It gets better now that you're older ¤ lenyn

Le temps s’était arrêté soudainement et pas parce qu’il l’avait décidé, simplement parce qu’il le fallait. Juste quelques secondes pour ouvrir les yeux et oublier que tant de choses avaient changé en vingt ans. Vingt ans auparavant, oui, il était adolescent, en marge de vivre sa vie dans les conditions optimales du rigolo lambda qui n’avait pas besoin d’en faire des tonnes pour réussir. Vingt ans auparavant, il était loin de s’imaginer qu’il finirait divorcé de sa professeur de chimie du lycée, avec une petite fille décédée, un avenir à reconstruire… Non, il ne l’imaginait pas à cette époque et il ne l’imaginait probablement pas encore aujourd’hui parce qu’il était optimiste, que rien de ce que la vie ne lui avait fait n’avait changé la personne qu’il était. Lenyn croyait à la force de la vie, aux sourires qu’on offrait et qui pouvaient changer un destin, aux mots charmeurs qu’on pouvait prononcer à une femme et qui pouvaient tout boulever, au retour en arrière qui semblait encore possible quand on retrouvait une figure du passé qu’on avait aimé. Lenyn croyait en tout et il n’avait peur de rien, c’était vrai, ce l’était aujourd’hui et demain, il serait encore là à prendre son destin en main parce que le temps s’était arrêté quelques instants et s’il ne l’avait pas décidé, c’était parce qu’elle réapparaissait devant lui, certainement aussi cynique que vingt ans auparavant quand elle essayait encore de le sauver du drame scientifique de son existence. Elie. Il n’avait aucune idée de ce que la vie lui avait fait, à elle, à lui même mais il savait que ce n’était rien en comparaison de ce qui pouvait être, un jour, quelque part, ailleurs, pour le meilleur.

Il déambulait dans les couloirs du lycée, Otaki dans toute sa splendeur. Rien à y faire, rien à y voir et pourtant, une armada de jeunes décérébrés séchaient les cours en hurlant dans le grand hall, balançant des bouquins parce que les vacances étaient là. Les vacances? Une notion qui plaisait bien à Lenyn à la base, excepté qu’on lui avait refilé deux belles heures de tutorat avant qu’il ne puisse se sentir totalement libre. A quinze ans, il en fallait peu pour s’émerveiller et parfois, c’était ce qui arrivait au jeune Atkins quand il la regardait s’asseoir en face de lui à la bibliothèque, déjà dépitée d’avoir à le supporter une heure supplémentaire. Elie, il l’aimait bien, peut être parce qu’elle était honnête ou bien parce qu’elle le méprisait, c’était tout à fait le genre d’éléments qui tapaient dans l’oeil de Lenyn. Pas mauvais garçon pour un sou, il faisait surtout semblant d’être le clown parce qu’il s’ennuyait à en mourir, désespérément, constamment. ”T’es de mauvais poil, j’le sens. On peut reporter s’tu veux… Ca m’dérange pas du tout de parler du sort des planètes à un autre moment. Après tout, les potins sur Jupiter et l’anneau de Saturne, après les vacances, ce sera toujours là… Non? Bon, non, ok.” Il essayait toujours de la dérider mais il n’y avait pas grand chose qui fonctionnait avec sa voisine, sauf peut être le fait qu’il se taise, range son sourire narquois et arrête de gigoter sur sa chaise en jouant avec ses crayons. Lenyn ne lui donnait jamais cette satisfaction, sifflotant même en écrivant tout sauf le contenu de l’exercice en question sur sa feuille. Normal qu’elle était usée, normal qu’elle l’évite la plupart du temps mais Lenyn voyait ses deux heures hebdomadaires comme la récompense après la dure labeur parce que c’était Elie. Elie, sa voisine depuis qu’il était môme, celle qui avait dû entendre trente mille fois les rumeurs sur ses parents alors qu’ils avaient divorcé sans accrocs quand leur môme avait trois ans. Elie, la blonde qui ne jouait jamais dans le jardin, bien trop occupée à gérer les crises fraternelles en tous genres. Elie, qui n’avait définitivement jamais eu la même vie que lui et il la respectait d’autant plus pour cela.. Lenyn vivait avec son père, un plombier indépendant et il n’y avait jamais un mot de trop entre eux. A vrai dire, ils avaient la même philosophie de vie, le même humour et le même charme légendaire avec la gente féminine… Sauf qu’une timidité exubérante traînait encore dans leur système quand il s’agissait d’arrêter de parler et de rire pour agir. C’était le problème de Lenyn avec Elie depuis qu’il avait l’âge pour avoir le béguin sur sa voisine et maintenant, c’était trop tard. Il le savait certainement vu la manière dont elle le remballa pour la dixième fois consécutive. ”Un jour, j’te verrais sourire tu sais, p’tet pas avant la fin du lycée parce que le challenge est balèze mais un jour, ouais, ça s’fera.” Il n’avait aucune idée de la raison pour laquelle il avait prononcé ses mots mais Lenyn les avait pensés en se relevant de sa chaise avec un sourire naturel sur les lèvres dirigé vers elle. L’avenir était incertain mais cette promesse, elle, était belle et véritable.

