Crying is a way your eyes speak when your mouth can't

Il est né dans une famille moyenne. Une famille bancale avec son lot de problèmes. Son père possédait une imprimerie. Elle fonctionnait plutôt bien. Il s'était marié avec une superbe femme qu'il avait rencontré en Suède. Astrid était étudiante aux Beaux-Arts. Elle avait tout pour elle, intelligente, altruiste, sensible, jolie, courageuse, aventurière et artiste. Le mariage a fonctionné les deux premières années. Cela a commencé a déraper quand Aleksander est né. Astrid était une mère fusionnelle. Et cela ne plaisait pas à son mari. Les coups ont commencé à tomber. D'abord des gifles, puis des insultes, des menaces. La jeune mère se renfermait sur elle-même. De cette jolie blonde pétillante et sans cesse en mouvement, elle s'était fanée comme une fleur abandonnée dans un coin sombre. Son fils Aleksander était sa raison. Elle savait que son mari la trompait et cela lui brisait le cœur mais elle reportait tout son amour sur son fils unique. Mais cela ne plaisait pas à Torben qui devenait plus violent. Il n'hésitait pas à frapper son fils qui n'avait pas encore sept ans. C'est ce jour là que sa mère a décidé de le quitter. Elle avait décidé de partir avec Aleks. Seulement, Torben l'en avait empêché. Une nouvelle dispute, de nouveaux cris, des coups. Astrid était admise à l'hôpital. Elle avait une hémorragie cérébrale. Les médecins expliquaient alors à Aleks qui n'était encore qu'un enfant, que sa maman n'allait jamais se réveiller. Lui, il ne comprenait pas. Pas encore.

Astrid était morte trois mois plus tard. Son cerveau avait été privé bien trop longtemps d'oxygène. Les médecins étaient impuissants. Torben avait prétexté un accident. Personne n'avait remis en cause sa version des faits. Mais Aleksander le savait. Il comprenait même s'il était encore jeune. Il avait déjà vu son père battre sa mère et le battre lui aussi. Alors il savait très bien ce qui s'était passé. Mais personne n'avait voulu l'écouter et encore moins le croire. La mère décédée, le père laissa le garçonnet à ses parents. Il n'avait pas envie de s'en occuper. Il n'avait jamais aimé son fils. Et dès qu'il avait pu s'en débarrasser, il l'avait fait sans le moindre état d'âme. Mais c'est à partir de ce moment-là qu'Aleks a découvert ce qu'était le mot : liberté. Avec ses grands-parents, il allait au parc, au cinéma, au théâtre, à la piscine. Bref, il faisait les activités qu'un gosse était censé découvrir au cours de sa jeunesse et qu'il n'avait jamais fait à cause de son père.

Son enfance avait donc été chamboulé par ce drame. Drame dont il ne s'était jamais remis. Il avait toujours senti un manque. Et en grandissant, c'était un sentiment de culpabilité qui l'empêchait de respirer. Même s'il était petit, il se disait qu'il aurait du faire quelque chose pour sa mère, parler, se confier à quelqu'un. Mais jamais il n'avait cru que cela se terminerai ainsi. Il avait beau à présent, être entouré et avoir l'amour dont il avait besoin, Aleksander n'arrivait pas à se pardonner ce qu'il considérait comme une faiblesse. Son adolescence avait été perturbé par ses mauvaises fréquentations. Il buvait, il se droguait. Il faisait tout pour faire disparaître ce mal être. Pourtant, il ne laissait rien paraître. Ses résultats scolaires étaient excellents. Il aimait étudier et cela lui occupait l'esprit. Mais plusieurs fois, il s'était retrouvé au poste de police. Et c'était son grand-père qui était venu le chercher. Quand il voyait la peine dans ses yeux, il se disait qu'il devait changer. Mais c'était plus facile à dire qu'à faire.

