Août 2016.Assis devant le miroir de ta chambre, tu observes ta tenue et le maquillage de clown sur ton visage avant de soupirer. Encore un casting, encore un échec. Voilà près d'un mois que tu as décidé d'abandonner l'université de droit au lieu de faire une deuxième année en disant à ton père que tu avais besoin de réfléchir pour savoir où tu pouvais aller professionnellement parlant. Car tout ce que souhaite ton père, c'est que tu rentres dans son entreprise pour reprendre les rennes plus tard. Mais toi, tu as toujours eu ce foutu rêve de devenir danseur depuis tout petit. Et tu n'arrives pas à te le sortir de la tête. Mais ce n'est qu'une
passion et il est impossible de vivre de cela éternellement, paraît-il. Tu sursautes quand la porte de ta chambre s'ouvre et tu t'apprêtes déjà à sortir une excuse bidon pour expliquer ta tenue avant de souffler de soulagement en apercevant ta mère.
« J'ai cru que c'était papa. T'étais où ? Je ne t'ai pas vu en rentrant. ». Ta mère sourit avant de s’asseoir à tes côtés, prenant un coton où elle verse du démaquillant dessus pour l'appliquer sur ton visage.
« Je rangeais le garage. Mais le plus important... Comment s'est passé ton audition ? ». Ta mère, la seule à savoir que tu es loin de vouloir suivre le chemin de ton père et aussi la seule personne à qui tu peux parler librement de ce que tu as envie de réaliser dans ta vie.
« Pfff... Foiré, comme d'habitude. J'aimerais essayer ma chance ailleurs. ». Voilà qui disait tout et rien à la fois. Tu as toujours voulu essayer d'aller dans un autre pays et plus précisément les Etats-Unis. Ça aussi, ta mère le sait et c'est la seule chose qu'elle a du mal à accepter car elle n'a aucune envie de te savoir seul dans un autre pays.
« Ça peut toujours s'arranger, tu sais. » te lance-t-elle avec un sourire malicieux tandis qu'elle s'attaque à ton nez coloré de maquillage rouge. Tu lui lances alors un regard interrogateur, te retenant tant bien que mal de laisser la joie prendre place sur ton visage. Cette tendance à t'imaginer le meilleur peut parfois te jouer des tours.
« Ton père a une entreprise implantée à Boston. Si tu lui dis vouloir découvrir la réalité de son métier là-bas, il te laissera partir les yeux fermés. Tu sais comment il est dés que tu parles de son travail. Et tu auras tout le temps de tenter ta chance pendant ton temps libre. Ce sera notre petit secret. ». Tu as du mal à croire qu'elle est sérieuse, qu'elle te propose cela alors qu'il y a encore quelques jours, elle te disait que ce n'était peut-être pas une bonne idée pour toi de partir. Tu n'as jamais su te débrouiller seul Espen, ce n'est un secret pour personne. Mais c'est peut-être l'occasion pour toi de grandir. Et ta mère, elle ne tient jamais des promesses en l'air.
***
Avril 2017.Six mois que tu es à Boston maintenant. Tu as un rythme de vie effréné qui te change totalement de ta vie en Nouvelle-Zélande. La nuit, tu travailles en t’occupant de nettoyer les locaux de l'entreprise – et même si ce n'est pas ce à quoi tu t'attendais en arrivant ici, tu es loin d'être mécontent. Car grâce à tes horaires, tu peux participer aux castings la journée et aussi t'entraîner. Dormir ? Un mot que tu ne connais presque plus depuis ton arrivée ici. Et pourtant, malgré les heures de repos qui te manquent, tu es plus optimiste que jamais. Cet après-midi, tu as un second essai déterminant pour intégrer une troupe de danseur et tu souhaites mettre toutes les chances de ton côté. Ton rêve se rapproche un peu plus chaque jour, tu en es certain. Aujourd'hui, tu es censé rentrer chez toi à huit heures du matin mais ton patron t'a convoqué et tu te rends à son bureau avec ta bonne humeur habituelle.