L’ambiance avait changé en deux années dans les couloirs du lycée de banlieue. La faute à qui? La sienne. Lenyn avait laissé les rumeurs le maudire. Lui et mademoiselle Copeland? Lui et la mademoiselle Copeland de quatorze ans son année et sa professeure de chimie de surcroît? C’était totalement surréaliste, qui pourrait croire une telle infamie? Tout le monde. Lenyn aurait aimé pouvoir dire que c’était injustifié mais une année avait passé et l’idiot se faufilait encore dans la salle de chimie quand tout le monde quittait les couloirs du lycée pour le déjeuner. Il avait seize ans quand l’histoire avait commencé: élève en difficulté dans la classe de professeure Copeland, l’évidence avait été là rapidement. Il avait besoin d’aide, les cours d’Elie auraient pu être suffisants mais ses résultats ne s’amélioraient pas franchement. Alors, Lyra -parce que c’était ainsi qu’il l’appelait désormais- l’avait convoqué un midi, ils avaient déjeuné ensemble et la situation s’était répétée jusqu’à ce que l’enseignante craque. Elle avait fait des efforts évidemment pour ne pas faire partie de ceux qui couchaient avec leurs élèves, plusieurs mois, mais parfois, l’évidence était telle qu’il fallait accepter le destin. Lenyn était en terminale aujourd’hui et ils étaient encore ensemble après un an et demi alors que les bruits de couloirs se faisaient plus insistants mais sans fondement réel, heureusement pour la belle Lyra. ”J’sais qu’on a dit qu’on devait pas en parler mais… L’an prochain, Len’?” Il avait une tendance flagrante à éviter le sujet pour se concentrer sur son sandwich lorsque la question revenait sur le tapis, encore une fois il répétait le schéma, relevant les yeux vers les oiseaux qui piaillaient dans les arbres d’un des parcs du grand Wellington, le seul endroit où ils pouvaient sortir au grand jour sans prendre un risque énorme de se faire voir. ”Hum… L’an prochain, ‘semblerait que ce sera l’an 2000, la fin du monde p’tet. Personnellement, j’essaye de voir le bon côté des choses, périr dans l’âge d’or de notre civilisation, y a sûrement rien de plus gratifiant. Qu’est ce que t’en penses toi?” Il lisait trop de bouquins, féru d’histoire géographie qu’il était, un avenir qui lui tendait les bras en la matière clairement. Evidemment, le regard de Lyra ne brilla pas comme lorsqu’elle s’apprêtait à éclater de rire d’une de ses blagues idiotes. Théâtral comme il était, c’était fréquent puisque le geste accompagnait la parole mais la jeune femme n’avait pas l’air d’humeur. ”Tu sais bien ce que j’voulais dire mais t’as trop peur de m’parler de ta décision… Après tout, tu vas pas rester avec la “vieille” Copeland toute ta vie, si?” Elle avait imité un adolescent après sa mue et Lenyn était à deux doigts de relever le ridicule de cette imitation mais il n’osa pas vu l’air qu’elle lui lança à cet instant. ”Ok, tu veux savoir… L’an prochain, c’est Londres pour mes études d’histoire géo’ et ça veut pas dire que j’veux pas faire ma vie avec toi, bien au contraire… Parce que j’vais revenir, souvent, pendant ce voyage et j’suis certain que notre histoire en sortira meilleure. C’deux ans tout au plus, deux p’tites années où j’serais trop concentré sur mes bouquins incompréhensibles pour toi ou à forcer Maria à faire le ménage dans l’appart’ pour envisager une autre femme, ok? Alors, arrête…” Lenyn ne remarqua même pas l’expression de Lyra lorsqu’il mentionna Maria, sa meilleure amie, il aurait probablement dû pour s’éviter des rancunes futures qui n’avaient pas lieu d’être. A la place, il baisa la tempe de la jeune femme avant de repartir dans un délire sur la mythologie grecque, elle avait le regard dans le vague, déjà, elle montrait des signes de ce qui la hanterait toujours: son manque de confiance en lui. Elle avait ses raisons parce que Lenyn parlait un peu à tout le monde, charmait sans le savoir et si elle avait tort, c’était déjà trop tard pourtant. Deux années, juste deux années.

