(zach) heavy soul

i. six, c'est le nombre de pères qu'il a, zachariah. six papas, cinq si l'on omet son géniteur – ce qu'il a tendance à faire. sa mère a toujours été son principal repère, mais ils n'ont jamais été tout à fait seuls, tous les deux. il a vu passer quelques petits-amis sans la moindre fibre paternelle, et puis il y a eux les fameux role models, du sportif à l'écrivain, en passant par le musicien. en y additionnant le meilleur ami et le grand frère de sa mère, cela donne cinq figures paternelles, qui l'ont aidé à se construire, l'ont vu grandir, et qui forment encore aujourd'hui une famille peu orthodoxe. il ne les échangerait pour rien au monde, et son véritable père ne lui a pas manqué une seule seconde en près de trente-six ans. il s'est parfois imaginé que l'un d'eux, entre le musicien, l'écrivain, et le sportif, pouvait être son géniteur, mais c'est resté une hypothèse, au même titre que l'origine de son second prénom. ii. son premier cri a retenti sur le sol grec, mais son cœur bat pour la nouvelle-zélande, terre adoptive qui le porte depuis une trentaine d'années. cela dit, il a presque autant d'amour pour la grande-bretagne, dont il garde l'accent, copié de sa mère et de la famille visitée chaque année à londres. iii. le musicien lui a enseigné la batterie, la guitare et le piano, et zach il en a profité pour être le fondateur et batteur d'un groupe de rock durant ses années lycée. il adore parler de ces années-là, des représentations aux fêtes du lycée et des petits concerts locaux. ce qu'il avoue moins, c'est qu'il chantait aussi, parfois, à l'époque. il vous jouera tout le répertoire d'ac/dc si vous le lui demandez, mais hors de question qu'il chante quoi que ce soit pour un public autre que son reflet dans le miroir. iv. c'est à l'école qu'il a pris goût au théâtre, d'abord en tant que spectateur, jusqu'à ce qu'il joue mercutio, dans l'immense classique de shakespeare revisité par son collège. il s'est essayé aux cours de théâtre après cela, puis le groupe de rock a pris le dessus. il faut dire qu'il appréciait bien mieux la scène de derrière sa batterie, plutôt qu'en déclamant des textes avec tous les regards rivés sur lui. cela ne l'a pas empêché de passer un nombre incalculable de soirées au théâtre, aussi bien devant de gigantesques succès que face à de petites pièces méconnues, voire inconnues. une autre passion qui ne l'a jamais quitté, dont il a fait son métier, encouragé par ses proches dès les prémices de son ambition. v. en 2015, il a épousé kate. la femme de sa vie, qu'il disait. enfin, la deuxième, autrement on pouvait voir sa mère froncer les sourcils en signe de désapprobation. rencontrée bêtement, par hasard, presque comme un cliché de cinéma à deux balles, à la fin de ses études. zach, il a mis des années à l'inviter où que ce soit, mais dès qu'il a eu franchi le pas, ils ne se sont plus quittés. c'était l'évidence, cette demande en mariage, à tel point qu'il a mis moins d'un an à la faire. ils ont fait des tas de projets, les trois premières années, et les carrières florissaient, et l'amour grandissait. l'idylle. vi. monsieur delson, votre femme ne va pas bien. c'est vers lui, qu'on se tournait, presque suppliant, parce qu'elle ne voulait rien entendre. elle prétendait aller bien, il prétendait la croire, ils désolaient les médecins. et pourtant, ils revenaient toujours, zachariah la pressait de voir un psy à chaque nouvel épisode hallucinatoire et elle s'y pliait, parce qu'elle savait qu'il ne la forcerait jamais à suivre un quelconque traitement. ils se sont cent fois entendus dire que kate avait besoin d'aide, et ont cent fois ignoré l'urgence. vii. les disputes se sont multipliées, l'an passé, l'état de kate empirant, les hallucinations n'étant plus seulement auditives mais aussi visuelles, et bien plus fréquentes. zach a eu le malheur de mettre l'idée d'un traitement sur la table, elle a menacé de le quitter et il a beau ne pas y avoir cru, il a laissé tomber. quelques jours plus tard, une énième dispute, et elle le poignardait, persuadée de l'avoir entendu