Elrick - A world, a family (terminée)

Chère Maman,

Je t’écris de cette caravane si chère à mon cœur. Je t’écris cette lettre comme je le fais souvent, comme d’autres que je garde dans une boîte et que je ne pourrais jamais t’envoyer parce que tu n’es plus là. Tu me manques terriblement. Cela fait déjà bientôt 18 ans que tu es partie.
Aujourd’hui, j’ai envie de faire un résumé de ma vie avec toi. Sans toi. Avec le cirque toujours dans mon cœur. Avec Ziggy et Zyhra qui ont toujours été là pour moi. Avec Aphrodite et Romie aussi.

Ma vie était un véritable conte parce que tu étais avec moi. Ca a toujours été toi et moi. Presque comme une promesse, une vie partagée jusqu’à ce que la mort nous sépare. Tu ne m’as jamais dit qui était mon père, tu ne m’as jamais réellement parlé de lui. Tu m’as simplement dit qu’il me ressemblait et que, parfois, je te faisais penser à lui avec mes expressions. Je me demande encore aujourd’hui si c’est une bonne chose ou pas. Il n’a jamais cherché à me voir, à me connaître … Je n’ai jamais vraiment eu besoin de lui de toute façon … Enfin, je crois … Mon « père » c’est le cirque et certains hommes qui en font partie, ce sont les valeurs qui se transmettent. Et puis, je t’avais toi, toujours dans tes jambes quand je n’étais pas avec mes jumeaux préférés ce qui, au final était assez rare aussi. J’étais toujours le premier à regarder tes répétitions, tes entraînements et tes représentations. Je t’ai toujours admiré. J’ai toujours admiré cette apparente facilitée qui transparaissait dans tes numéros. On me dit parfois que j’ai cette même facilité mais je ne crois pas que cela soit vrai. Tu étais bien meilleure que moi mais je ne suis pas vraiment objectif étant donné que je suis ton fils. Tout petit j’ai su que je voulais être trapéziste, comme toi. Tu te souviens de ce que tu me disais ? « Mon petit Elrick, tu devrais essayer toutes les disciplines que le cirque propose. Tu vas t’enrichir et peut-être que tu trouveras une autre voie que celle du trapéziste. C’est important pour plus tard aussi. » C’est peut-être stupide de ma part mais je dois avouer que lorsque j’étais jeune, je n’avais pas compris. Je me suis exécuté et je t’en suis reconnaissant aujourd’hui et pour toujours. Même si j’ai fait un peu de tout avec plus ou moins de réussite, le trapèze est resté ma discipline préférée malgré les dangers. D’ailleurs, je me demande si c’est pour ce danger, cette adrénaline ou pour le regard du public que je fais cela ? Ou alors est-ce simplement parce que j’ai ça dans la peau, dans les veines ? Je ne sais pas, peut-être qu’il y a de toute cela. Tout ce que je sais, c’est que j’aime toujours autant cela même si je tente de monter d’autres numéros pour toujours être à la pointe pour que notre cirque survive.

Est-ce que tu te souviens de nos fou-rires ? De mes bêtises pour te faire rire ? Quand je te regardais d’un air innocent après avoir cassé quelque chose ? De mes jeux dans la caravane où je tentais désespérément de me cacher pour ne pas aller à l’école et ne pas rater tes entraînements ? Pourtant, j’aimais bien l’école parce qu’il y avait Ziggy, Zyhra, Aphrodite et Romie avec moi. J’aimais l’école parce qu’on rigolait beaucoup. Je m’amusais à faire le singe en grimpant sur ce grand arbre au milieu de la cour pour amuser la galerie mais surtout pour voir de quoi j’étais capable. Evidemment, j’étais toujours disputer par les professeurs mais cela ne m’empêchait pas de recommencer même si tu m’envoyais des regards noirs à chaque fois que je faisais ce genre de bêtise. Est-ce que tu te souviens de cette envie e rester au cirque et d’oublier le reste ? De notre trio d’enfer avec Zy et Zi ? Du fait qu’on était pratiquement inséparable comme si nous avions toujours été frère et sœur ? Et du fait de vous faire tourner en bourrique vous les adultes, vous les parents ? Ce qui nous faisait toujours mourir de rire d’ailleurs et vous beaucoup moins parfois. Je n’ai pas réellement changé je crois, je m’amuse toujours autant avec les enfants même si j’ai des responsabilités maintenant comme tu le sais. Je suppose donc qu’il y a une part enfantine comme une part plus mature. Une dualité en moi qui me conviens et qui me paraît juste. Serais-tu fière de l’homme que je suis devenu ? Je me pose souvent la question. Quelques personnes me disent que tu le serais mais j’aurais tellement aimé l’entendre de ta voix, avec tes mots et avec ta manie de m’emmêler les cheveux.