Surprenant mais Lenyn avait tenu sa promesse deux années durant. Perdu dans ses pavés de trois mille pages, perdu dans ses parties de jungle speed avec Maria, il ne trouva pas une femme plus jeune pour faire sa vie, non, c’était Lyra tout simplement. Il avait eu des occasions mais Lenyn avait des principes derrière son débit de blagues ridicules qui amenait le rire entre les lèvres des jeunes étudiantes. Non, il ne se passa rien pendant ces deux années, hormis quelques voyages Nouvelle-Zélande/Angleterre et une relation épistolaire fournie. Il rentra après cela, se concentra sur la fin de ses études et à vingt trois ans, sa vie prenait déjà un tournant. Accroché au volant de la voiture, totalement paniqué en appuyant sur la pédale d’accélérateur en se passant une main tremblante dans les cheveux, Lenyn se demandait réellement ce qu’il était en train de vivre. ”Bordel, Lenyn, j’te jure si t’accélères pas dans les deux secondes, j’te balance ma chaussure dans la gueule, j’m’en fous que tu sois au volant, merde!” Evidemment, Lyra n’était pas détendue pour un sou, vu son état, c’était dans la normalité, enfin il supposait. ”C’sûr qu’avec ce genre de mots d’amour, j’vais faire mon possible: A la limite, j’préfère la chaussure gauche quitte à choisir… Ok, ok, j’me bouge, accouche pas sur le siège putain.” La situation aurait pu être comique si Lyra, trente cinq ans, n’était pas en train de contrôler des contractions qui se rapprochaient à vue d’oeil et que la circulation n’était pas un enfer sur le boulevard. Lenyn arriva à destination, pourtant et il ne fallut pas plus de deux heures après cela -avec un Lenyn proche de la syncope à de multiples reprises- pour que la petite Gaya Atkins atterrisse dans les bras de son père. Les muscles encore tremblotants, le tout nouveau père regarda sa progéniture herler aux éclats alors que lui souriait d’un air presque pathétique vu qu’il avait les yeux qui se remplissaient bien malgré lui de larmes d’émotion. On disait que c’était la plus grande joie sur cette planète de prendre son enfant dans ses bras pour la première fois et ce n’était pas Lenyn qui aurait pu dire le contraire, même s’il était jeune, qu’il déjouait toutes les statistiques en se mettant en couple à seize ans avec sa professeure de chimie dans une ville de cinq mille habitants et en terminant avec son enfant dans les bras sept ans plus tard. Il releva un regard ému vers sa petite amie, berçant naturellement celle qui devenait instantanément la femme de sa vie à ce moment là. ”Putain, Lyra, quand tu m’fais un truc comme ça… J’pourrais t’épouser, j’te jure.” C’était bien lui de sortir une connerie dans ce genre de moments et le rire fatigué de l’enseignante ne manqua pas de se faire entendre avant qu’elle ne pose un regard plus tendre sur lui. ”Fais le, alors.” Et le 22 juillet 2004, ce fut le cas alors que la robe blanche de Lyra ensoleillait une journée qui aurait pu être maussade. Gaya au premier rang dans les bras de sa tante de onze ans, le monde était décidément propice à la beauté, son oncle de douze ans de l’autre côté qui semblait concentré sur un jeu de game boy et désespérément personne pour l’empêcher d’agir. Habituellement, c’était le rôle de sa mère, cette chère Connie qui s’était remariée au début des années 90 avec un ex taulard du nom de Trent mais elle était aux abonnées absentes, et pour cause… Un an sans la voir, un an où Lenyn pensait qu’elle l’avait oublié. Elle était venue à la maternité, avait pris sa petite fille dans ses bras avant de quitter la pièce en luttant contre les larmes. Elle n’avait pas eu besoin de lui dire parce que Lenyn savait, depuis le début, depuis le jour où il était rentré de Londres pour lui annoncer qu’il emménageait à Wellington avec “Madame Copeland”. La pilule n’était jamais passée et le matin du grand jour, ce fut un Lenyn désespéré qui composa son numéro. ”Maman, c’est Len’... Juste pour être sûr que tu venais aujourd’hui, j’suis un peu inquiet comme j’ai vu Trent déposer Glora et Reid…” Le silence, perçant