On reste, Dieu merci, à la merci de l'amour crasse (elena)

« J'suis amoureuse Alois. »

Les mots cinglent dans l'air, une clope à la main, son verre de vodka pomme dans l'autre, Elena fixe son meilleur ami affalé dans le canapé du studio qui leur sert de toit pour dormir. Elle tire sur sa cigarette comme si rien d'autre n'en dépendait et elle sourit quand son meilleur ami daigne prononcer un mot « Quoi ? T'es amoureuse ? Toi ? J'te crois pas. » Et elle rit, rire cristallin qui brise le solo de guitare qui est diffusé par la vieille chaîne hifi « J'te jure Alois. C'est pas des conneries, j'te le jure. Elle s'appelle Charlie. On s'est rencontrées en soirée, la fameuse soirée où je suis rentrée à huit heures du matin alors que toi, tu partais bosser. Elle me rend folle, j'te l'jure. J'ai jamais vécu un truc pareil. Même avec Shane, et pourtant tu l'sais que Shane elle me faisait tourner la tête. Mais Charlie c'est différent tu vois. Charlie, quand j'l'ai vu sourire, j'ai eu l'impression que la terre s'arrêtait de tourner. Au début j'ai cru qu'elle aimait les mecs, c'est ce qu'elle m'a dit avec sa voix fluette « Je ne suis pas comme ça ! Je ne suis pas comme toi ! J’aime les garçons ! » -elle gesticule en même temps qu'elle prononce ses mots, son éternel sourire sur le visage- Mais tu sais, après elle m'a embrassée. Et j'l'ai revu tout les jours depuis qu'on s'est embrassés. Et elle me rend complètement barge Alois, t'y crois toi ? » Son meilleur ami lève les yeux au ciel en secouant la tête, comme si c'était une rareté qu'elle soit comme ça. Comme si, elle avait changé en quelques temps. Sauf que non, elle ne change pas. Elle est toujours la même, toujours cette fille qui le réveillera à coup de mousse de rasage dans le cou, toujours cette fille qui aura le sourire jusqu'aux oreilles.

« Alois, j'te présente Charlie ma petite amie, Charlie, j'te présente Alois. Mon coloc, mon meilleur pote, mon frère. »

C'est à partir de la que tout a commencer, le fait que Charlie était beaucoup plus chez Elena que chez elle, les soirées avec Alois, les films entrelacés sur le canapé. Les sorties aussi, jusqu'au bout de la nuit, a regarder Paris qui s'éveille à cinq heures du matin, un plaid autour d'elles et un bouteille pour leur tenir compagnie. Leur relation des plus parfaites, les jours heureux qu'Elena attendait tant. Assise dans le canapé, un bras autour de l'épaule de sa petite amie, Elena regarde sa cigarette qui se consume alors qu'Alois est en train de faire la cuisine. « J'ai une idée ! Et si on partait faire le tour de l'Europe ? » Les deux filles se redressent, Elena attrape la boîte de mouchoirs qui traîne sur la table et la balance dans la tête de son colocataire « T'as d'autres conneries de ce genre à sortir ? » Déposant ses lèvres sur celles de sa petite amie, avant de se lever pour rejoindre Alois et s'installer sur le plan de travail « Mais j'suis sérieux Lena, viens on part tout les trois ! On part de Paris, on fait tout l'Europe en Van. J'te jure ça pourrait le faire ! »

Ça pourrait le faire la petite phrase lui donne de l'espoir, qui lui donne envie de faire des plans sur la comète avec elle, avec lui. Le conditionnel de sa vie rythmait par des si, des peut-être, des "pourrait". Mais elle devrait le savoir la jeune blonde, que le conditionnel n'est qu'une condition et qu'on ne fait pas toujours ce que l'on veut. Malheureusement. Tristement.

« Tu m'emmerdes Alois ! Qu'est ce que ça peut bien te foutre que j'sois rentrée à huit heures ce matin. T'étais debout, et te plains pas encore, j't'ai fait du café dans ta putain de cafetière. »