Tu te souviens que Zyhra, Ziggy et moi, nous étions inséparables comme je te l’ai dit précédemment ? Cela n’a pas changé avec les années. Je crois même qu’avec ta mort nous nous sommes rapprochés encore davantage. Ce qui n’a pas changé non plus c’est le fait que je me vante d’être plus vieux qu’eux. Parfois, je me souviens, je faisais mon petit traitre et je disais avec un grand sourire que je n’avais rien fait parce que j’étais plus mâture qu’eux puisque j’étais plus vieux qu’eux. Zy, Zi, leurs parents ou même toi vous me disiez à chaque fois la même chose : « La différence n’est que de quelques mois Elrick ! » et moi je répondais : « Oui, ben ça compte quand même. » avant d’éclater de rire. Bien évidemment, personne n’était dupe. Si c’est vrai que je suis le plus vieux des trois, j’étais tout aussi coupable que mes deux jumeaux pour les bêtises que l’on faisait ensemble. Parfois, j’en étais même le responsable.

Zyhra a toujours voulu être dompteuse mais sa famille ne voulait pas parce que c’était trop dangereux mais Ziggy et moi, on a toujours soutenu Zy. On savait que c’était important pour elle et on savait probablement déjà que c’était ce qu’elle devait faire, que c’était son destin. Je me souviens que, parfois, on faisait de mini-manifestation rien que tous les trois pour qu’elle puisse réaliser son rêve. Parfois, il y avait Aphrodite et Romie avec nous parce qu’elles étaient solidaires, parce qu’elles faisaient partis de notre monde sans être des circassiennes. Evidemment, ça ne vous plaisait pas vraiment mais on le faisait parce qu’on était lié comme les doigts d’une seule main. Et puis, il y avait le fait que l’on soit ensemble sur le trapèze avec Zy qui fait que nous avions un certain lien. Il n’est pas aussi puissant que celui que celui qu’elle avait et qu’elle a toujours avec Ziggy mais c’est aussi cela qui faisait le ciment de notre amitié, de notre fraternité. Elle me faisait confiance pour la rattraper à chaque fois et je lui faisais confiance pour m’aider à m’améliorer encore et encore. Et puis il y avait Zi qui nous aidait aussi tout en répétant pour un numéro de jonglage. C’est là qu’on a eu l’idée de combiné nos deux arts pour un show spectaculaire même si nous n’avions pas encore dix ans. On s’est dit qu’on pourrait répéter dans le plus grand secret mais on s’est fait grillé assez rapidement et on a essuyé une longue et épuisante dispute de votre part mais on a continué quand même sous votre supervision.

Et puis on a fini par présenter ce numéro au public. C’était la première fois que j’étais sur la piste en tant qu’artiste et pas en tant qu’assistant ou autre. Non, j’étais réellement sur la piste avec deux des personnes qui comptaient le plus à mes yeux. Je crois que je n’oublierais jamais ce moment. Il y avait un mélange de stress, de trac, d’impatience, d’excitation, de tension et de concentration intense que je ressentais à chaque fois que les autres artistes avaient avant de faire leur numéro. J’ai eu l’impression d’être à ma place, que c’était naturel et j’ai su que je ferais cela aussi longtemps que possible. Le numéro s’était très bien passé et nous avons salué avant d’aller derrière les rideaux où j’ai poussé un cri excité en dansant dans tous les sens même si j’étais totalement épuisé. Epuisé mais heureux et trop extatique pour le ressentir. L’adrénaline coulait encore dans mes veines …

Mais tout ça, c’était trop beau, il a fallu qu’un drame arrive … quelques semaines plus tard … Tu … Tu es morte. Un accident de la route alors que tu faisais des courses pour le cirque. Je n’ai été prévenu de ta mort que lorsque les parents de Zyhra et de Ziggy sont venus nous chercher à la sortie de l’école. J’ai cru mourir à mon tour tant la douleur était forte. J’ai fait ce que j’avais rarement fait avant, j’ai pleuré, crier, frapper tout en même temps. Je n’étais pas en état de réfléchir ni d’être un enfant avec un minimum de retenu. Tout ce que j’avais c’était la douleur de ta perte. Une profonde tristesse qui s’est enracinée dans mon cœur. J’ai souhaité te voir parce que j’avais besoin de ça. J’avais besoin de confirmer ta mort peut-être, comme si je n’y croyais pas vraiment. Quelqu’un m’avait accompagné, ce n’était pas les parents des jumeaux mais peut-être un médecin ou quelqu’un du genre, c’est plutôt flou pour dire la vérité … Et j’ai vu un corps installer sur une table dans une salle plutôt froide. Je me suis rapproché encore et encore, les yeux pleins de larmes et le cœur au bord des lèvres. C’était bel et bien toi. J’ai touché ta main, elle était froide comme elle ne l’avait jamais été et tout ça avait pris une allure bien trop réel. Ce n’était pas un cauchemar. Tu étais morte et moi orphelin à 10 ans. Mon repère, mon pilier venait de s’éteindre. Je me souviens t’avoir pris contre moi avant d’être éloigné de ton corps puis j’ai été enlevé de cette salle avant de courir aux toilettes pour vomir mes tripes. Te perdre a été et est toujours la plus grande tragédie de ma vie.

