L’enfance est une période précieuse, bénie. Tout du moins lorsque l’on a la chance d’être né sous une bonne étoile. Cela n’avait jamais été le cas de Julian Finch et d’Eleanor Finch. Tous deux avaient vu le jour dans une famille particulièrement torturée. Ils n’avaient jamais eu une vie facile, depuis qu’ils n’étaient que de petits enfants. Surtout pas Julian. Son père, n'était pas vraiment son père, chose qu'il ne savait pas. Il était le fruit de l'union d'Helena Błaszczykowska avec son patron, un avocat très en vogue, un néo-zélandais de passage à New-York pour les affaires. Elle avait démissionné après lui avoir fait cette annonce, en promettant qu'elle avorterait, ce qu'elle n'avait bien entendu pas fait. Mais Hector Finch avait accepté de le reconnaître comme son propre fils à sa naissance, quand bien même il lui avait toujours fait sentir qu'il était un moins que rien. Son père – sur les papiers donc – était un irlandais, ayant quitté son pays natal pour s’installer à New-York, afin d’y mener une plus belle vie que celle qu’il menait à Dublin, afin de vivre le rêve américain. C’était plutôt ironique. Il avait rencontré peu de temps après son arrivée une jeune femme à la chevelure flamboyante, vivant dans le Bronx, dans une famille d'origine polonaise traînant dans des affaires louches depuis de nombreuses années. Ce n’était pas une bonne influence, mais il était sincèrement amoureux. Et rien n’avait fonctionné comme il le voulait, depuis son entrée sur le territoire américain. Pour commencer, il avait eu tout le mal du monde à trouver du travail, un emploi stable et un logement décent. Peu à peu, l’influence de la poupée rousse s’était fait ressentir. Petit à petit, il avait sombré du mauvais côté, devenant aussi maléfique qu’elle, son âme se teintant de noir autant qu’elle et que sa famille. Alors il avait sombré dans la drogue avec elle, il s’était laissé dicter par sa famille et avait succombé à leur influence, jusqu’à se noyer définitivement. Il avait épousé la jeune femme, plus à cause de la pression que ses frères exerçaient sur lui que pour autre chose. Il avait appris trop tard qu'elle était enceinte et que sa famille ne cherchait qu'une chose : un homme capable de passer pour le père de cet enfant pour que la honte ne s'abatte pas sur la famille toute entière. Mais il l’aimait quand même. Et finalement, ils s’étaient installés dans un appartement situé dans le Bronx, vivant de drogue et de sexe, dealant pour pouvoir vivre. Après la naissance de Julian, les deux inconscients avaient même eu un deuxième enfant, trois ans plus tard. La jeune femme subit deux fois une cure de désintoxication brutale, pendant le suivi de ses grossesses, mais cela ne l’avait pas empêché de rechuter à chaque fois. C’était dans ce monde que le frère et la sœur évoluaient tous les deux. Un monde brutal en permanence, destiné à les détruire tous les deux, à détruire leur innocence. Julian n’avait que huit ans, sa sœur n’en avait que cinq, ils n’étaient que des enfants, encore des bébés d’une certaine façon, mais cela faisait bien longtemps qu’ils avaient perdu leur innocence. Mais ils étaient là l’un pour l’autre et c’était d’une certaine façon tout ce qui comptait. Le petit garçon observait sa petite sœur en silence. Ils devaient mettre la table tous les deux et il savait que le moindre bruit, la moindre erreur pourrait contrarier leurs parents. La peur était une émotion que l’on voyait souvent sur le visage de l’enfant. La crainte, le désarroi aussi. Mais c’était surtout pour sa petite sœur qu’il était inquiet. La petite fille était si douce et si innocente, haute comme trois pommes et tellement jeune. Il ne pouvait pas comprendre que ses parents ne l’aiment pas. Encore lui, c’était autre chose. Mais elle, son visage de poupée, ses petites fossettes et son adorable rire, elle était sans doute la chose la plus belle que le monde ait eu la chance de voir. Mais ils ne l’aimaient pas. C’était bien la preuve que quelque chose n’allait pas dans leur esprit tordu. Lui en tout cas, il l’aimait. Il l’aimait et il la protégeait, même si cela lui valait souvent d’être puni deux fois plus, même si ça lui coûtait parfois de devoir cacher des hématomes sous des vêtements trop chauds pour la saison, même si ça le privait parfois de nourriture, ce qui expliquait d’ailleurs pourquoi il semblait si maigre, si blême et pourquoi ses vêtements semblaient toujours flotter sur lui. Sans un mot, le petit garçon disposait des couverts sur la table de la cuisine, lorsqu’il entendit un bruit derrière lui. Il se retourna et contempla impuissant les débris des assiettes qui s’étaient brisées au sol. La petite fille sanglotait déjà, alors même que le garçon entendait du bruit provenant du salon.
« Len … », souffla-t-il, la voix tremblant à l’idée de ce qui allait se passer dans quelques secondes. Il savait déjà les répercutions que cela aurait. Et la petite fille avec ses yeux larmoyants le savait aussi. Il pouvait voir ses mains trembler tandis qu’elle le fixait, totalement stupéfaite et paniquée.
« Je suis désolée Julia, je suis désolée », sanglota-t-elle de sa toute petite voix, de grosses larmes transparentes coulant sur ses joues. Chaque fois qu’il la voyait dans cet état, le petit bonhomme était incapable de faire autre chose que de la défendre. Il savait qu’il ne la laisserait pas se faire gronder et qu’il prendrait à sa place. Il prenait chaque fois que sa mère était de mauvaise humeur, il prenait chaque fois que son père avait passé une mauvaise journée. Il pouvait donc aussi prendre quand sa sœur avait fait des bêtises. Son corps portait déjà les marques de la fureur de ses parents, il n’y avait aucune raison qu’ils soient deux à les porter. Soudain, une silhouette féminine fit irruption dans la cuisine. Il était presque soulagé de voir sa mère. Elle serait sans doute furieuse, mais ce serait moins pire que si ça avait été son père. Son dos ne s’était toujours pas remis du coup de ceinture qu’il lui avait mis, la semaine précédente. Il pourrait supporter de se faire secouer ou de se prendre une bonne baffe, d’être puni. Mais il n’était pas sûr que son corps puisse supporter un accès de colère de son paternel.
« Lequel de vous deux à fait ça ? », brailla-t-elle de sa voix suraiguë qui perçait les tympans. La petite fille pleura de plus belle, avouant ainsi sa culpabilité. Il espérait qu’avec les années, elle finirait par s’endurcir. C’était bien plus compliqué de prendre sa défense alors qu’elle avouait sa culpabilité sans même avoir besoin d’ouvrir la bouche. Sa mère attrapa son poignet avec violence et ses pleurs redoublèrent d’intensité, tandis qu’elle se mettait à sa hauteur.
« Espèce de petite idiote, regarde ce que tu as fait ! », hurla sa mère en la secouant avec violence. Si jusqu’à présent le petit garçon était resté silencieux, il était incapable d’assister à ce spectacle sans rien dire, sans rien faire. Et il savait exactement comment s’y prendre pour s’attirer les foudres de sa matriarche.