au bout du fil mais au moins, la vérité serait la bienvenue, elle le libérerait du poids du chagrin de savoir sa mère incapable d’être honnête avec lui. ”J’ai essayé, Len’, j’ai vraiment essayé… J’peux pas. Elle va ruiner ta vie, j’peux pas être témoin de ça, ça m’briserait le coeur… Je t’aime, chéri.” Et elle raccrocha. Le début de près de dix années de silence radio, le début de la fin en somme. Vaillant, pourtant, Lenyn se présenta devant la foule, large sourire aux lèvres parce qu’il épousait son âme soeur, c’était ce qu’il croyait, c’était ce qu’il voyait. Lui ne savait pas que Lyra avait failli étrangler Maria métaphoriquement parce qu’elle avait été là pour faire son noeud de cravate, parce qu’elle avait toujours été là pour lui. Le oui était sincère, le oui était beau mais le oui n’était pas éternel alors qu’on les invitait à unir leur mariage dans un baiser quand Gaya se mit à pleurer, ce qui eut le don de faire rire Lenyn. ”Elle ruine les meilleurs moments, comme son père.” Et la joie s’étalait dans l’assemblée, la joie s’étalait dans les coeurs de la famille Atkins pendant quelques années… Ce n’était pas éternel, jamais.

Le duo de choc dans les couloirs d’un lycée de Wellington: elle, professeure de chimie, lui professeur d’histoire géographie. Le destin avait l’humour sympathique finalement, au moins dans ce domaine là, à défaut du reste. Si le couple montrait une façade solide, la messe était différente à la maison. Gaya était dans sa période difficile, cinq ans déjà et la petite tête blonde avait décidé d’en faire baver à sa génitrice. Au bout du rouleau, Lyra était dans l’incompréhension la plus totale face à ce lien qui se délitait avec sa fille quand celui entre Lenyn et la petite ne faisait que se renforcer. Il avait de l’autorité, elle pataugeait. Il jouait avec Gaya, elle s’impatientait. Les discussions finissaient inlassablement sur la même rengaine “pourquoi ma fille t’aime plus qu’elle ne m’aime?”. Lenyn s’énervait peu, elle était plutôt du genre conciliant avec son sarcasme latent et son humour qui terminait toujours par détendre l’atmosphère mais pas ce soir là. ”Gaya, va dans ta chambre, s’te plait!” La petite avait renversé son assiette de petits pois, ce qui avait créé un scandale sans précédent pour une Lyra tremblante. Lenyn n’avait rien dit, congédiant simplement la petite pour l’aider à ramasser les dégâts. ”Arrête ça! Arrête d’être le père modèle, bordel, tu m’insupportes là!” Lenyn se releva, les sourcils froncés alors que sa femme continuait son manège en ramassant quelques morceaux de porcelaine au milieu de la débâcle. Il savait ce qui arrivait et il n’aimait pas vraiment cela. ”On est encore là dessus? J’te le dis et j’te le répète, c’une phase chez Gaya, ça va passer, ça a rien à voir avec ton éducation, la mienne ou ce qu’elle va devenir… Alors, tu vas t’calmer et t’asseoir là… J’suppose qui faut qu’on parle.” Outre l’éducation de leur fille, d’autres sujets semblaient préoccupants, comme cette distance qui était née naturellement entre eux au fil des années et ce refus constant de parler d’avenir ou d’autres enfants. C’était comme si leur mariage se vidait de son essence au fur et à mesure, tout simplement. ”T’as raison, on va p’tet arrêter d’se mentir deux p’tites minutes… On aura pas de deuxième enfant, c’fini pour moi. Et c’là que ma question d’y a des années entre en compte, qu’est ce que tu fous encore avec la vieille Copeland hein? Tout l’monde l’voit, regarde moi, j’ai quarante ans, Len’, quarante ans. Et quand toi, tu t’marres avec les jeunes enseignantes dans les couloirs ou tu les dragues parce qu’on est pas très sûres qu’y ait une différence, moi, j’passe dans l’autre clan… Les vieilles. Est-ce que j’suis encore désirable pour toi? Est-ce que même ça t’intéresse? Parce que j’ai la sensation que tout ce que tu veux, ça s’résume à un deuxième môme, avoir l’attention de Gaya et de toutes les nanas du comté!” Elle n’avait même pas eu le temps de s’asseoir qu’elle était de nouveau debout à le toiser, en