walking a lonely road ❇ prometheus

Il se souvenait de cette image incertaine, de ces traits qu’on aurait autrefois qualifiés de si beaux, de ce sourire malsain, et de ces gros poings s’abattant sur son corps si frêle. Rentré de la guerre pour quelques jours, le sergent Andrew Ethridge avait a nouveau bu. On ne souvenait jamais de la dernière fois où il avait franchi les portes de la maisonnée sans une goutte d’alcool dans le sang. C’était toujours ainsi, toujours aussi brisant, sans que le petit brun ne puisse rien faire, si ce n’était que d’encaisser, comme il le faisait toujours. Il n’était en rien un petit garçon faible. Du haut de ses trois ans, il était peut-être miraculé, il était peut-être quelqu’un, d’ores et déjà un adulte, affrontant tout ce qui se mettait en face de lui, affrontant cette image répugnante qu’il aurait pu garder, ces hématomes, recouvrant ses bras et son torse, ces bleus, abîmant sa peau laiteuse et si blanche, ce sang, ayant déjà coulé de sa petit tempe un bon nombre de fois. Prometheus commençait tout juste à vivre. Il avait appris à serrer les dents, à venir voir sa mère, pour la serrer entre ses deux petits bras, tandis qu’elle pleurait parfois le martyr ou qu’elle restait silencieuse, affolant l’enfant qui avait l’impression de la voir morte, entendu sur ce lit blanc, entre ces magnifiques draps qui ornaient le bois si clair. Le rouge, c’était la couleur qu’il associait à la peur, à la mort. Le rouge, c’était ce sang qu’il avait peur de voir, même du haut de ses trois ans. Le rouge, c’était à la fois la vie, et c’était à la fois son pire cauchemar, son assassinat, son monde qui s’écroulait. Le rouge, c’était l’impureté, c’était son père, c’était ce soldat, que la guerre avait semblé détruire, c’était ce soldat, dont on ne parlait jamais. Les Ethridge étaient une grande famille, ayant le cœur sur la main, défendant les plus démunis dans les tribunaux, où se battant sur le front d’Afghanistan, se battant pour la vie d’autre. Mais, il fallait avoir conscience que cette maisonnée, ne reflétait en rien cet aspect angélique. Cette maisonnée semblait plus être liée au diable qu’à dieu.

C’était un samedi de juillet qu’Andrew avait passé la porte pour la dernière fois, se dirigeant à nouveau vers le front américain, essayant de lutter, pour ne jamais flancher. Il n’avait pas bu une goutte d’alcool au réveil, et pas même au repas du midi, il était juste parti, son sac sur le dos, sa combinaison, son arme au poing, ses yeux vitreux et presque fous, et son âme en proie à beaucoup trop de choses qui ressemblaient à une déficience mentale. La nouvelle n’avait pas tardée à arriver. Un mois plus tard, il était mort, d’une balle dans la tempe, répandant sur le sol, tout le sang que son fils, sa femme, et sa fille avait perdu, sous ses coups. Semblaient-ils vengés ? Peut-être bien, et pourtant, ils étaient loin du compte. Norah, portant toujours le nom de famille de l’homme qu’elle avait autrefois aimé, s’en était allée dans un coin de sa tête où il n’était possible de la rattraper ; un endroit terrorisant, un endroit l’empêchant de partir, la laissant s’abandonner aux antidépresseurs, et aux larmes qui n’avaient jamais cessées de couler, et qui ne cesseraient jamais, comme ce sang, qui se rependait encore et encore.

Le petit Prometheus avait grandi dans cette atmosphère pesante, au côté de sa grande sœur qu’il affectionnait tout particulièrement pour être la seule ne l’ayant jamais frappé. Il semblait faible, ayant désormais un bon nombre de cicatrice dans le dos, et dans l’cœur, mais bien aussi sur le corps. Il semblait rafistolé de toute pièce, du haut de ses sept ans, il semblait livide, toujours malade, blanc comme un linge, à se trimbaler les larmes aux yeux chaque jour. On disait de lui qu’il n’avait jamais réussi à faire le deuil de celui qu’il considérait comme son bourreau. Cela était vrai. Ses coups ne lui manquaient pas, étant remplacé par l’alcool mauvais d’la jeune Norah, qui n’avait que trente années au compteur. Elle mourrait, elle aussi petit à petit, accueillant tout type de personne dans son lit, accueillant un nombre innombrable d’hommes, en l’espace de peu de temps, ramenant ainsi les billets nécessaires, tout en prenant son pied. Artémis et lui n’avait plus rien qu’un amas de déchet. Ils n’étaient que des enfants grandissant à vue d’œil, se renfermant. Puis, ce fut à leurs dix, et onze ans, que tout bascula. La dite Norah, si jolie, si belle autrefois, dont le numéro figurait sur beaucoup de poteaux de rue se tua, dans un horrible accident de voitures, dans laquelle se trouvait les deux enfants, siégeant à l’arrière, et hurlant de peur, et de mal. Ils furent tous deux indemnes, n’ayant que des blessures se guérissant avec le temps. Ils étaient tous deux indemnes, mais orphelins.

Ils furent placés dans un orphelinat de Portland, pendant quelques années. Jusqu’à ce qu’on ne toque à la porte de leur chambre, deux amants, se tenant à la main derrière l’assistante sociale. Deux néo-zélandais, stériles, en voyage aux Etats-Unis, voulant revenir avec un enfant. La question ne se posa pas, Prometheus avait une famille qui voulait de lui, et pourtant, Artémis restait là, accrocher à ce lit, si peu confortable qu’ils avaient déjà fréquenté pendant un an et demi, se tuant le dos, par la même occasion. Elle l’avait regardé, de ses deux yeux tristes, lui priant d’accepter, puis il les avait regardés. Ayla et Steven Oaken semblait être de bonnes personnes. « Je ne pars pas sans elle. » Il avait prononcé ces mots d’un air sûr, les regardant dans les yeux, tandis que le couple avait hoché la tête, d’un ait compréhensif, se regardant dès à présent dans les yeux. Ayla hocha la tête, un petit sourire scotchée sur ses fines lèvres. « Elle vient avec nous aussi. »

La Nouvelle-Zélande semblait être un monde à part, une forteresse, intouchable, qui les emprisonnait dans un si beau château. Sa sœur et lui avait réappris à vivre, sans se soucier du temps qui passait, réapprenant à sourire, à essayer d’oublier le passé. Artémis avait plutôt réussi facilement, à effacer toute trace trop impure de Norah et d’Andrew. Rien ne la touchait. Elle semblait être devenue un mur, plus fort que tout, elle avait toujours ce si joli sourire qui recouvrait ses lèvres. Elle ne pleurait jamais plus, elle était devenue quelqu’un de fort et d’admirable. Prometheus, lui n’avait pas eu cette chance. Il avait été premièrement très touché par tout cela, par toute cette vie qui l’avait brisé de part en part. Sa force était grande, et pourtant, il semblait ne jamais oublier la marque que les coups de son géniteur avait laissé. Il ne semblait pas avancé si vite, et restait quelqu’un d’assez discret. Il passa ses années de lycée avec brio, son intelligence restant intact, même après tout cela, et s’engagea dans la police, afin de combattre la souffrance et les coups.