« Ne la touche pas ! », siffla-t-il entre ses dents, d’une voix pas assez forte pour que son père ne puisse l’entendre. Immédiatement, les yeux de sa mère se mirent à lancer des éclairs tandis qu’elle posait son regard sur lui, lâchant en même temps la petite fille. C’était lui qu’elle regardait comme si n’était qu’un pestiféré. Et il s’en fichait. Tout ce qui comptait pour lui désormais, c’était de protéger le seul être sur terre qui comptait à ses yeux.
« Ce n’était pas de sa faute. Les assiettes étaient posées trop en hauteur pour elle, j’aurais dû l’aider. Mais je voulais que ce soit fait plus vite pour pouvoir retourner dans ma chambre. J’ai été feignant, ce n’est pas de sa faute », répondit-il d’une voix tremblante, fermant les yeux. Il inspira profondément, comptant presque les secondes dans sa tête avant sa punition à venir qui ne tarderait certainement pas. Sa mère se mit à sourire, de ce sourire tordu qui révélait ses dents pourries par la consommation abusive de drogues depuis de trop longues années.
« Saint Julian, le défenseur des causes perdues », se moqua-t-elle avant de se planter face à lui. Elle se mit à rire, lui prouvant qu’elle était défoncée. C’était un rire froid, cruel, presque sadique. Le genre de rire qui n’augurait rien de bon. L’instant d’après, sans même qu’il ne l’ait vu venir, sa main frappa son visage avec une violence telle qu’il sentit sa joue toucher son épaule.
« Tu n’as rien à dire. Tu te la ferme, tu fais ce qu’on te dit et c’est tout. Personne ne veut entendre l’avis d’un gamin, surtout pas d’un gamin incapable de lire et d’aligner deux mots correctement. Sale enfant ingrat. Ton père et moi nous faisons tout pour que vous ayez un toit sur la tête, à manger dans l’assiette tous les jours et c’est comme ça que tu nous remercies ? En étant feignant, en répondant à ta mère ? », hurla-t-elle en le giflant à nouveau. La colère grimpait en lui par palier. Ils ne faisaient rien pour eux. Ils se contentaient de les faire dormir dans une chambre aux murs pourris par l’humidité et de leur réchauffer des plats surgelés. Mais le petit garçon se garda bien de répondre, craignant d’empirer la colère de sa mère qui ne tarderait probablement pas à demander l’intervention de son père. Il se mordit l’intérieur de la joue pour se la fermer et encaisser en silence.
« Tu voulais monter dans ta chambre ? Tu as gagné. Nettoies-moi tout ça et va te coucher, sans dîner », souffla-t-elle en recommençant à rire. Derrière elle, la petite Eleanor continuait à pleurer. Une nouvelle fois elle se tourna vers elle et cessa de rire pour la fusiller du regard.
« Et toi, arrête de pleurnicher et laves-toi les mains ou tu vas le suivre », acheva-t-elle avant de disparaître dans le salon, où son père regardait un match de foot en buvant de la bière. Sans parler, sans rien dire à sa petite sœur, le petit garçon commença à ramasser les morceaux d’assiettes cassées et s’entailla le doigt avec l’un d’eux. Mais il ne voulait pas pleurer. Il avait suffisamment pleuré pendant ces huit dernières années, bien plus que n’importe quel petit garçon. Il ne voulait pas lui offrir ce plaisir. Jetant les morceaux un a un dans la poubelle, il acheva de nettoyer. Et ce n’est qu’à ce moment qu’il se retourna vers sa sœur qui n’avait toujours pas bougé et qui pleurait en silence, plantée comme un poteau au milieu de la cuisine.
« Je suis désolée », pleurnicha-t-elle encore, conscience que c’était d’une certaine façon de sa faute si son grand frère avait été grondé et puni. Le bonhomme de huit ans la prit dans ses bras et la serra contre lui, frottant son dos dans un geste protecteur. C’était ce qu’il faisait souvent. Surtout le soir avant de s’endormir. Ils partageaient le même lit et c’était ensemble qu’ils luttaient contre la peur, les larmes, les cauchemars.
« Fait ce que maman t’as dit. Arrête de pleurer et laves-toi les mains, sinon elle va encore te gronder », souffla-t-il en la serrant d’avantage contre elle. Elle hocha la tête, mais elle n’esquissa pas le moindre mouvement. Elle attendait son feu vert il le savait.
« Un jour je te sortirais de là Len, c’est promis », souffla-t-il en la relâchant et en la poussant vers l’évier, tandis qu’il disparaissait pour ne pas tomber nez à nez avec sa mère une nouvelle fois. Mais à cet instant, jeune et innocent, il ne devinait pas encore à quel point sa promesse lui coûterait, ni ce qu’elle allait entraîner. Il n’était qu’un gamin innocent et naïf que la vie ne cessait de malmener et qui souhaitait protéger sa petite sœur, coûte que coûte.
*
* *
Les années étaient passées, les complications s’étaient succédé. Avec le temps, le jeune homme peinait de plus en plus à dissimuler la vérité au monde extérieur, à ses professeurs qui se posaient chaque fois plus de questions, qui se montraient beaucoup trop curieux. Cela avait poussé ses parents à le retirer de l’école un an plus tôt. Il aurait pu les dénoncer, c’était un fait, mais il ne l’avait pas fait. Parce qu’aussi horrible puisse être la vie en leur compagnie, il avait sa petite sœur avec lui. Cela aurait été bien pire pour lui et pour elle si les services sociaux les avaient séparés et s’ils avaient été seuls tous les deux, alors il continuait à subir sans rien dire avec l’espoir de la sortir de là un jour. Il avait cessé d’aller à l’école, prétendant suivre des cours par correspondance. En vérité, ses parents ne se souciaient pas de son éducation, lui qui peinait à lire, comme s’il était toujours en petite section et qu’il apprenait seulement à déchiffrer les mots et qui était incapable d’aligner trois phrases sur un bout de papier sans fautes d’orthographes. Ses parents se moquaient de lui et il avait fini par abandonner l’idée d’apprendre quoi que ce soit. Sa sœur en revanche se montrait brillante et elle faisait souvent ses devoirs en sa compagnie, juste pour que certaines choses rentrent dans son cerveau. Elle au moins, elle réussirait dans la vie, quand il trouverait le courage de tenir sa promesse de la sortir de cet enfer dans lequel ils vivaient tous les deux. En parallèle, le jeune homme de seulement dix-sept ans avait commencé à s’entraîner à la boxe. Il n’était pas le plus doué, mais depuis un an, il développait ses muscles, il développait sa carrure, pour ne plus être ce grand maigrichon qu’il avait toujours été jusqu’à présent. Ses épaules se développaient, sa silhouette s’épaississait, il gagnait en agilité, en rapidité également. Il n’aurait probablement pas pu se mesurer à un vrai boxeur, mais il avait l’espoir que tôt ou tard, cela suffirait pour le sortir de chez lui. Quant à ses parents, ils avaient décidé que s’il devait vivre chez eux, s’ils devaient le supporter sur leur toit, il était nécessaire qu’il leur soit utile. C’était ainsi qu’il avait commencé à dealer, lui aussi. Si ce n’était pas merveilleux. Dealeurs de père en fils. Il répugnait à exercer cette activité, à devenir comme eux et pourtant, il devait bien avouer qu’il y avait des avantages à cela. Le jeune homme avait fini par développer un esprit quelque peu manipulateur avec les années. Il ne manquait jamais de mentir un peu, de tricher sur les prix et il mettait la différence dans ses poches. Ainsi, il mettait un peu d’argent de côté, sans que ses parents ne s’en doutent. Il avait déjà récolté un petit paquet en un an. Il savait que cela ne serait pas suffisant pour tenir longtemps, mais s’il se décidait à fuir, cela serait suffisant. Et puis était arrivé ce jour. Le jeune homme était enfermé dans sa chambre, quand il entendit des éclats de voix provenir du salon. Il ne savait pas de quoi il s’agissait. Il savait juste qu’il était temps d’agir, qu’il ne pourrait plus tolérer cette situation plus longtemps. D’un geste calme et précis, il rangea toutes les affaires d’école dans le sac à dos d’Eleanor. La semaine précédente, il avait déjà fait une valise avec leurs vêtements, qu’il avait planqué dans un immeuble abandonné, le temps de trouver un appartement à louer où ils pourraient vivre tous les deux. Il l’avait trouvé. C’était petit, c’était miteux, mais ils pourraient mettre ses parents derrière lui et tenir sa promesse à sa petite sœur. D’un coup d’œil, il vérifia qu’il n’avait rien oublié. Mais ils ne possédaient rien, à part quelques vêtements et quelques livres, alors le tour était vite fait. Sac sur l’épaule, il descendit les escaliers et l’abandonna au pied des marches, pour se rendre dans le salon.
