus fort qu'elle, et c'est ce qui fait qu'elle est Maisie et pas une autre. Un jour, peut-être, elle saura déployer ses ailes et s'envoler, mais pour l'instant, n'être qu'un oisillon sous l'aile des autres lui suffit amplement.