Il avait obtenu une bourse pour le MIT. Il avait pris son sac et l'avion, direction le pays de l'oncle Sam. Et c'est là bas, loin de tout et de tous ses mauvais souvenirs, qu'il a peu à peu réussi à se reconstruire. Et c'est là, sur le campus alors qu'il finissait de lire un bouquin qu'il l'avait vu, elle. Cette fille qu'il avait croisé à plusieurs reprises sans pour autant lui adresser la parole. Il avait beau faire le fier avec sa bande de potes et accumuler les conquêtes avec elle, c'était différent. Elle était différente. Cela avait été le coup de foudre mais il ne s'en était rendu compte que quelques mois plus tard quand après un énième rendez-vous, elle l'avait enfin embrassé. Ils s'étaient mariés deux mois plus tard. Il avait vingt ans et elle, dix-neuf. C'était une folie pour leur entourage. Mais eux, ils vivaient sur leur petit nuage.
Ils avaient emménagé dans un appartement près du campus. Il bossait en dehors des cours, dans un journal de la ville en tant que pigiste et dans une usine de conditionnement. C'était dur mais ces années restaient encore aujourd'hui, les plus belles de sa vie. Parce qu'il était encore libre de faire ce qu'il voulait. Il avait encore l'innocence d'une vie en construction et parce qu'il avait l'amour de sa vie à ses côtés. Un an plus tard, Eva tombait enceinte. Ce n'était pas prévu. Mais le couple voulait assumer. Sauf que le bébé n'était jamais venu au monde. Une fausse couche qui avait soudé encore plus le couple. Ce n'était peut-être pas le bon moment. Voilà ce qu'il s'était dit. Après l'obtention de son diplôme, Aleks s'était associé avec un ami pour fonder une entreprise d'investissement dans nouvelles technologies, les médias. En parallèle, il obtenait son doctorat en ingénierie. Ainsi, il pouvait offrir une belle maison à Eva, un nid d'amour pour eux et leurs enfants. Sauf que les enfants n'arrivaient pas. Eva avait fait quatre fausses couches. Alors ils avaient fini par se résoudre à ne pas être parents. Pour combler ce manque, la jeune femme s'adonnait à sa passion : la décoration d'intérieur. Elle travaillait pour une grande filiale. Et cela lui faisait oublier cette douleur qui pourtant, la rongeait chaque jour.

Pour eux, c'était un rêve impossible à réaliser. Et ils pensaient sincèrement à adopter quand Eva est à nouveau tombée enceinte. Un nouveau test positif. Et cette même hantise qui occupait leur esprit. Avec les années, ils avaient appris à ne pas se faire de fausses joies. Ce bébé, c'était encore un mirage. Sauf que cette fois-ci, les mois sont passées. A chaque fois qu'un mois était franchi, c'était un peu plus de soulagement. Pour la première fois en presque dix ans, ils arrivaient à l'étape de l'échographie. C'était un garçon. Un garçon en parfaite santé. L'anxiété avait fait place à la joie. La naissance d'Espen était attendue. Elle était presque inespérée à vrai dire. Pourtant, les premiers mois avaient été stressants et angoissants pour Aleksander. Après tout ce temps, il avait fini par se dire que ne pas avoir d'enfance était une chance... parce qu'il ne voulait pas être comme son père. Il ne voulait pas lui ressembler. Cela avait été un électrochoc. A tel point qu'Aleksander avait quitté la maison quelques jours. Il avait prétexté un voyage d'affaires en Nouvelle Zélande pour prendre ses distances. Mais il savait qu'il ne pouvait pas continuer comme ça. Malgré tout il arrivait à un stade de sa vie où il avait besoin de mettre un trait définitif sur son passé. Il est donc reparti en Norvège où il n'était pas revenu depuis des années. Ses grands-parents étaient décédés quelques années plus tôt. Quant à son père, il s'était remarié mais son imprimerie était en faillite. Aleksander avait donc racheté cette dernière avec un certain plaisir. Et il l'avait démantelé, morceau par morceau. Et l'argent qui avait été récolté, avait été offert au quartier dans lequel il avait grandi.