colère. Lenyn laissa un rire nerveux s’échapper de sa gorge, il ne comprenait pas forcément parce que c”était naturel chez lui d’être ainsi avec les gens, tout comme c’était naturel d’avoir envie un jour de retrouver cette sensation de bonheur qu’il avait ressenti avec Gaya dans ses bras. ”Wow. Et il t’a fallu combien d’temps pour m’avouer tout ça? C’si compliqué de communiquer? J’t’ai toujours tout dit et oui j’t’ai dit que j’dirais pas non à un deuxième enfant mais si c’pas écrit, tant pis, j’suis très heureux de notre Gaya. Ta rengaine, j’l’ai jamais avalé, t’as jamais été vieille, pas pour moi. Tu t’l’inventes toute seule dans ta parano, j’suis marié avec toi, j’te suis fidèle et j’envisage rien d’autre… J’me demande ce que j’fous là par moment, putain.” Et elle murmura entre ses dents, Lenyn ne préféra pas entendre pour quitter les lieux histoire de calmer le jeu. Le quotidien était moins avenant certes mais il ne voyait pas cela comme un signe de danger, il vivait avec et plutôt bien par dessus le marché. Que pourrait-il arriver de pire de toute manière?

Il l’avait construit de ses mains, durant près de deux années entières et il en était fier. Lenyn n’était pas simplement un cérébral, il avait développé des facultés manuelles à côtoyer son père entre deux cours sur la civilisation maori et il avait construit leur maison. Gaya, Lyra et lui. Ce n’était pas une bâtisse immense avec des centaines de pièces, juste quelque chose de simple avec un nombre de pièces suffisant pour abriter deux parents et leur enfant. S’il en était fier, cela n’empêchait pas Lenyn de passer la majorité du temps hors de ces quatre murs parce qu’il avait trouvé un défouloir dans un abonnement à la salle de sport. Encore un jour où il quitta la maison avant le dîner pour aller s’échauffer et oublier les terminales, la préparation des dix ans de Gaya qui occupait Lyra toute la sainte journée et finalement la routine. ”A tout à l’heure, les filles! Ah et Gaya… Oublie pas ton bisou à maman.” C’était un jeu entre eux et bien vite, il aperçut la petite blonde courir vers les bras de sa mèr alors que Lenyn quittait les lieux pour ne pas revoir Gaya revenir à la charge. Il ne se doutait pas que c’était la dernière fois, il ne se doutait pas que le destin était parfois cruel pour les petites filles. Une heure plus tard, c’était un coup de fil apeuré qui l’amena à l’hôpital. Lenyn courut dans les couloirs jusqu’à trouver sa femme à faire les cent pas proche de la crise d’angoisse alors qu’il venait la prendre dans ses bras. ”Qu’est ce qui s’est passé? Elle est où? Merde, qu’est ce que t’as foutu?” Et sans qu’il n’ait le temps de réfléchir, les mots étaient sortis et la gifle de retour fut d’autant plus violente. Pour lui, c’était sa faute, c’était le seul message que Lyra avait retenu parce qu’elle avait laissé Gaya seule à la maison durant quelques minutes, le temps d’aller faire une course. Les flammes avaient tout dévoré en ce laps de temps et on retrouva leur petite blonde inconsciente au milieu du salon. Le four était allumé et c’était vraisemblablement lui qui avait causé l’incendie: inconsciemment, oui, c’était sa faute, certainement. ”Monsieur et Madame Atkins? Docteur Leary… On a fait tout ce qu’on a pu mais ses poumons nous ont quitté… Votre fille est partie.” Le monde tourna après cela, les sons se firent plus distants, les pleurs de détresse de Lyra aussi alors qu’il restait totalement immobile devant ce verdict. Gaya était morte et cela, c’était définitif. Il attendit après les funérailles pour retourner sur les lieux de l’incendie, seul, ayant ce besoin d’émancipation parce qu’il avait perdu une partie de lui ce jour là. Gaya était morte et il n’avait pas été là pour l’en empêcher, Gaya était morte parce qu’ils avaient été des parents inconscients. Gaya était morte et tout cela allait être son quotidien à partir d’aujourd’hui. Il vivrait avec, il sourirait parce que des souvenirs, il en avait des tonnes et Lenyn n’avait besoin que de cela pour rebondir, il l’espérait en tout cas.