« Laisse-moi, tu me fais mal », soufflait la voix de sa sœur, dont le visage était déformé par la peur. Son père retenait son menton entre ses doigts, la serrant un peu trop fortement. Il pouvait voir ses jointures blanchir, sous la pression. Le jeune homme fronça les sourcils, mais personne n’avait encore remarqué sa présence.
« Je n’avais pas remarqué à quel point tu étais devenue jolie. On devrait peut-être te foutre sur un trottoir, au moins tu nous servirais à quelque chose. Ou peut-être te vendre. Tu nous rapporterais un peu d’argent. Et on n’aurait plus à voir ton insupportable visage de Madame je-sais-tout », souffla-t-il en caressant ses cheveux. Le visage de la gamine se déforma sous le dégoût. Julian n’avait pas besoin de s’approcher pour sentir l’haleine chargée d’alcool de son père. Il n’y avait qu’à voir comment il titubait. C’était ce qu’il craignait le plus, depuis qu’Eleanor avait grandi. Elle était devenue belle, elle commençait à devenir une véritable jeune femme, malgré ses vêtements informes et crasseux. Il avait peur de ce que son père serait capable de lui faire surtout dans les moments comme maintenant, où sa mère n’était pas là pour tenter de le contrôler en laissant éclater sa jalousie. Parce qu’elle n’avait aucun problème avec le fait qu’un père puisse regarder sa fille de cette façon non, elle avait simplement un problème avec le fait que son mari regarde une autre femme qu’elle.
« Lâche-la. Tout de suite », siffla-t-il entre ses dents, se faisant remarquer en entrant dans le salon. Son père lui jeta un regard mauvais, furieux d’avoir été dérangé. Mais Julian n’en tint pas compte. C’était aujourd’hui que tout prenait fin. Il ne pouvait pas accepter cette situation une seconde de plus. Son père relâcha sa sœur qui fit plusieurs pas en arrière, se tournant vers lui, une lueur de colère et de folie brillant dans ses prunelles ivres.
« Comment oses-tu ? », brailla-t-il en faisant les quelques pas en avant qui les séparaient pour lui faire face et le dévisager avec méchanceté. Le jeune homme ne flancha pas cependant. Indifférent, il haussa les sourcils et se prépara à ce qui allait arriver. Le poing de son père s’abattit sur son visage et il entendit sa sœur pleurer, non loin d’eux. Le jeune homme porta sa main à son œil. Elle était pleine de sang. Ce n’était pas la première fois qu’il lui ouvrait l’arcade sourcilière. Il commençait à avoir l’habitude. Son père prit de l’élan, pour le frapper une nouvelle fois. Mais cette fois, le jeune homme parvint à bloquer son coup. Il mettait en pratique ce qu’il avait appris à la salle de sport. Son père fut déstabilisé de constater que pour la première fois de sa vie, il se défendait. Il en profita pour le frapper deux fois : une fois dans le ventre, une fois en plein visage. Déstabilisé, ivre, l’homme tituba avant de s’effondrer sur la table basse du salon, qui se brisa sous son poids, sous la violence de l’impact. Ainsi, voilà comment ça se terminait. Mais c’était bien trop facile. Il ne pouvait pas lui tourner le dos, il ne pouvait pas s’en aller comme cela après tout ce qu’il avait fait. La folie et la rage s’emparèrent de lui. D’un mouvement rapide, il se jeta sur lui et le frappa. Encore et encore. De toutes ses forces. Dans sa folie, c’était des années de sévices qu’il essayait de faire disparaître. La douleur, la souffrance, la frustration. Il semblait devenu fou et incapable de se contrôler. Il n’entendait même plus les larmes de sa sœur. Puis elle se mit à hurler.
« Julian arrête, tu vas le tuer ! », hurla-t-elle, ce qui le fit redescendre sur terre. Ses mains étaient en sang et son père était inconscient. Mais il respirait toujours. Sa sœur avait raison, s’il continuait, il allait le tuer. Et au lieu de la sortir d’ici, il la priverait du seul soutien qu’elle pouvait encore avoir. Sans un mot, tant il était incapable de se calmer, il se dirigea vers la cuisine et nettoya ses mains ensanglantées et tremblantes dans l’évier. Comme s’il essayait de faire disparaître sa culpabilité, comme s’il essayait de la nettoyer, pour que personne ne puisse comprendre jusqu’où il aurait été prêt à aller pour l’arrêter. Il l’aurait tué. Sans l’intervention d’Eleanor, il l’aurait tué. Fermant le robinet, il attrapa le sac à dos qu’il balança sur son épaule. Eleanor avait cessé de pleurer. Ses yeux étaient toujours rougis, mais elle le dévisageait, sans comprendre ce qui arrivait. Toujours sans un mot, il lui tendit la main. Elle sembla hésiter un court instant avant de lui offrir la sienne, qu’il pressa entre ses doigts froids. Il l’entraîna à l’extérieur et ils parcoururent les rues en silence. De nombreuses fois, il regarda en arrière, comme s’il craignait que son père ne finisse par les rattraper, comme s’il avait pu se relever pour les suivre. Mais il n’en fit rien. Alors ils finirent par arriver devant un immeuble à la façade défraîchie et il poussa la porte d’entrée. Ils montèrent trois étages, les marches en bois craquant sous leur pas. Il inséra ses clés dans la porte en bois verte et l’entraîna à l’intérieur. Au milieu de la petite pièce, seul un canapé défoncé meublait les lieux. Il n’aurait jamais cru qu’un canapé aussi abîmé pourrait lui paraître aussi réconfortant.
« Où est-ce qu’on est ? », demanda timidement la petite Eleanor, le fixant avec intensité. Il aurait pu lui raconter tout ce qu’il avait fait pour les conduire ici, ces dernières semaines. Mais cela n’aurait fait que l’inquiéter d’avantage. Il voulait la préserver. Et c’était avec des mots réconfortants qu’il y parviendrait.
A la maison », souffla-t-il simplement. Il vit son regard changer. Si elle avait été méfiante, elle semblait trouver cet endroit magnifique, comme s’il était le plus beau du monde, malgré la poussière partout, la moisissure sur les murs. Et il comprenait pourquoi. Sans aucun doute parce que n’importe quel endroit pouvait être magnifique, loin de leurs parents.
