Stanley ◊ This is your life and it's ending one minute at a time

1. Il fut un temps où t’étais un mec idéaliste et passionné d’un rien, qui voulait tout accomplir et tout tester, qui avait toujours l’idée géniale ou l’idée complètement stupide. Avec ce parler direct et convaincant, tu donnais aux autres l’envie de te suivre dans tes aventures et, plus souvent, tes conneries. Dès que tu commençais une phrase par « Viens, on », tes camarades se demandaient souvent quelle genre de merde allait suivre ◊ 2. Avant ton incarcération, t’étais quelqu’un qui raisonnait de façon insolente, et on n’a jamais su si tu le faisais exprès ou si tu te prenais vraiment pour le Prince d’Océanie. Durant ta seizième année, tu as volé la Mercedes de ton voisin au centre commercial. Une heure et demi plus tard, soit quelques minutes après qu’il eut découvert le méfait en se rendant au parking avec sa famille, et appelé les flics, toi t’étais déjà en train de garer le véhicule devant chez lui. Un de tes camarades, que t’avais entraîné en virée et qui réfléchissait toujours après (comme toi), te dit que t’avais quand même un peu déconné tout compte fait, et que ça aurait pu mal tourner. Sur tes grands chevaux, tu lui as fait remarquer qu’il était mal placé pour te juger, puisqu’il avait déjà volé un paquet de bonbecs au supermarché. « Ça reste du vol, je suis juste plus ambitieux. Et puis, contrairement à toi, la caisse, je l’ai rendue » t’as dit avec ce petit rictus fier et mutin fendant le coin de tes lèvres comme si tu venais de balancer des propos d’une logique implacable. On t’a souvent dit qu’on ne savait pas si t’étais un génie qui faisait parfois des idioties, ou un idiot qui faisait parfois des choses géniales. Tu dois tirer sur les deux. ◊ 3. Avec ce petit charisme bien à toi, et cette façon que t’avais de te mettre en avant, on te voyait faire dans le commercial, un truc comme agent immobilier, ou autre métier de merveilleux manipulateur, berger des moutons de la consommation. C’est d’ailleurs la voie que t’as fini par suivre en école de commerce. Ta chère mère, que tu soupçonnais de croire encore au père noël, t’imaginait avocat, étant loin de se douter qu’un jour, c’est elle qui t’en paierait un. ◊ 4. T’étais juste un gosse ordinaire, fils unique un peu gâté par des parents sympas, qui avait trouvé l’astuce pour rendre une vie banale extraordinaire : le risque, même le plus petit, le plus ridicule. Un tour en caisse sur un circuit, un squat nocturne dans un parc aquatique, une bonne baston ou tout simplement, faire le premier pas. C’est d’ailleurs ainsi que tu as rencontré les deux personnes les plus importantes de ta vie, il y a des années. ◊ 5. Loan, c’était au lycée lors d’un travail en groupe. Son caractère calme et réservé t’a tapé dans l’oeil. Quand il s’agissait de se faire des potes, t’étais clairement pas attiré par tes semblables, ces beaux parleurs pas mal vides, pas mal vains, parce que toi, t’avais pas une grande gueule juste pour l’art d’en avoir une, tu a toujours été vrai, et tu voulais du vrai. Tu l’as trouvé. Pourtant, cela aurait pu mal commencer avec ta bouche qui parlait avant ta tête, quand t'as dit à Loan que tu ne savais pas que c’était aussi un nom de mec avant de le rencontrer. Mais ça a collé, peut-être parce qu’il canalisait la boule d’énergie que tu étais et qu’en retour, toi, t’étais toujours là pour lui. À votre majorité, voire même un peu avant, t’avais l’impression de soulever une montagne quand il s’agissait de l’entrainer en sortie, de le faire boire, d’essayer de ramener des nanas à votre table –alors que le pauvre gars voulait être ailleurs-, bon samaritain de trou d’cul que t’étais ◊ 6. En tant qu’enfant capricieux qui veut et qui a, dès que tu as vu Lorelia presque deux ans plus tôt, tu as salement lâché les potes pour aller la