« Espen, il est temps de rentrer chez toi. ». Ton sourire s'efface de ton visage, tes sourcils se froncent tandis que tu espères avoir mal compris. Tu pourrais jouer la carte de l'ignorance, faire semblant de ne pas avoir compris. Tu as beau ne pas être connu pour ta grande intelligence, tu sais qu'il te parle de Wellington et non de l'appartement que tu loues ici.
« Quoi... Pourquoi ? J'ai fait quelque chose de mal ? J'ai arrêté de faire des courses avec les autres quand le sol est mouillé, j'vous le promets ! ». Certes, ce n'est pas la seule connerie que tu as faîte depuis que tu travailles ici mais c'est la seule qu'il a remarqué pour le moment après qu'un de tes collègues se soit tordu la cheville à cause de cela et te balance sans une once de pitié.
« Écoute, la décision est prise. Tu devrais parler avec ton père. » t'annonce ton patron la mine sérieuse avant de se lever de sa chaise pour se diriger vers la porte et te faire signe de partir. Pendant quelques secondes, tu restes assis sur ta chaise avec un air penaud sur le visage, ne réalisant pas très bien ce qui est en train de se passer. Tu es viré. Comme ça. Sans aucune explication. Tu te lèves alors à ton tour et tu t'apprêtes à quitter la pièce, marmonna un bref « Au revoir » sans trop d'enthousiasme mais celui qui est à présent ton ancien patron pose une main sur ton épaule.
« Fais attention à toi. Et bonne continuation pour la suite. ». Tu hoches la tête avant de t'en aller, n'ayant qu'une chose en tête : retourner dans ton appartement pour appeler ton père sur Skype et comprendre ce qui se passe. Tu te doutes que lui doit être au courant, c'est lui qui a toutes les cartes en main. Mais tu ne dois pas t'imaginer un scénario improbable dans ta tête, te dire que c'est ton père qui t'a fait virer pour une quelconque raison. Il est neuf heures quand tu arrives enfin chez toi et tu as beau vouloir dormir au moins quelques heures avant ton casting, tu décides tout d'abord d'avoir cette discussion avec ton père. Si ton compte est bon, à cette heure-ci, c'est la fin d'après-midi en Nouvelle-Zélande. Ton père met quelques secondes à peine à te répondre – à croire qu'il a attendu pendant tout ce temps devant son écran.
« Salut papa, je viens tout juste de me faire virer. » lui annonces-tu avec un grand sourire comme si tu parlais de la pluie et du beau temps alors qu'au fond de toi, tu bouillonnes.
« Je sais. C'est moi qui ai demandé ton licenciement. ». La surprise se lit dans ton regard et tu ne sais pas si tu dois rire ou pleurer devant cette nouvelle. Tu t'en doutais un peu au fond mais...
« Pourquoi t'as fait ça ? Je... J'me sens bien ici. Tu ne peux pas penser un peu à moi pour une fois ? J'ai fait ce que tu m'as demandé et... ». Tu n'as pas le temps de continuer que ton père te coupe aussitôt avec des mots que tu te rappelleras toute ta vie.
« Ta mère est malade, Espen. Tu dois rentrer. Elle a besoin de toi. On a tous besoin de toi ici. ». Tes mains tremblent, ton cœur palpite beaucoup trop fort dans ta poitrine et tu as l'impression que ton monde est en train de s'écrouler autour de toi. Ta mère est malade. Et tu sais que ce n'est pas
rien qu'un petit microbe si tu dois rentrer. Même sur un écran, tu peux voir à quel point ton père se force pour ne pas s'écrouler en avouant cela. Il a toujours été fort, contrairement à toi.
« J'vais... J'vais revenir. ». Des mots que tu murmures dans un souffle avant de sentir tes yeux se remplir de larmes. Fini les fous rires avec tes collègues, fini les castings. Il est temps pour toi de rentrer à la maison, Espen.