« Je t’avais promis », ajouta-t-il et la jeune femme se jeta dans ses bras. Il l’étreignit fort. Il espérait que leur vie serait plus belle maintenant. Mais il apprendrait bien vite que dans la vie, rien n’était aussi simple que prévu.
*
* *
Tout ne se passait pas comme il l’aurait espéré. Certes il avait sorti sa sœur de la tyrannie, il l’avait sauvé de ses parents, mais il ne pouvait pas lui offrir tout ce qu’il aurait voulu lui offrir. C’était ce qui l’avait poussé à emprunter de l’argent à un mec qu’il savait n'être pas très commode. En même temps avec les types comme lui, il n’y avait pas vraiment de suspens. La méchanceté, ils avaient ça dans le sang. Cela se voyait sur leurs visages. Emprunter de l’argent à cet idiot était sans doute la chose la plus stupide qu’il avait faite de toute sa vie. Mais d’une certaine façon, ce n’était pas comme s’il avait beaucoup de possibilités. Le jeune homme avait terminé l’école sans avoir son diplôme et ne parlons même pas d’études supérieurs. Son CV n’intéresserait jamais personne, d'autant plus qu'il ne savait ni lire, ni écrire. Et même en dealant, il n’arrivait pas à joindre les deux bouts. Pourtant, il s’efforçait de se montrer sous son meilleur jour devant elle, bien qu’elle sache de quelle manière il gagnait sa vie. Elle ne pouvait pas l’ignorer. Ce qu’il essayait de lui cacher en revanche, c’était la noirceur dans laquelle il s’enfonçait chaque nuit, quand elle était sagement endormie. Quand il sortait dans les rues pour revendre ces précieuses drogues qu’il n’avait pas de mal à refourguer dans cette partie de la ville. Pourtant, même s’il essayait de la préserver, il ne pouvait pas toujours le faire, pas comme il le voulait. Et en ce jour, c’était ce qui arrivait. Cela faisait un quart d’heure que ces hommes, à qui il devait pas loin de cinq milles dollars, s’étaient installés dans sa cuisine comme s’ils étaient chez eux. C’était probablement le cas, d’une certaine façon, puisqu’ils tenaient tout ce qu’il possédait entre leurs mains. Ils auraient pu le briser, d’un seul geste, d’une seule parole. Il essayait de négocier. Mais il n’avait pas prévu que sa sœur ne rentre à cet instant. Elle le dévisagea, avant d’observer le groupe d’hommes installés à la table. Le silence se fut un instant, pendant un long moment où tout le monde observait la nouvelle arrivante. Finalement, le leader du groupe se mit à sourire et Julian sut que ce qu’il allait dire n’allait pas lui faire plaisir.
« On pourrait s’arranger. Tu pourrais me laisser passer une petite heure avec cette jolie poupée et je pourrais effacer la moitié de ta dette. Elle les vaux bien », souffla-t-il avant de se mettre à rire, visiblement persuadé qu’il était très drôle. Cela ne le faisait pas rire en revanche. S’il s’en foutait d’être défiguré, d’être tabassé, d’être insulté, il ne supportait pas qu’on puisse s’attaquer à sa petite sœur, qui semblait toujours aussi douce, aussi fragile et aussi innocente à ses yeux. Il ne laisserait jamais un homme lui manquer de respect. Surtout pas un salop pareil.
« Ne parle pas de ma sœur comme ça ! », s’écria-t-il en écrasant son poing sur la table. Il s’apprêtait à se lever pour foutre son poing dans la gueule de l’homme en face de lui, mais une main ferme de l’un des molosses qui l’accompagnait enserra son épaule et le força à rester tranquillement assis, à écouter et à se la fermer. C’était le problème quand on était une brute : on finissait toujours par tomber sur plus fort que soit.
« On se calme Finch », le sermonna le molosse qui lui broyait pratiquement l’épaule. On ne pouvait pas dire qu’il ne l’avait pas cherché. Il avait joué avec le feu. C’était ce qu’il faisait depuis un moment déjà maintenant. Comme si cela l’amusait de s’attirer des ennuis. L’homme face à lui soupira en secouant vivement la tête, comme s’il était profondément peiné. Dans d’autres circonstances, le jeune homme se serait sans doute fait un plaisir de lui régler son compte. Mais il n’en avait pas franchement la possibilité. Alors, sans rien dire, il l’observa se lever et fermer le bouton de sa veste de costume. Son regard était sombre. Il avait la même lueur mauvaise que le sien.
« Tu ferais bien d’avoir mon fric bientôt et de montrer un peu de respect Finch, sinon ce que je pourrais faire à ta sœur pourrait bien devenir la dernière de tes préoccupations », menaça-t-il simplement, sans hausser le ton. Il avait cette prestance et ce charisme qui faisaient qu’il n’avait aucun besoin de hausser la voix pour se montrer menaçant. Il avait compris ce qu’il risquait si jamais il ne trouvait pas ces cinq milles dollars avant la semaine prochaine. Ce n’était pas que sa sœur qu'il allait prendre. Il se retrouverait probablement aussi avec une balle entre les deux yeux. Fronçant les sourcils, il garda le silence, le maudissant intérieurement. Et il se maudissait lui-même, par la même occasion. Sans qu’un mot de plus ne soit prononcé, les hommes quittèrent sa cuisine, le laissant seul avec sa sœur dont le regard lançait des éclairs et son épaule douloureuse.
« Qui étaient ces gens ? », demanda sa sœur, dès que la porte de leur appartement se fut refermée. Comme chaque fois qu’il se mettait dans les ennuis, la jeune femme cherchait à savoir de quoi il en retournait. Il ne pouvait pas lui en vouloir. Mais elle devait bien savoir après tout ce temps qu’il n’allait rien lui dire, qu’il n’en avait pas même l’intention. Ce n’était pas seulement pour la protéger qu’il gardait le silence. C’était par fierté. Il ne voulait pas avoir à lui avouer qu’il n’arrivait pas à s’en sortir tout seul et qu’il avait besoin de l’argent d’autres personnes pour la garder en sécurité.
« Personne », répondit-il simplement avec mauvaise humeur, étirant son bras et jouant avec son épaule pour faire taire la douleur. La jeune femme se planta face à lui, main sur les hanches et le dévisagea avec colère. Il n’avait pas réalisé qu’elle avait tellement grandi et qu’elle avait maintenant l’âge de lui faire des reproches et de lui tenir tête. Elle avait un caractère digne des Finch, c’était certain.
« Julian ! », s’écria-t-elle, visiblement en colère. Le jeune homme ne put s’empêcher de froncer les sourcils. S’il était content de voir que sa sœur avait fini par s’affirmer, par avoir du caractère et par devenir plus forte, il l’était beaucoup moins qu’elle ne se mêle de ses affaires.
« Ne recommence pas », prévint-il, sans rien dissimuler de sa mauvaise humeur. Ce n’était pas la première fois qu’ils se disputaient à cause des fréquentations du jeune homme ou à cause de ses activités. A chaque fois il la laissait dans le flou, lui en disant le moins possible mais à chaque fois elle le noyait sous les questions, sans relâche, voulant en savoir toujours plus. Cela commençait à l’agacer. Le jeune homme se fit donc un devoir de l’ignorer et se leva pour ouvrir son réfrigérateur et en sortir une bière froide qu’il ouvrit et porta à ses lèvres. Lorsqu’il se retourna vers Eleanor, la jeune femme semblait réellement en colère.