téléphoner à l’hôpital, croyant entendre la sirène d'une ambulance approchante. mi-2018, ils se sont donc tout les deux retrouvés à l’hôpital, lui pour blessure à l'arme blanche lui ayant valu de presque s'étouffer dans son propre sang, elle détenue en psychiatrie contre son gré le temps qu'une décision soit prise. c'est elle, pourtant, qui a téléphoné à l’hôpital. c'est elle, qui l'a empêché de se vider de son sang sur le carrelage de la cuisine, et c'est elle qui a pleuré toutes les larmes de son corps lorsqu'elle a cru le perdre. elle est redevenue lucide, directement après l'agression, et il s'en souvenait très bien. il était prêt à la pardonner, toujours aussi rebuté par l'idée de la faire enfermer, même pour l'aider. viii. zachariah a fini par céder, finalement convaincu du fait qu'elle était un danger aussi bien pour elle-même que pour les autres. pour lui, même s'il n'en avait rien à faire. pour elle-même, fut l'argument déterminant. il avait pas le droit de la garder auprès de lui, à se démener avec son propre esprit, par peur qu'elle lui en veuille, peur d'être seul. il savait, en signant les papiers, qu'il se condamnait à des cris, des refus de le voir, qu'il serait le méchant de l'histoire, celui qui voulait se débarrasser d'elle, et du fardeau de sa maladie. mais il savait, que dans ses rares élans de lucidité, elle comprendrait. et puis, surtout, elle serait entre des mains compétentes, contrairement aux siennes qui, malgré toute la bonne volonté du monde et tout l'amour dont il était capable, n'avaient jamais fait qu'empirer les choses. ix. il a toujours la même question aux lèvres, zach, lorsqu'il rend visite à sa femme. quand est-ce qu'elle sort ?, adressée aux médecins et autres infirmières qui ne le connaissent maintenant que trop bien, avec ses visites quotidiennes, des fleurs différentes à la main à chaque fois. ils ont pas de réponse, évidemment, et pour zac c'est devenu rhétorique, c'est son petit rituel d'au revoir, aussi douloureux le silence qui s'en suit puisse-t-il être. des mois que ce manège dure, et tout autant de mois qu'il fait bonne figure. il sourit à kate, qui demeure fermée, muette. il garde le sourire, face à l'évidence douloureuse: elle n'est pas près de rentrer à la maison. et il sait même plus, s'il l'aime encore, s'il ne se sent pas simplement responsable d'elle, s'il n'a pas cessé de l'aimer il y a déjà des années mais ressent encore trop d'affection et de culpabilité pour la laisser. et il a profondément honte, d'oser parfois espérer ne l'avoir jamais rencontrée, elle sa femme, celle avec laquelle il a promis de vieillir, celle qu'il pensait sincèrement vouloir à ses côtés pour l'éternité. il fait bonne figure, zach, feint l'optimisme et continue de prétendre que tout va pour le mieux. x. zachariah, c'est pas un gros buveur, et il fait de son mieux pour éviter la tentation de noyer ses peines dans l'alcool. par contre, il fume, il aime à dire qu'il peut arrêter quand il veut, mais c'est sa façon de gérer l'anxiété et de calmer ses nerfs. il fume pendant les pauses au théâtre, lorsqu'il écrit, sur le balcon avant de se coucher, et le matin après le petit déjeuner, pour bien commencer la journée. au final, les paquets se vident rapidement. xi. issu d'une famille relativement modeste, il a mis des années à se faire aux mondanités allant de paire avec son métier, pour tout ce qui est recherche de fonds et présentations de projets. aujourd'hui, même s'il rechigne à l'admettre, il apprécie ce petit monde à part, loin des tracas quotidiens. xii. il a toujours adoré écrire, on lui prête d'ailleurs un certain talent, pourtant il n'a jamais osé se lancer. écrire sa propre pièce, de a à z, et la soumettre aux critiques. il a peur de l'échec, terriblement. peur de se planter, lui qui n'a jamais rien raté. peur de se lancer, dans l'inconnu, alors il se cache derrière des prétextes futiles qui ne trompent personne, et il se cantonne aux belles œuvres déjà acclamées, y ajoutant ses touches personnelles çà et là sans jamais oser faire découvrir pleinement sa propre imagination.