lost on you + oxana

1 mississipi • Mes parents ? Je ne les considère pas comme tel. A part me donner la vie, ils ne m’ont pas donné beaucoup plus. La sécurité à peine, l’éducation on repassera, et tout juste un toit sur la tête. Personne pour m’aider à faire mes devoirs, personne pour me préparer mon repas, j’ai appris à réchauffer moi même les plats préparés premier prix que mon père récupérait à l’usine où il travaillait comme un acharné. Enfance difficile où j’ai dû apprendre à vivre avec l’absence de ceux que je devais appeler parents. Si je pensais que tous les enfants vivaient de la même manière que moi, j’ai fini par me rendre compte que d’autres avaient plus de chance, et que mon environnement familial n’était pas sain. J’avais quatre ans lorsque nous avons déménagé en Amérique, je ne sais pas par quel miracle parce que le voyage a dû coûter très cher. Je n’ai quasiment aucun souvenir de la Russie, tout ce dont je me souviens, c’est d’une dispute violente entre mes parents avant notre déménagement.

2 mississipi •Les années ont passé et cet environnement familial me pesait bien plus qu’il n’aurait dû. J’ai passé des heures avec l’assistante sociale de mon collège, j’ai essayé plusieurs fois de me rebeller mais la ceinture de mon père a été plus forte, jusqu’à ce que je décide de tout plaquer, une valise, pas un mot, seulement des maux. Mon père est devenu fou et j’ai évité comme j’ai pu sa colère, soutenue par ma mère.

3 mississipi •Les tensions se sont apaisées quand j’ai trouvé mon premier boulot et que j’ai pu envoyer un chèque à mes parents. Je crois que ça a été pour moi une façon de leur dire que je ne leur en voulait pas, ou pas vraiment. Ce boulot, c’était trois fois rien, un job de serveuse. Faut dire que j’étais déjà bien foutue, et que j’avais l’avantage de faire plus que mon âge. J’ai falsifié mes papiers d’identité, j’ai traîné avec des gars pas super fréquentables, on m’a mis la main au cul plus d’une fois dans ce bar où je bossais, mais je m’en foutais. Juste parce que j’avais de quoi me payer une chambre de bonne, un petit 9 mètres carrés au 10ème étage sans ascenseur, sous les toits. C’était pas la joie, mais moi je l’aimais cet appart, parce que c’était mon chez moi, le premier, et j’en étais fière.

4 mississipi •J’ai vogué de ville en ville, d’état en état, de boulot en boulot, sans jamais rien trouver qui m’attire assez pour me poser et avoir envie de quelque chose de plus stable. Je me suis crevée à la tâche, j’ai donné de ma personne pour beaucoup trop de gens, beaucoup trop de jobs sans importance. Certains ont fait de moi l’écorchée vive que je suis, sans compter Roman. Roman m’a parlé russe la première fois sans même savoir si je le parlais aussi. Il l’avait deviné. Mon coeur a chaviré et j’ai su ce jour là qu’il avait ce petit quelque chose qui pouvait me faire changer. En bien ou en mal, ça m’importait peu, tout ce que je voulais c’était être près de lui. Il était violent lui aussi, tout comme l’était mon père, mais je lui pardonnais tout, par amour.

5 mississipi •Je suis tombée enceinte l’année de mes vingt deux ans. Roman n’a pas supporté, il ne voulait pas d’enfants. Ce soir là, il a voulu s’en prendre à mon ventre, et pour la première fois, j’ai ressenti en moi assez de force pour me battre contre lui, fuir, me protéger de ce monstre, et j’ai réussi. Pendant le début de ma grossesse, j’ai été saisie par des rêves étranges, des rêves qui s’apparentaient plutôt à des souvenirs. Je me voyais enfant, j’avais trois ou quatre ans, et je voyais ce bébé, ce tout petit bébé dans les bras de ma mère, les larmes roulant sur ses joues. Et les mots de cette mère étendue sur ce lit d’hôpital qui me disait ‘embrasse ta soeur avant qu’elle ne disparaisse’. Cette phrase m’a hantée pendant des mois avant que je n’en parle à mes parents. Evidemment, ils ont tout nié en bloc, mais je me suis donné la mission d’en savoir plus. J’ai perdu mon bébé au cinquième mois de grossesse et j’ai mis plusieurs années à m’en remettre.

6 mississipi •Je ne me suis pas toujours sentie bisexuelle, mais après être tombée sur bon nombre d’hommes possessifs et dominants, je suis tombée sur une femme, sublime, quelques années de plus que moi et un charisme à faire damner un saint. Giulia, une italienne aux yeux noirs et au sourire étincelant. Elle m’a fait découvrir les joies du plaisir entre femmes et après y avoir goûté, j’ai eu du mal à m’en passer. Depuis deux ans, je sors avec beaucoup moins d’hommes que de femmes, mon passé y joue sans doute beaucoup.

7 mississipi •Il y a un an, j’ai refait ce rêve, celui que je faisais pendant ma grossesse. Je revois ce bébé, je revois les larmes de ma mère. Alors sans hésiter, je suis retournée voir ma mère et je l’ai presque menacée, supplié de tout me dire, et je suis tombée des nues. Une petite soeur de trois ans ma cadette, issue d’un adultère. Ma mère avait trompé mon père et de cette escapade est née ma petite soeur,  forcée d’être mise à l’adoption par mon père touché dans son ego de mâle. Pendant un an j’ai fait jouer tout mon réseau passé et présent, j’ai mis toutes mes économies dans l’emploi de détectives pour caresser l’espoir de retrouver cette famille qui pourrait encore rehausser la vision que j’en ai. Et enfin mes efforts ont payé, un nom : Hepburn, une ville : Wellington, et un billet d’avion : aller simple.