« Tu avais promis que tu nous sortirais de cette vie que nous ont infligés nos parents. Tu n’avais pas dit que tu deviendrais comme eux ! », reprocha-t-elle en haussant le ton. Le jeune homme sentit que son sang ne fit qu’un tour dans ses veines. Depuis qu’ils étaient petits, il la protégeait. Il avait toujours prit à sa place pour la préserver. Il vivait une vie de merde pour qu’elle puisse continuer à aller à l’école. Il l’avait sorti des griffes de ses parents. Et c’était comme cela qu’elle le remerciait ? En le comparant à ses parents, qui n’étaient tous les deux que des monstres ? Fou de colère, le jeune homme la fusilla du regard.
« Tu crois que c’est facile ? Tu crois que c’est ce que je veux ? Tout ça, je le fais pour toi, Eleanor. Pour que tu puisses aller à l’école, pour que tu puisses t’acheter les dernières fringues à la mode et te pavaner avec tes copines. Je n’ai jamais prétendu que ce serait facile, que tout serait rose. Je fais au mieux pour que tu puisses avoir une meilleure éducation que je n’en ai eu », s’écria-t-il, haussant la voix. Il s’emportait contre elle, parce que de tous les reproches qu’elle aurait pu lui faire, celui de le comparer à leurs parents était sans doute le pire. La jeune femme dut s’en rendre compte car elle le fixa, bouche-bée, la lèvre tremblante. Il recommençait ces signes chez la jeune femme. Elle allait se mettre à pleurer, s’il continuait à lui crier dessus.
« Je suis désolée, Julian », murmura-t-elle après un silence qui sembla durer une éternité. Elle s’approcha de lui, pour poser sa main sur son bras et tenter de le calmer. Ce n’était sans doute pas ce qui le calmerait dans l’immédiat, mais qu’elle reconnaisse son erreur était déjà mieux que rien.
« J’ai juste peur qu’ils te fassent du mal », ajouta-t-elle en le regardant avec douceur, suffisant à faire redescendre la colère du jeune homme. Il posa la bouteille de bière sur le meuble de la cuisine et la prit dans ses bras, la serrant contre lui.
« Ça n’arrivera pas, je ne te laisserais pas tomber », promit-il. Il avait fait de nombreuses erreurs dans sa vie. Mais celle d’abandonner sa sœur n’en serait jamais une. Elle méritait qu’il se batte pour elle, pour sa protection, même s’il devait trouver la mort dans cet unique but.
*
* *
Encore à moitié endormi, le jeune homme chercha à tâtons le corps chaud qui devait sommeiller à ses côtés. Mais le jeune homme ne trouva que le froid et le vide à ses côtés. Il fronça les sourcils, se retournant et ouvrant les yeux pour constater qu'elle n'était plus là. Le jeune homme grogna, agacé. Pour qui est-ce qu'elle le prenait exactement ? Il avait rencontré Allyson plusieurs semaines plus tôt. La jeune femme, clairement en état de manque, était venue lui acheter sa dose. Malgré son teint blafard et ses cernes prononcés, elle lui avait tout de suite plu. Et puis elle était repartie et chaque fois qu'il l'avait revue, c'était pour lui vendre ce dont elle avait besoin. Et un jour, la belle blonde avait débarqué chez lui parce qu'elle avait besoin qu'il la dépanne en urgence. Il n'avait aucune idée de la façon dont elle s'y était prise pour avoir son adresse, mais elle était là, sur le pas de sa porte, le suppliant de lui donner sa dose, qu'elle n'avait pas les moyens de payer. Il était con. Il était le roi des cons il le savait. Parce que quand elle l'avait séduite, il s'était laissé faire. Quand elle l'avait embrassée, il lui avait rendu son baiser. Quand elle avait passé ses mains sous son t-shirt, il l'avait attiré dans ses bras. Il désirait tellement l'avoir près de lui, se perdre dans ses bras qu'il en avait totalement oublié de penser avec son cerveau. Maintenant, elle débarquait régulièrement, couchait avec lui, prenait sa dose et disparaissait aux premières lueurs du jour. Il ne la connaissait pas si bien et pourtant, il s'attachait à elle. Il s'attachait peut-être même un peu trop à elle. C'était complètement idiot, parce qu'il ne connaissait rien d'elle et en plus, il aurait fallut être un véritable idiot pour ne pas savoir qu'elle se servait de lui. Mais il perdait la tête et il était prêt à la laisser se servir de lui encore longtemps si elle pouvait continuer de s'abandonner dans ses bras en échange. Soupirant, le jeune homme repoussa ses draps et alluma une cigarette, coincée entre ses lèvres, tandis qu'il se dirigeait vers la cuisine. Il la trouva là, en train de boire son café, assise sur le plan de travail de sa cuisine. En la voyant là, il ne pu s'empêcher de sourire. Mais il retrouva rapidement son air froid et stoïque.
« J'ai des chaises », fit-il remarquer, en désignant la table et les chaises installées juste à côté du frigo. La jeune femme se contente de hausser les épaules. Ils se dévisagèrent en silence un moment. Finalement, le jeune homme écrasa sa cigarette dans le cendrier sur la table et se servit une tasse de café.
« Je suis surpris de constater que tu n'as pas encore filé », finit-il par lui dire, ne tenant plus. C'était un reproche déguisé. Parce que même si elle lui plaisait terriblement, le jeune homme n'aimait pas être prit pour un con. Ce n'était pas dans ses habitudes de laisser une femme le traitait de la sorte. Il savait qu'il aurait du stopper net cette relation avec elle. Mais il en était incapable. La jeune femme se mit à sourire, tandis qu'il continuait à la dévisager avec une froideur apparente.
« Oh, c'est que Monsieur est ronchon de ne pas me trouver dans son lit au petit matin. Serais-tu blessé dans ta fierté masculine ? », se moqua-t-elle. Elle touchait la corde sensible et il avait presque envie de la foutre dehors pour la peine. Au lieu de quoi le jeune homme se contenta d'un soupir d'agacement. Elle se laissa glisser du plan de travail et continua de l'observer avec son petit air moqueur.
]« Pour ton information, je prends mon café ici chaque fois que je passe la nuit avec toi. Ce n'est pas de ma faute si tu ne te lèves jamais avant que je doive partir travailler », fit-elle remarquer. Le jeune homme se détendit, sans rien laisser paraître pour autant et porta sa tasse à ses lèvres. Sans café, il était incapable de fonctionner. Mais la jeune femme l'interrompit en prenant sa tasse de ses mains, pour lui voler un baiser. Il devait bien admettre que l'idée de la retrouver de bon matin n'était pas déplaisante et qu'il ferait peut-être bien de se réveiller plus tôt dorénavant.
« Bon, c'est pas tout mais je vais devoir y aller. Je vais être en retard pour le boulot. Tout le monde ne gagne pas sa vie en travaillant de nuit », souffla-t-elle contre ses lèvres en caressant sa joue du bout de son index. Elle le menait par le bout du nez. Il en avait conscience, elle en avait conscience et cela commençait sérieusement à l'agacer. Tandis qu'elle s'apprêtait à s'en aller, il l'attrapa par la main et l'attira vers lui, pour l'embrasser avec force et passion. Cela n'avait rien de doux. C'était animal, possessif et colérique. Lorsque enfin il relâcha ses lèvres, il avait le souffle coupé.
