( only fools rush in )

(i should ink my skin with your name) Il y a les rires gras des pêcheurs qui se mêlent aux cris des mouettes, quelques touristes s'aventurant prudemment dans l'eau. Il y a l'odeur âcre des poissons, celle de la mer. Et puis, il y a Jamie. Sa chevelure incandescente qui vole au vent. Son sourire, qui lui fait chavirer le coeur. Aidan n'a même pas dix-sept ans – et déjà, aussi cliché cela sonne-t-il, il sait que c'est elle. « Qu'est-ce qu'il y a ? » Ses sourcils se froncent et ses joues deviennent roses, lorsque le regard de l'adolescent se pose un peu trop longtemps sur ses traits, sa figure. « J'ai quelque chose sur le visage ? » que Jamie lui demande. Tentant de trouver une réponse à sa question, ses doigts arpentent sa peau blanche, sans succès. « Je me disais juste que t'étais vraiment belle, Jamie. » Dotée en règle générale d'une grande répartie, là voilà réduite au silence. Éclat de rire. « Toi, t'es bien bête. » Elle secoue sa tête, réfutant ainsi ses propos. « Tu oses me dire que je suis belle alors que toutes les plus jolies filles du quartier te tournent autour. » Elle n'avait pas tort, Jamie. « Tu sais bien que je m'en fous. » Peut-être était-ce du à son charme naturel,  ses boucles brunes ou simplement sa guitare, qui en attiraient plus d'une. « Laisse-moi rire. » Jamie lève les yeux au ciel, lâchant un léger soupir. Faussement outré, il s'approche d'elle mais elle se dérobe et l'éclabousse. La jeune fille s'éloigne le plus vite possible, Aidan la regarde, un instant, avant de commencer à courir pour la rattraper. Amour naissant, juvénile. Lorsque sa main se glisse finalement dans la sienne, il glisse et Jamie tombe à ses côtés. « Tu ne me crois pas ? » Elle lâche un "non", reprenant peu à peu son souffle. « Je vais te le prouver. » Et il se tourne vers elle, encore allongée sur le sable fin, pour rapprocher son visage du sien. Les lèvres du garçon viennent enfin se poser sur celles de Jamie. Et leurs deux coeurs implosent, à l'unisson.    

(don't you forget about me) Tout était allé si vite. Il y a un an encore, ils n'étaient que cinq gamins originaires de Wellington, dont la musique n'était connue que par ceux qui fréquentaient les bars où ils se produisaient. Et puis, il y a eu l'appel. Les cris de joie de Dan, débarquant de nulle part, dans sa chambre, en plein milieu de la nuit. On a été repéré par une maison de disque, à Londres, tu réalises, L-o-n-d-r-e-s, qu'il répétait, comme possédé. La première rencontre, la signature d'un contrat, le projet d'un album, le début d'une carrière. Et celui de la fin. « Bon, je sais que vous êtes crevé, mais c'est la dernière interview de la journée. Dans une heure, vous pourrez allez faire une sieste à l'hôtel. » Georgie, leur agent, est loin d'être une tyran. Au contraire, elle s'apparenterait plus à une mère poule, malgré le peu d'années qui la séparaient de ses poulains – charmant sobriquet que son supérieur avait trouvé et dont il était très fier. Voilà la journaliste qui fait son entrée. Elle prend place, tente de détendre l'atmosphère. Et puis viennent les questions, encore et toujours les mêmes. Leur rencontre, leurs débuts, tout y passe. Arrive ensuite la partie qu'Aidan ne supportait pas, celle concernant leurs vies sentimentales. Si Merri parlait de son homosexualité sans aucun problème, Dan, lui, chantait presque son amour pour les demoiselles, tandis qu'Astrid et "JJ", eux, évoquaient leurs vies à deux. Aidan, lui, priait pour le temps ne s'écoule avant que ne vienne son tour. En vain.  « Et toi, Aidan – du groupe, tu es sûrement le discret, il y aurait-il quelqu'un dans ta vie, malgré tout ? » Ton mielleux à en vomir, ce n'est sûrement pas à cette fille-là qu'il déballerait son histoire. Personne n'avait été au courant. Pas même les membres de son groupe, ses meilleurs amis. Pas même ses soeurs. Juste eux deux. Jamie et lui.  