La vie avait définitivement repris son cours au bout d’un temps mais plus de la même manière. Il n’avait fallu qu’un an pour dire adieu à un mariage de près de dix années, une histoire de près de quinze ans mais l’évidence était arrivé exactement au moment où ils en avaient eu besoin. Lenyn avait fini par démissionner de son poste, il avait quitté le professorat, rongé par les rumeurs sur son compte. Lui et une lycéenne, un joli paradoxe, n’est-ce pas? C’était comme retourner quinze ans en arrière sauf que cette fois, rien n’avait été réel. Il en avait eu envie pourtant, juste de céder, avec cette once de vengeance au fond du coeur, juste pour faire mal à Lyra une dernière fois mais non, il s’était simplement arrêté à un baiser et il avait tout quitté après cela. A ce moment là, pourtant, Lenyn avait compris que c’était fini et un soir, curieusement, il avait trouvé Lyra assise sur le canapé à l’attendre et il savait qu’elle avait compris aussi. Il s’était assis en face d’elle, un sourire léger aux lèvres parce que c’était de cette manière qu’on devait dire adieu à une relation aussi longue: avec cette légèreté au fond des pupilles parce qu’il y avait eu des bons moments et que même si les coeurs et les corps ne s’aimaient plus, le respect existait encore. ”On a été merveilleux, hein? Il fut un temps…” Lenyn lui sourit largement en se rappelant du lycée, des conneries qu’il faisait durant son cours de chimie, d’autres instants aussi où Lyra n’était pas dans l’image. ”Parle pour toi, j’suis toujours merveilleux, eh oh.” Elle étouffa un rire avant de reprendre son sérieux en le regardant. ”La vérité, c’qu’on était morts avant que Gaya parte… On a été condamnés ce jour au parc où tu m’as dit que tu t’en allais pour deux ans. On était condamnés parce que dix ans plus tard, j’ressens encore ce que j’avais au fond de moi à ce moment là. J’te faisais pas confiance Len’. J’savais qu’un jour viendrait où tu t’en irais avec une fille de ton âge, que ce soit Maria ou ta tutrice avec qui tu m’barbais dans les débuts… C’était p’tet idiot mais j’suis persuadée qu’il faut qu’on soit réalistes, la différence d’âge, c’était mon problème, j’accepte d’être vieille par rapport à toi mais j’ai pas envie de l’être par rapport à moi même alors… La vérité, c’qu’on s’est aimés oui mais c’fini ce temps là, j’me trompe?” Lenyn la regardait avec cet air entendu: il comprenait et il n’était pas en colère, pas le moins du monde. ”Non, tu t’trompes pas… Cela dit, j’espère que tu m’fais encore confiance pour égayer notre dernière soirée avec le récit d’Alexandre le Grand? Non, t’es sûr?” Il n’avait pas besoin d’en dire plus, juste de rire à l’unisson avec elle parce que c’était fini et que c’était une bonne chose, excellente même. C’était un nouveau chapitre et il serait certainement beau, celui là.

Trois ans plus tard, Lenyn était de ceux qui n’avaient le temps de rien d’autre que de profiter du moindre instant. La semaine, il était de plomberie avec son cher père et ils riaient comme deux gamins perdus sur la route de leur avenir. Le week end, il retrouvait les rires des Williams, sa mère ayant accepté son retour après son divorce avec Lyra. Lenyn faisait n’importe quoi en cuisine avec Reid, il se fichait de Glora collée à son livre de littérature et entre deux bons moments, il tâchait de rester sérieux pour que l’auberge de jeunesse tourne. A vrai dire, il était heureux de cette façon là, totalement libre. Il changeait de lieu de vie au moins une fois par an, il ne s’était engagé avec personne d’autre que lui même et cela lui allait aussi. Les relations étaient éphémères, son rire et son optimisme, éternels. L’avenir était souriant, probablement parce que celui-là s’apprêtait à entrer en collision avec la voisine de son enfance, la Elie qui avait marqué son adolescence de fortune, celle qui était devenue femme depuis et si les situations avaient changé, Lenyn, lui, avait gardé la même personnalité et il avait une vieille promesse à tenir… Si elle s’en rappelait encore, Elie.