« J'en ai marre de cette relation. Je veux de l'exclusif. Ou alors ça prend fin maintenant », déclara-t-il en la fixant dans les yeux. La jeune femme se mordilla la lèvre en gloussant. Elle passa sa main dans ses cheveux, continuant de se moquer de lui. Si ça avait été n'importe qui d'autre, Julian se serait vexé. Mais parce que c'était elle, il trouvait ce petit air adorable.
« Pas la peine de t'emporter comme ça. Tu aurais pu simplement me dire « tiens Ally, j'aime bien être avec toi, tu ne voudrais pas être officiellement ma copine ? » et j'aurais dit oui. Il faut tout t'apprendre à toi », souffla-t-elle. C'était ainsi que leur histoire avait vraiment démarrée. C'était aussi de cette façon qu'il avait commis la plus grosse erreur de sa vie.
Le sang battait à ses tempes, ses pommettes se tintaient de rouge sous l'effet de la colère. Rouge comme le sang qui tapissait maintenant le sol de sa chambre. La soirée avait pourtant bien commencé. Quand Allyson était rentrée de son service, ils en avaient profité pour dîner ensemble. Malheureusement, ils ne passaient pas ensemble autant de temps qu'ils l'auraient voulu. Elle travaillait de jour, il travaillait de nuit, alors les moments où ils se croisaient été précieux. Puis le jeune homme était parti ce qu'il savait faire de mieux : dealer. Il s'était promis de ne pas rentrer trop tard, pour pouvoir la serrer quelques heures dans ses bras avant de la voir partir travailler. Mais les plans du jeune homme avaient été contrariés par l'arrivée de la police, dans le quartier où il avait l'habitude de traîner le soir. Il s'était enfui, parcourant les rues en courant et quand il avait été sûr et certain de ne pas être suivi, il était rentré chez lui. Bien qu'armé, le jeune homme n'avait jamais voulu se servir de cet engin, qu'il transportait avec lui plus par sécurité qu'autre chose. Mais dans son malheur, il espérait qu'il aurait le loisir de passer le reste de sa soirée avec la femme qu'il aimait. Ça lui faisait bizarre de se dire qu'il l'aimait. Ça faisait bizarre à sa sœur aussi. Eleanor n'aimait pas vraiment Allyson, du moins elle estimait que son frère ferait bien de s'en méfier. Mais elle était heureuse de voir que pour une fois dans sa vie, il semblait heureux. Le jeune homme, était regagné son appartement, rapidement interpellé par du bruit dans sa chambre. Il aurait pensé que, malgré le fait qu'il rentrait plus tôt que prévu, Allyson serait déjà au lit. Le jeune homme abandonna sa veste et ses chaussures dans l'entrée pour la retrouver et la surprendre. Mais ce ne fut sans doute pas elle qui fut le plus surprise. Car elle n'était pas seule, accompagnée d'un jeune homme, tous les deux à demi-dénudés. Le sang du jeune homme ne fit qu'un tour, tandis qu'il donnait violemment un coup de pied dans la porte.
« Julian … », souffla-t-elle, en tenant son drap blanc contre sa poitrine nue. L'homme n'avait toujours pas bougé et le dévisagé avec un air de défis. Visiblement, il ne se sentait pas concerné par ce qu'il se passait dans cette chambre. Allyson pour sa part, s'approchait de lui, mais il fit un pas en arrière, furieux. Son souffle était court, son cœur battait à tout rompre, son sang battait dans ses tempes avec violence.
« Julian ce n'est pas ce que tu crois », bredouilla-t-elle. Le jeune homme partit d'un rire sans joie, un rire glacial et mesquin. En plus de le tromper sous son propre toit, elle se foutait de sa gueule. Il ne savait pas ce qui le retenait de la traîner dehors par les cheveux.
« Ça tombe bien que ce soit pas ce que je penses, parce que je croyais que je venais de surprendre ma meuf en train de me faire cocu sous mon propre toit », brailla-t-il, au comble de l'exaspération et de la colère. Le jeune homme serra les points. Il n'était pas violent, du moins il essayait de canaliser sa colère contre des sacs de frappe en temps normal. Il n'avait jamais frappé une femme de sa vie, mais il se demandait comment il faisait pour réussir à ne pas écraser son point sur la figure de la jeune femme.
« Et ce n'est pas la première fois », commenta l'homme qui s'était relevé pour enfiler son pantalon. Julian fronça d'avantage les sourcils, si c'était possible. Il n'avait ressenti une telle vague de colère qu'une fois dans sa vie : le jour où il avait frappé son père au point de manquer de le tuer.
« J'vais te buter ! », hurla-t-il. Il ne savait pas bien à l'attention de qui s'adressait cette menace. Un peu des deux sans doute, dans le fond. Parce que si sa colère se portait maintenant contre l'homme qui le dévisageait avec arrogance, un petit sourire au coin des lèvres, il ne pouvait s'empêcher de bouillir de rage à cause d'Allyson. Elle avait planté une lame dans son cœur, l'avait retournée encore et encore, pour que ça fasse le plus mal possible. Il avait l'impression de mourir à l'intérieur et il aurait voulu serrer ses mains autour de sa gorge pour qu'elle ait une petite de ce qu'il ressentait.
« C'est quand même pas de ma faute si ta copine est la plus grosse pute de New-York », répondit-il avec un petit ricanement. C'était trop pour lui. Il ne pouvait pas encaisser d'avantage. Les événements qui suivirent étaient flou dans son esprit. Il se souvenait avoir porté sa main à sa ceinture, attrapant cette arme dont il ne s'était jamais servi. Il se souvenait d'avoir entendu un bruit assourdissant, qui avait provoqué des bourdonnements dans ses oreilles, il se souvenait d'avoir entendu une femme hurler et du sang couvrir le torse nu de l'homme face à lui, tandis qu'une femme hystérique allait en venait à côté de lui. Le jeune homme avait eu beaucoup de mal à prendre conscience de ce qu'il avait fait. Et quand enfin son cerveau s'était remis en marche, les sirènes de police se faisaient déjà entendre au pied de son immeuble.
*
* *
Il n'aurait jamais pensé se retrouver là, à remettre sa vie à venir entre les mains d'un juge. Julian, des années plus tôt, avait des rêves plein la tête. Il voulait sauver sa sœur, il voulait s'offrir une plus belle vie. Il voulait trouver un travail respectable et être respecté. Jamais il n'aurait imaginé trouver l'amour et encore moins être trahi par une femme. Et surtout, jamais de sa vie il n'aurait pensé trahir sa sœur et l'abandonner lâchement comme il l'avait fait. Il avait toujours pensé que ses parents avaient leur place derrière les barreaux, entre leurs trafics et la façon dont ils traitaient leurs enfants. Et finalement, c'était lui, qui attendait l'annonce du verdict du procès, menottes autour de ses poignets. Cela faisait trois jours qu'il écoutait des gens parler de lui comme s'il n'était pas là et il n'écoutait pas des masses non plus. Il avait remis son destin entre les mains de son avocat commis d'office et il n'avait pas prononcé le moindre mot. Il avait même refusé d'être interrogé à la barre. Il assumait ses actes. Tout ce qu'il regrettait, c'était de voir sa sœur pleurer. Son cœur se brisait un peu plus à chaque larme qu'elle versait. Le jeune homme tendit sa main vers la sienne, gêné par ses menottes et la serra dans sa paume.
