esmail, no one's here to sleep

« La loi de Murphy :
✧ Tout ce qui est susceptible de mal tourner tournera nécessairement mal.
✧ S’il existe plusieurs façons pour les choses de mal se passer, celle qui va arriver est aussi celle qui causera le plus de dégâts. Corollaire : C’est au pire moment que les choses tourneront mal.
✧ Si quelque chose ne peut tout simplement pas mal tourner, ça se tournera mal quand même.
✧ Si vous avez décelé quatre façons possibles pour les événements de mal tourner, et si vous les avez circonvenues, alors une cinquième apparaîtra spontanément. »

Il se souvient de ce soir-là. Rien de ne plus banale. Une commande à faire passer de Détroit à la frontière Canadienne. Il n’a rien d’actif à faire, seulement surveiller. Sifflet s’il la police se pointe, ou si quelque chose cloche. Esmail est un guetteur, le plus bas grade que l’on peut avoir dans le gang, au même niveau que des gamins qui ont dix ans de moins que lui. Ses frères ne sont pas fiers, ils ne le sont jamais, ils lui reprochent son manque d’ambition et d’implication. Mais il ne veut pas, il ne veut pas faire partie de ça, il n’en a pas le choix, c’est tout. Alors il guette. Du haut d’un toit. Sous le coucher de soleil sans chaleur, Esmail peut voir toute la ville. Détroit est à la fois si grande et si .. vide. Il en a le cœur qui se serre rien que d’y penser. Mais il ne peut pas être nostalgique. Pas ce soir. La commande est importante, et même si la police ne vient jamais dans ce coin-là de la ville, Esmail a très bien senti la tension. Le gang mexicain, principal rival, n’a pas apprécié l’accord convenu entre les pakistanais et les vietnamiens, surtout pas après le meurtre de plusieurs de leurs membres. Une atmosphère de vendetta plane sur la ville depuis plusieurs jours, et même si les pakistanais ne sont pas particulièrement impliquer, les alliances suffisent à les rendre coupable. « Ton arme est chargée ? » Avait demandé Imran avant de se séparer. Son grand-frère, surprotecteur, avait tendance à remettre en question la plus simple de ses actions. Bien sur que son arme était chargée, il se souvient encore de son poids dans ses mains quand il se trouvait sur le toit. Il ne s’en était jamais vraiment servie avant se soir-là, enfin, il n’avait jamais touché quelqu’un avant ce soir-là. Pas comme ça.
Il se souvient aussi du poids du sifflet en argent pendu à son cou, et du froid qui lui mordait les joues.
Il se souvient de tout ça, et pourtant, dans son esprit, à l’image de sa ville, il a un grand vide, un point d’interrogation et pleins de questions.
Il ne se souvient pas de ce soir-là. Les images s’entrechoquent dans sa tête. Il courait à travers les toits. Les coups de feux. Qui ? Il ne sait pas. Comment son frère la rejoint ? Imran saigne. Ils sont coincés. Il y a trop de distance avec le toit voisin pour sauter. Pas avec Imran dans cet état. Il ne se souvient pas d’avoir trouvé du courage, ni de la peur. Tout est flou. Dans son champ de vision, un corps à peine plus grand que le sien, le regard féroce, mais il n’est même pas en âge de se raser. Il ne sait pas pourquoi il a rigolé, comment il a fait pour éviter les tires. Il y a le coucher de soleil derrière le gamin, il disparaît, vite, trop vite, les couleurs violettes deviennent bleues, puis sombre. Un tir raté, un autre entre les deux yeux. Le gamin s’écroule.
Non. Il ne se souvient pas de ça.