Les cris qui percent le silence du studio, les gestes amples des deux jeunes gens. Heureusement que les voisins les connaissent parce qu'ils auraient peur que l'un égorge l'autre. Leurs disputes sont monnaie courante en ce moment, sûrement le printemps qui pointent le bout de son nez, les bourgeons qui fleurissent, les disputes qui grandissent. Elena saisit une assiette qu'elle envoie voler à travers la pièce, Alois l'évite à temps. Heureusement. « Mais putain c'est pas ça que j'te reproche Elena ! J'te reproche de pas en branler une. Tu m'fais chier, mais tu m'fais chier. » Fixant son meilleur ami, la mâchoire serrée, elle le regarde, la haine transparaissant son regard azur. « J'te fais chier ? Ba casse toi si t'es pas content, tire toi, j'me démerderais pour trouver un coloc qui me les brisera moins que toi. » Alois s'approche alors d'elle et la fixe de tout sa hauteur « Tu sais quoi ? J't'emmerde. J'te hais. » Et il attrape son porte-feuille, ses clopes, finit le verre de vodka qu'il venait de se servir quelques minutes auparavant et il claque la porte. Laissant tout les objets délictueux sur la table, le rail de cocaïne qu'il n'a pas fini de s'enfiler, la bouteille de vodka ouverte sur la table. Elena, un peu perturbée par cette dispute fixe la porte dont le bruit du claquement résonne encore dans sa tête. Elle court au balcon et elle le voit prendre sa voiture, elle le voit disparaître dans le crépuscule parisien, laissant dans ce studio un vide gênant, un silence encombrant.

Une sonnerie, deux, trois. Elle parvient à attraper son téléphone qui la tire de ses rêves ponctués de cauchemars. Elle ne connaît pas le numéro, mais elle a un mauvais pressentiment. « Allô ? » qu'elle murmure d'une voix endormie. Mademoiselle Dubois ? Docteur Richard à l'appareil, je tenais à vous informer que Monsieur Arsenault a eu un accident de voiture, je... je suis désolé mais il n'a pas survécu à ses blessures, il est passé à travers le pare-brise du fait qu'il n'était pas attaché. Son accident est certainement dû à taux d'alcoolémie extrêmement élevé. Nous ferons des... Elle lâche le téléphone, fixant face à elle le mur de photos. Elle ne parvient pas à dire un mot et de loin, elle entend le médecin qui l'appelle. Mais elle ne parle pas. Elle n'y arrive pas. C'en est trop pour elle. Alors elle hurle, elle hurle sa peine, sa tristesse, sa colère. Pourquoi lui ? Pourquoi maintenant ? Elle raccroche le téléphone et d'un geste ravageur, elle l'envoie contre le mur. Dévastée, elle envoie tout balader sur son passage, ses cris rythmant ses gestes effrénés. Elle pleure toutes les larmes de son corps et elle ne parvient même pas à appeler sa petite amie. Non, elle n'y arrive pas. Alors elle se lève, elle enfile le strict minimum dans son sac et elle réserve un billet de dernière minute pour l'Irlande. La première destination qu'ils avaient prévus de faire. Puis ensuite, ce sera le Royaume-Uni. L'Ecosse aussi, l'Allemagne, le Pays-Bas et tout les pays qu'ils avaient prévus de visiter à trois, mais qu'elle visitera toute seule.

Il y a les pays où elle est restée un peu plus longtemps que d'autres, ceux qui lui ont fait exploser son coeur de bonheur. Le matin, elle se levait avec un sourire sur le visage, ce sourire qu'elle avait fait s'éteindre lorsque l'avion s'était élancé sur le tarmac avant de s'envoler. Dans cet avion, le premier qu'elle avait pris, elle avait écrit une lettre à Charlie, lettre qu'elle avait enfoncé dans son sac de voyage dès qu'elle l'avait récupéré. Dans chaque ville qu'elle a visité, elle a prit une photo avec son polaroid, dans le seul et unique but d'afficher ses voyages quand elle sera rentrée en France. Même si durant trois ans, elle n'y avait pas penser, à son retour. Jusqu'à ce jour, au fin fond des Pays-Bas, dans un coffee shop d'Amsterdam, lendemain d'une soirée trop arrosée, où elle tirait inlassablement sur son joint quand elle a vu entrer une fille. Pas n'importe quelle fille, une fille qui lui ressemblait. D'abord, elle avait cru à un mirage. Mais quand la jeune fille s'était approchée, elle s'était rendue compte que ce n'était pas elle. Le manque lui prenant à la gorge, pour la première fois depuis trois ans et demi, elle a pleuré avant de sortir du coffee shop et d'aller une fois de plus se perdre dans des draps qui ne lui rappelaient pas Charlie.

Alors elle a fini par atterrir en Nouvelle-Zélande, elle ne sait pas combien de temps elle y restera, ni  même si elle y restera assez longtemps pour pouvoir ouvrir son café. Mais elle y est bien pour le moment, elle a apprit en repassant par Paris que sa Charlie y était, alors elle a prit le premier avion qu'elle pouvait pour atterrir ici, maintenant, elle laisse le destin décider pour elle. Elle verra comment ça se passe, si elles se donneront une chance. Elle verra bien.