voir, lui parler, et faire en sorte qu’on cesse de la convoiter, de la regarder comme si elle était à avoir. Car c’est toi qui l'aurait. C’était peut-être un coup de foudre au premier regard, car sa beauté t'a crevé le cœur sur l’instant. Malheureusement, tu sais un peu y faire en amitié, mais on ne peut pas en dire autant de l’amour. Pas romantique pour un sous, tu ne t’exprimes pas vraiment sur ce que tu ressens et n’es pas toujours tendre avec elle. Cependant, au moins, tu agis. Lorelia, tu ne vois qu’elle, et quand elle n’est pas là, tu la cherches du regard. Les autres filles sont invisibles. Malgré ton caractère de merde qui te fait parfois casser du décor, tu ne lèverais jamais la main sur elle… mais cognerais quiconque l’observant de trop près. Oh, tiens, ça a déjà dû arriver ◊ 7. Tu n’as pas perdu contact avec ton meilleur pote en entrant dans les études supérieures, tu étais toujours là pour lui et lui pour toi. Le problème, c’est qu’à cette période de ta vie, tu as commencé à vraiment déraper. Les Marlboro sont devenu des joints, et les conneries bon enfant sont devenus des délits ◊ 8. Seulement, contrairement à ce que tu fais croire à Lia, tu n’as pas été jugé pour un délit, mais pour un crime ◊ 9. Un soir peu après que tu fus fraichement diplômé, ou plutôt un petit matin, seul dans le métro, tu devais refiler une dose de cannabis contre une coquette somme, or le faux acheteur n’avait aucune intention de payer et s’en prit à toi avec une arme blanche. T’aurais pu fuir, t’aurais pu donner et reculer sans faire d’histoire, mais t’as préféré riposter avec toute la rage et l’inconscience dont tu disposais. Même si t’y es tombé aussi, c’est toi qui l’a poussé sur les rails du train. Il avait dû se casser le dos parce que toi tu as pu te relever, mais pas lui. T’es remonté sur le quai sans te préoccuper de ton agresseur, et quand tu t’es retourné, tu as vu qu’il y était resté et t’appelait. Pendant un instant t’as pas réagi, comme stupéfait, ou comme si tu hésitais à le laisser crever. Ce moment de flottement, que ton avocat grassement payé par ta mère mit sur le compte de l’étourdissement lorsque la vidéosurveillance fut réutilisée, aurait pu te couter bien plus qu’une année de taule, mais tu as fait le geste qui t’a sauvé : tu t’es avancé. Néanmoins, champion, c’était trop tard. Le conducteur n’a pas freiné assez tôt et toi, tu étais impuissant ◊ 10. Tu n’as donc pas comparu en correctionnel à cause de deal, comme tu l’as prétendu, mais en cour d’assise. En plaidant la légitime défense, ton homicide fut jugé involontaire, mais la drogue retrouvée sur toi fut une circonstance aggravante te valant deux années de prison, avec possibilité de réduction de peine si bonne conduite. Chose que tu as obtenue. Tu es resté près d'un an derrière les barreaux. ◊ 11. Loan a assisté à ton procès et a toujours gardé le silence là-dessus. T’étais persuadé qu’il ne te pardonnerait pas d’avoir fait l’impardonnable. Tu ne le remercieras jamais assez de t’avoir donné tort. T'aurais pu en rester là, mais tu lui as demandé un dernier service : qu'il prenne soin de Lorelia. Les deux t’ont souvent rendu visite ◊ 12. Tu caches la vérité à Lor' par crainte du rejet. Tu sais que tu ne la mérites pas mais tu ne peux pas renoncer à elle, tu es trop égoïste pour ça ◊ 13. Tu as repris l’appartement appartenant à ta famille, proche de ton ex-université, avec l’accord de ta mère. Si celle-ci t’aime toujours malgré tout, ton père ne t’adresse plus la parole. Les deux avaient bien conscience de ton insolence et ton souci avec l’autorité dans ton adolescence, mais ils étaient loin de se douter que tu deviendrais pire qu’un délinquant… ◊ 14. Tu as quelques pistes d'emploi pour des petits boulots, qui va du livreur au barman. Tu penches pour la deuxième option. ◊ 15. T'es retourné au Marlboro.