« Ne pleure pas Len, je t'en prie », souffla-t-il en caressant le dos de sa main de son pouce. La jeune femme utilisa sa main libre pour sécher ses larmes, mais il voyait qu'elle luttait pour ne pas en verser d'autre. Le jeune homme s'en voulait d'être celui qui provoquait une telle douleur dans son cœur. Il voulait la protéger, surtout pas être celui qui lui ferait encore plus de mal. Ils restèrent tous les deux ainsi, main dans la main, pendant près de deux minutes. Puis la jeune femme reprit la parole.
« Ton avocat a dit que ça s'annonçait mal », souffla-t-elle finalement en reniflant. Le jeune homme aurait voulu avoir les mots pour la rassurer. Mais il ne voyait pas bien ce qu'il pouvait dire pour la rassurer. Parce qu'il était évident que son affaire s'annonçait mal. En même temps, il avait plaidé coupable pour ne pas prendre la peine maximale, il voyait mal comment cela pouvait bien s'annoncer. Il n'avait pas cherché à défendre ce qu'il avait fait, conscient d'avoir mal agi.
« Je sais », se contenta-t-il de répondre. Maintenant, elle était adulte. Maintenant, elle devait prendre sur elle et affronter les épreuves de la vie. Il n'était plus là pour prendre à sa place. Elle allait devoir prendre sur elle maintenant. Mais le jeune homme sentait qu'elle avait quelque chose à lui dire et qu'elle lutait pour trouver le courage de le faire. Le jeune homme fronça les sourcils, patientant. Elle semblait nerveuse. Finalement, elle sembla trouver le courage nécessaire, puisque sa voix se fit à nouveau entendre.
« Je suis désolée Julian, mais je ne peux pas faire ça. Je ne peux pas les regarder te mettre en prison et venir t'y voir. Je ne peux pas continuer à te soutenir après ce que tu as fais », bredouilla-t-elle, visiblement mal à l'aise. Le jeune homme eut l'impression qu'on venait de lui renverser un seau d'eau glacé sur la tête. Sa première réaction fut de se laisser envahir par la colère. Après tout ce qu'il avait fait pour elle, elle le laissait tomber ? Et puis, il se raisonna. Elle avait raison. Si elle voulait vivre une vie paisible, elle devait s'éloigner de lui, comme ils s'étaient éloignés de leurs parents. Ce n'était pas en venant lui rendre visite en prison qu'elle pourrait vivre une vie normale.
« Tu n'as pas à t'excuser, Len », souffla-t-il finalement en lui adressant un faible sourire. Au final, peut-être que c'était son rôle. La protéger de leurs parents jusqu'à ce qu'elle soit suffisamment grande pour prendre son envol. Maintenant, elle pourrait enfin réussir sa vie, loin de tous les boulets qui avaient peuplé son univers.
« Je voudrais juste que tu me promettes de réaliser tes rêves. Fini tes études. Trouve l'amour. Fonde ta propre famille. Ne pense pas trop à moi et soi heureuse. Tu peux faire ça pour moi ? », demanda-t-il. Il était sincère. Il voulait qu'elle le lui promette. Il en avait besoin. S'il devait la quitter pour plusieurs années, il voulait être certain que ce serait pour qu'elle ait une vie meilleure.
« Je te le promets », déclara-t-elle finalement, avant de se remettre à pleurer. Frère et sœur tombèrent dans les bras l'un de l'autre. Et il savait pourquoi. C'était des adieux qu'ils se faisaient. Car même si Julian sortirait un jour de prison, elle aurait refait sa vie d'ici là. Finalement, on l'appela pour qu'il revienne dans la salle d'audience. Son cœur battait la chamade. Il avait déjà eu peur du verdict avant, mais maintenant qu'il savait que sa sœur le lâchait, il se sentait vidé. Au moins en prison, il n'aurait besoin de penser à rien. Finalement, c'était peut-être la liberté qu'il attendait, de finir en taule. Il allait enfin pouvoir trouver la paix. Tout le monde se leva, pour accueillir la juge, qui annonça la reprise de la séance. Alors que tout le monde se rasseyait, Julian et son avocat restèrent debout.
« Monsieur Finch est-ce que vous avez quelque chose à dire avant l'annonce du verdict ? », demanda la juge. Julian aurait voulu dire non. Après tout, il n'avait rien dit de tout le procès. Il jeta un coup d’œil à sa sœur, qu'il voyait pour la dernière fois. Leur si belle relation était terminée. Et puis, le jeune homme jeta un coup d’œil de l'autre coté de la salle. Le bureau des victimes, comme l'avait si souvent rappelé l'avocat de la partie adverse. Il aperçu brièvement Allyson, dans un tailleur impeccable, se sécher les yeux avec un mouchoir en papier. Espèce de garce.
« Je regrette votre honneur. Je regrette que cet espèce d'enfoiré ne soi pas mort. Et je regrette de ne pas avoir tiré sur cette garce », déclara-t-il finalement. Un murmure choqué parcourut l'assemblée. Son avocat secoua la tête, au comble du désespoir. Julian lui, toisait la juge avec une lueur de défis dans le regard. Allez-y, punissez moi, disaient ses yeux.
« Bien. Devant l'absence de remords de l'accusé, je prononce une peine de réclusion de 25 ans dans un établissement de haute sécurité, … », commença-t-elle à expliquer. Le jeune homme arrêta d'écouter. 48 ans. C'est l'âge qu'il aurait quand il pourrait enfin sortir de là. Autant dire qu'il avait sacrément raté et gâché sa vie.
*
* *
Les années s'écoulaient lentement. Trop lentement. Six ans et demi. C'était beaucoup. Et d'un côté, c'était peu quand on pensait aux dix-huit ans et demi qui lui restait à faire. Julian était un détenu calme, silencieux, qui purgeait sa peine sans faire de vague. Il passait la plupart de son temps à penser à sa sœur et à regretter les actes qu'il avait pu commettre. Au début, il avait été la cible des anciens, mais il avait su se faire respecter. Désormais, il occupait son temps dans divers travaux au sein de la prison, notamment en cuisine. Et il était justement occupé avec d'autres détenus à préparer le repas du midi, quand un garde vint le déranger.
« Finch, t'as de la visite », déclara-t-il en lui faisait signe de le suivre. Julian haussa les sourcils, curieux. En six ans et demi, personne ne lui avait rendu. Len avait tenu parole, elle n'était jamais venue. Et il n'avait ni amis, ni famille. Il avait passé six ans et demi dans la solitude la plus totale. Il se laissa pourtant guider en salle de visite, où il fit face à un homme, grand, fin, la cinquantaine passée à vu d’œil.
« Bonjour Julian », déclara-t-il en lui tendant sa main. Julian le dévisagea des pieds à la tête. Costume impeccablement taillé qui puait la richesse. Cet homme ne pouvait être autre chose qu'un avocat. Sauf qu'il ne voyait pas bien pourquoi est-ce qu'un avocat venait le voir. Il purgeait sa peine depuis six ans et demi maintenant et n'avait pas vu le moindre avocat, puisqu'il n'avait pas fait appel.