« Je pense qu'on peut dire que ça n'en vaut pas la peine. C'est fini. » Et boum, tout explose. Jamie se fige. Jamais, ses yeux n'avaient été aussi sombres. Jamie ne réagit pas. Et toi, tu restes là, à continuer de t'enfoncer loin dans ta connerie, Cette connerie qu'on t'impose, que tu le veuilles ou non. « On s'en va, Jamie. Et tu le sais aussi bien que moi. Nous deux, la distance, ça ne fonctionnera pas. » Il se mord les lèvres si fort, qu'elles seront bientôt en sang. Il a juste envie d'hurler, de lui dire qu'il en a rien à foutre de ce putain d'océan, que si il doit la quitter, c'est parce que le patron de la maison de disque l'a fortement recommandé, entre deux coupes de champagne. T'auras pas le temps pour ces conneries, gamin. qu'il t'a dit. Et puis, des filles comme elle, il y en aura bientôt un paquet à tes pieds, ne t'en fais pas. Le truc, c'est que Jamie, à ses yeux et aussi cliché cela soit-il, elle est unique. your finir avec elle, parce qu'il n'y a qu'elle, au final. Dès l'instant où il l'a rencontrée, il a compris. Lui, le grand dadet qui riait de sa soeur et de ses états d'âmes, est tombé raide dingue de Jamie avant même de lui avoir adressé la parole. Il aimerait lui dire, tout cela. Que pour lui, elle compte plus que tout au monde. Mais ces mots-là, ils ne sortent pas, Ils restent coincés au creux de sa gorge tandis qu'il débite des bêtises plus grande que lui. « Je suis désolé. » Tes paroles l'éloignent, tu le sens bien. « Ta gueule. » enfin, Jamie parle. Sa voix a plus d'effet qu'un poing en plein visage et le laisse presque meurtri. « Si c'est pour me sortir des excuses minables, je préfère que tu la fermes. » Elle termine de rassembler ses affaires, à nouveau figée dans son mutisme et quitte enfin la pièce, en le bousculant. Il la suit, en ravalant ce goût de bile qui le prend soudainement et ses regrets, qui le suivront encore longtemps. Il essaye de se réconforter, avec l'idée que pour une fois, il fait peut-être quelque chose de bien, En la laissant ainsi partir, elle souffrira moins. De toute façon il ne la méritait pas, Jamie. Et la voilà qui disparait, sous ses yeux. Sans un mot, sans un regard.

« Aidan ? » La main de Merri se pose sur la sienne, tandis que la journaliste lui offre son plus beau sourire.  « Ah mhn, oui, je... Disons que l'amour et moi, ça fait douze. Je préfère me concentrer sur le groupe, du moins, pour l'instant. Donc non, il n'y a personne. » Réponse bateau, qui semble pourtant satisfaire son auditoire. Sourire forcé, alors qu'il balaie le souvenir de Jamie, encore et toujours ancré dans son esprit.  

(it's too cold outside for angels to die)  La portière avant claque, comme le vent sur sa peau. Violente bourrasque, emmêlant ses boucles brunes. Pas à pas, il avance, machinalement. Tentant de garder un semblant de calme, il questionne la première infirmière qui vient à croiser son chemin. Ses mains tremblent, son coeur est sur le point d'exploser. Enfin, il les voit. Heather, Joan. Leur père manque à l'appel – évidemment. Sûrement coincé entre deux aéroports ou deux réunions. À peine arrive-t-il à la hauteur de ses soeurs, qu'il s'écroule dans leurs bras. Aidan a vingt-quatre heures de vol derrière lui et pas une fois, il ne trouva le sommeil, son esprit trop perturbé par les quelques mots d'Heather, sa voix entrecoupée de sanglots. Il avait fait le voyage, seul, alors à peine rentré d'une tournée de quelques semaines sur le sol européen. Le groupe était resté à Londres, mais ne tarderait guère à le rejoindre. « Comment elle va ? » Question fatidique, qui lui avait brûlé les lèvres, pendant toute la durée de son voyage. Bien sûr, il avait eu droit à quelques messages, entre deux avions, lui indiquant que l'état d'Aleisha s''était stabilisée, qu'elle s'en sortirait. Mais l'incertitude subsistait. « Elle est en salle de réveil. Le plus dur est passé. » Soupir de soulagement, larmes de joie. « Le médecin nous a prévenu, par contre. Elle ne s'en sortira pas sans séquelles. » L'essentiel, c'est qu'elle soit toujours là. Aussi égoïste cela sonnait-il. Aidan avait besoin d'Aleisha, comme il avait besoin d'Heather et de Joan. Eux quatre, c'est envers et contre tout. À la vie, à la mort. Malgré les années de différence, les océans qui avaient su les séparer, ils étaient restés cette fratrie soudée, inséparable depuis tant d'années.