Cette escapade en Nouvelle Zélande puis en Norvège lui avait fait du bien. Cela lui avait permis de tourner la page. Il était revenu aux états-Unis, décidé à s'occuper de sa femme et de son fils et de ne jamais faire subir à ces derniers, ce que son père avait fait avec lui et sa mère. Dans le même temps, Aleksander avait ouvert sa propre entreprise d’ingénierie scientifiques et de nano technologies. A présent, son entreprise, la Halvorsen Compagnie vaut des millions. Il en est fier parce qu'il est là, c'est uniquement à force de travail et de persévérance. Espen était encore un bébé quand ses parents ont déménagé à Wellington. Les années ont passé et la famille a trouvé ses marques dans ce nouveau pays. Espen grandissait et il faisait la fierté de ses parents. Puis les années passaient et plus, Aleksander se sentait rassuré. Il se considérait comme un bon père. Il n'avait jamais délaissé son fils. Il avait toujours été là pour ses anniversaires. Il le couvrait sans pour autant l'étouffer. Il le laissait faire ses choix. Même si Eva était très protectrice. Mais il fallait la comprendre. Vu tout ce qui s'était passé avant d'en arriver là, elle avait peur, de façon constante pour son fils. Mais ça, Espen n'en avait jamais rien su. Il ne savait pas à quel point cela avait été douloureux pour eux avant qu'il n'arrive dans leur vie. D'autant plus qu'après la naissance de son fils, Eva avait appris qu'elle ne pourrait plus donner la vie. Espen était leur miracle. Et Aleks avait eu trop peur de perdre aussi sa femme ce jour-là lors de l'accouchement, qu'il avait également reporté un trop plein d'amour sur ce bout de chou.

La peur. Il pensait que c'était une histoire ancienne. Il pensait qu'après toutes ces douleurs passées, ils pouvaient enfin profiter tous les trois des années qui la vie leur offrait. Sauf que la vie est cruelle. Aleksander l'avait presque oublié. La peur avait à nouveau gagné son cœur quand il avait vu son épouse, s'effondrer sur le sol après un malaise. Quand l’ambulance l'avait emmené à l’hôpital, quand les médecins leur avait appris la terrible nouvelle. Un cancer. Un cancer a un stade déjà bien avancé. Eva s'en doutait mais elle a caché sa maladie. Peut-être qu'elle avait un pressentiment que tout se terminerai ainsi. Elle ne voulait pas subir de chimio, elle ne voulait pas dépérir au point de ne pas se reconnaître. Aleks était effondré, désemparé... mais il avait toujours réussi à intérioriser tout ce qu'il ressentait. Il s'est montré fort, surtout pour leur fils. Malgré tout, il savait qu'il devait s'attendre à l'inévitable. Il a voulu que Eva aille consulter les meilleurs spécialistes, fasse partie d'un groupe pour des essais cliniques. C'était égoïste, il le savait. Il pensait à lui et pas à son épouse. Mais la voir souffrir devenait insupportable. Et voir son cercueil entrer en terre, était encore plus terrible. Il était veuf. Il avait perdu la femme de sa vie. Et il se sentait incapable d'avancer. De toute sa vie, c'était bien Eva qui avait été capable de le maintenir hors de l'eau. Elle qui avait calmé ses peurs. Elle qui l'avait fait devenir homme, puis père. Il lui devait tout. Et pourtant, on lui retirait. Il se sentait dériver. L'alcool, la drogue parfois, calmaient ses douleurs constantes. Il avait du mal à se relever. Encore plus quand il voyait Espen. Il voyait tellement Eva en lui. C'était à la fois rassurant et douloureux. Une douleur qu'il savait pour l'instant, incapable d'adoucir.