« Vous êtes qui », demanda-t-il, sans prendre la peine de lui serrer la main. L'homme lui sourit, visiblement compréhensif. Il l'invita à s'asseoir d'un geste de la main mais le jeune homme ne s'exécuta pas, toujours aussi méfiant.
« Maître Spencer Wright, je suis avocat à Wellington », déclara-t-il. Ça, Julian l'avait déjà comprit, même s'il se demandait pourquoi un avocat de Wellington avait fait autant de chemin pour le voir. Il n’était pas doué en géographie, mais à moins qu’il ne soit complètement idiot, Wellington ce n’était pas la porte à côté. Mais surtout, il ne comprenait pas le but de la visite. Haussant un sourcil, il continua de dévisager l'homme face à lui.
« Et ? », demanda-t-il d'un ton un peu brut. L'avocat arrangea sa cravate et s'éclaircit la gorge, visiblement mal à l'aise. Ça existait vraiment, un avocat mal à l'aise ? En tout cas, avec ce manque de confiance et de courage, il ne devait pas gagner beaucoup d'affaires selon lui.
« Et je suis aussi ton père », déclara-t-il finalement. Julian eut l'impression qu'on venait de le gifler. Son père ? C'était impossible. Son père était la pire abomination de ce monde, c'était un raté, alcoolique et drogué, violent. Ce n'était certainement pas un avocat qui visiblement ne manquait pas d'argent. Julian lui adressa un sourire mauvais.
« Qu'est-ce que c'est que ces conneries ? Vous vous foutez de ma gueule ? », s'énerva-t-il. L'homme face à lui leva les deux mains en signe d'innocence et de paix. Julian leva les yeux au ciel, agacé.
« Pas du tout. Et d'ailleurs, j'aimerais te proposer mes services pour te sortir d'ici », déclara-t-il avec un grand sourire. C'en était trop pour Julian. Non seulement il lui mentait, mais en plus il lui proposait quelque chose qui n'arriverait pas. Il s'était fait une raison depuis le temps, il savait bien qu'il ne sortirait pas d'ici avant de nombreuses années. Énervé, le jeune homme perdit patience.
« Bien sûr, un mec que j'ai jamais vu, m'annonce qu'il est mon père et qu'il veut me sortir de prison et j'dois le croire sur parole. Allez, au revoir », siffla-t-il entre ses dents, passablement irrité. Et tandis que le jeune homme s'apprêtait à appeler le garde pour qu'il le renvoie dans sa cellule, l'homme derrière lui fit entendre sa voix à nouveau.
« Tu pourrais revoir ta sœur », annonça-t-il. L'effet fut immédiat. Le jeune homme se stoppa net. Qu'est-ce que c'était que cette histoire ? D'où cet homme connaissait sa sœur ? Sa curiosité étant piquée au vif, le jeune homme se tourna à nouveau vers l'avocat, haussant une nouvelle fois les sourcils. Cette fois, il était prêt à écouter. Ce qu'il craignait depuis six ans et demi, c'était que sa sœur ne soit pas heureuse et qu'elle n'ait pas la vie qu'il avait toujours espéré pour elle.
« Qu'est-ce que vous savez de ma sœur ? », demanda-t-il, inquiet cette fois. Il n'y avait plus grand-chose dans cette cage qui l'atteignait. Mais le bonheur et la sécurité de sa petite sœur étaient toujours deux points importants à ses yeux. L'homme lui adressa un sourire bienveillant et tendit une nouvelle fois sa main vers la chaise vide.
« Assieds-toi, que je t'explique », insista-t-il. Julian hésita un instant, son éternelle méfiance prenant le dessus, comme bien souvent. Mais cette fois, il consentit à obéir et s'installa sur la chaise vide, dévisageant l'homme aux cheveux grisonnants qui lui faisait face.
« Tout d'abord il faut que tu saches que je n'ai jamais entendu parler de ton existence. Quand ta mère m'a dit qu'elle était enceinte, elle m'a aussi dit qu'elle quittait son poste et qu'elle allait avorter. Et je l'ai cru, parce que sa famille avait une grande influence sur elle. Pendant longtemps, je n'ai plus eu de ses nouvelles. Et puis ta sœur a postulé dans mon entreprise et mon service a évidemment fait des recherches sur elle. J'ai vu le nom de ta mère dans son dossier, je l'ai tout de suite reconnu. Puis j'ai vu qu'elle avait un frère, et j'ai compris », expliqua-t-il. Julian en resta muet de stupéfaction. Alors ainsi, toute sa vie n'avait été qu'un énorme mensonge. Son père n'était pas son père. Il ne savait pas bien si cette pensée le soulageait ou non. D'un côté, il était heureux de savoir qu'il n'était pas le fruit de cet homme barbare. D'un autre côté, il aurait eu une toute autre vie si ce père avait connu son existence plus tôt et c'était occupé de lui. Toutefois, le jeune homme ne savait pas quoi faire de cette information. Il décida qu'il aurait tout le loisir d'y penser plus tard.
« Comment va Len ? », demanda-t-il. Après tout, il s'en fichait de savoir qui était ou non son père. La seule qui comptait, c'était elle.
« Tu pourras bientôt lui demander toi-même », répondit-il spontanément. Toujours ce même sourire bienveillant. Julian trouvait que ça avait l'air faux. Mais d'un autre côté, il n'avait jamais demandé à un autre avocat son avis, il n'avait jamais fait appel, il n'avait jamais tenté d'obtenir une remise de peine ou une libération anticipée.
« Vous pensez vraiment pouvoir me faire sortir d'ici ? », demanda-t-il, en haussant les sourcils. L'avocat hocha la tête. Et pour une raison qui lui échappait, Julian avait envie de le croire, parce que rien de ce qui pourrait arriver ne pourrait être pire que la vie qu'il menait déjà.
« Je le pense oui. Ton dossier est exemplaire. Il y a eu des failles dans ton dossier et ton avocat commis d'office a bâclé le travail. Mais je pense pouvoir rattraper ça », expliqua-t-il. Et pour la première fois depuis six ans et demi, Julian ressentit quelque chose qu'il n'avait plus ressenti : de l'espoir.
Et il avait eu raison de lui faire confiance. Pour cela tout du moins. Spencer Wright n'attendait pas de lui qu'il l'appelle papa, qu'il le remercie ou qu'ils créent des liens. Il avait simplement défendu son dossier, pour lui obtenir une réduction de peine dans un premier temps, puis une liberté anticipée dans un second temps. Après sept ans de prison, Julian était à nouveau un homme libre. Mais cet homme qui se disait son père ne lui inspirait pas confiance pour autant. Même s'ils avaient les mêmes yeux, le même sourire, il avait du mal à croire que cet homme n'avait jamais rien su, pas plus qu'il n'arrivait à croire qu'il l'avait sorti de là par pure bonté d'âme. Alors quand Spencer lui avait proposé de le suivre jusqu’à Wellington pour retrouver sa sœur, Julian avait accepté. Plus rien ne le retenait ici et il voulait se reconstruire le plus loin possible de cette prison. Alors il avait suivi ce père sorti de nulle part, pour le surveiller d'une part et parce que personne d'autre ne lui offrirait une chance dans la vie avec son casier judiciaire. Mais surtout, parce qu'il avait dans l'espoir de retrouver sa sœur. Et pourquoi pas un jour de découvrir ce que son cher père avait véritablement à cacher.