Tu as été enterré et moi, j’avais Ziggy et Zyhra qui tenaient mes mains, qui se tenaient à mes côtés ainsi qu’Aphrodite et Romie, encore et toujours tandis que leurs parents étaient derrière moi. Je me suis senti soutenu et aimé même si mon cœur n’avait pas envie d’être réchauffer par tout cela. La famille Niebojewski m’a en quelque sorte adoptée. J’ai pu rester au cirque et avec mes amis d’enfance. Au milieu de mon deuil et de ma tristesse, j’avais une lueur d’espoir, une bouée pour me raccrocher. Ils ont toujours été là pour moi dans les pires moments et c’est grâce à eux que je m’en suis sorti et que je suis l’homme que je suis en grande partie. Grâce à ces personnes j’ai pu relever la tête, j’ai pu vivre tout simplement.

La puberté à frapper aux portes de nos vies et j’ai commencé à regarder les filles. Pour moi, c’était limpide d’avoir une relation avec les filles et parfois, je me surprenais à regarder Aphrodite un peu différemment. Elle était d’une beauté à couper le souffle mais je savais qu’il n’y avait pas que cette beauté extérieure qui était extraordinaire. Sous cette force de caractère se trouvait une jeune fille généreuse et gentille. Nous avons commencé à sortir ensemble à l’âge de 16 ans et c’était sérieux entre nous. Nous avions cette impression et ce pendant presqu’un an. Et puis, j’ai senti qu’on s’éloignait l’un de l’autre et j’ai commencé à réfléchir. Tu m’avais toujours dit de parler afin de comprendre et pour ne pas mal interpréter les choses alors nous avons eu une discussion. Nous avons tenté de se remettre sur les rails mais ça n’a pas été possible. Chacun de nous sentait que, peut-être, notre amitié était plus forte que notre amour et nous avons décidé de nous séparer. En prenant le recul nécessaire, je me dis que nous avons bien fait. Aphrodite m’est précieuse, très précieuse et aura toujours une place particulière dans mon cœur mais c’est en simple amie que je la vois aujourd’hui et c’est pareil pour elle. Nous avons pris la meilleure option car je ne peux pas imaginer ma vie sans elle ou sans Zyhra, sans Ziggy.

J’ai rencontré d’autres femmes, embrasser d’autres lèvres sans jamais trouver la femme parfaite même si j’ai cru l’avoir fait il y a quelques années en arrière mais finalement, ce n’était pas le cas. Ca m’a fait beaucoup de mal bien entendu mais j’ai réussi à m’en sortir grâce, encore une fois, à l’aide des personnes qui comptent le plus dans ma vie. Et puis … Et puis un nouveau drame est venu frapper à nos portes. Romie … Romie a disparu sans laisser la moindre trace, sans la moindre explication. La police a ouvert une enquête mais rien. Pas le moindre indice, pas la moindre trace, pas le moindre début d’explication. Ils ont fini par classer l’affaire sans suite mais moi, je n’ai jamais abandonné. Je continue les recherches sans le dire à personne parce que Romie, elle fait partie de ma famille, elle fait partie de mes meilleurs amis et je veux savoir. Je veux connaître la vérité. Je continuerais de chercher jusqu’à ce que je sache quelque chose, c’est une promesse que je me suis faite et que je continue de me faire quand j’ai l’impression que je vais baisser les bras.

Ziggy et Zyhra font maintenant ce qu’ils aiment par-dessus tout et moi je continue à faire du trapèze comme pour me rapprocher un peu plus de toi. Je tente de mettre d’autres numéros sur pied comme le ruban aérien ou bien du mât par exemple. Je ne serais pas forcément l’un des artistes mais je sais que cela peut marcher. Je l’ai vu à plusieurs reprises dans différents cirques à travers le monde et à travers les « formations » que l’on fait pour s’améliorer Ziggy, Zyhra et moi. Notre trio administre le cirque depuis quelques temps déjà. Ce n’est pas facile tous les jours je dois le dire mais qu’est-ce que j’aime tout ça ! Tout comme Double Z je ne compte pas mes heures et je ne souhaite qu’une chose : le bien-être de notre troupe, notre famille. Je suis fier de faire partie de cette famille. J’espère que ce cirque continuera longtemps après nous.

Tu es né au cirque, tu meurs au cirque.

Voilà ma devise, ma vie.
Je crois que j’ai fait un gros résumé de ma vie et que je vais laisser de côté mon stylo pour ce soir. Il est temps.

A bientôt Maman.
Ton fils qui t’aime.