GEORGIA ☽ another one bites the dust

Sa vie aurait pu être aussi belle que merveilleuse. Elle aurait pu vivre un véritable compte de fée. Première fille d’une famille de quatre enfants, elle était attendue par sa mère, qui désirait plus que tout avoir une petite fille. Dès sa naissance, elle a été couvée et chouchoutée par ses trois grands frères. Oui, ils formaient une famille assez particulière. Enfants de bonne famille, une famille riche à souhait, les règles étaient nombreuses et ils étaient supposés bien se tenir, bien se comporter, ne jamais déraper. Mais malgré ça, ils étaient heureux, ils ne manquaient jamais de rien, ni de biens matériels, ni d’affection, ni d’éducation. L’éducation, c’était un point sur lequel sa mère était très à cheval et enfant, Georgia prenait à la fois des cours de piano et de peinture. La peinture, qu’elle a d’ailleurs rapidement laissé tomber au profit de la danse, tant elle était dépourvue de talent pour le dessin. Georgia, elle aimait ses parents, elle aimait ses frangins et elle faisait tout ce qu’on lui demandait pour être aimée en retour. Elle respectait toujours les règles et elle ne commettait jamais aucun faux pas. Jusqu’à ce jour, alors qu’elle avait seize ans et qu’elle est tombée amoureuse du mauvais garçon. Elle fréquentait une école privée, où les filles et les garçons ne se mélangeaient jamais, hormis pendant la récréation. Elle le croisait tous les matins, elle le croisait tous les midis et elle ne pouvait s’empêcher de sourire comme une idiote. Un jour, il l’a abordée et elle a bien cru que son cœur allait défaillir. Elle a été la jeune femme la plus heureuse du monde, le jour où il l’a invité à sortir. Manque de chance, il n’était pas dans cette école pour ses bonnes relations et grâce à l’argent de ses parents, mais grâce à une bourse, ce qui ne manqua pas de déplaire à sa famille. Il était pauvre, ses parents menaient un train de vie modeste et ses parents affirmaient même qu’il était un mauvais garçon. Mais aveuglée par l’amour, elle ne voyait rien, ni ses défauts, ni qu’il profitait de sa naïveté. Il n’aura suffit que d’une fois, d’un moment d’égarement, pour qu’elle se retrouve enceinte. On l’avait prévenue pourtant. Pense à te protéger, il suffit d’une seule fois. Mais elle n’écoutait rien, Georgia. Et quand elle a apprit qu’elle allait avoir un bébé, elle pensait qu’il allait l’aider. Au lieu de quoi, il s’est contenté de ricaner et de lui dire de se débrouiller. Première déception sur une longue liste de déceptions pour la brune. Ses parents apprirent la nouvelle et décidèrent de l’envoyer dans un pensionnat, où elle crut mourir de chagrin. Elle avait le cœur brisé, on la traitait comme une paria au sein de sa propre famille. Elle pensait quand même que ses parents allaient comprendre. Mais ils ne comprenaient pas. Elle le comprit le jour de l’accouchement, quand on lui prit son bébé, sa petite fille, sans même lui laisser le temps de la serrer dans ses bras. Elle n’avait pas comprit au début, Georgia, elle pensait qu’ils allaient lui prodiguer les premiers soins. Mais non, elle ne la revit jamais sa petite fille, son petit ange, et son cœur se brisa pour la deuxième fois de sa vie. Après ça, la brune n’était plus que l’ombre d’elle même. Elle passait ses journées à pleurer, son teint était blafard parce qu’elle ne sortait jamais et ses yeux étaient continuellement souligné de cernes prononcés. Puisque son ventre arrondi ne risquait plus d’être un scandale sans nom pour la famille Ashmore, on la laissa rentrer à la maison, mais elle passait ses journées enfermée dans sa chambre et on prétendit dans son entourage qu’elle était gravement malade. Et un jour, elle se décida à se relever. Elle ne pouvait pas passer sa vie toute entière dans son lit, mais elle pouvait étudier, trouver un travail et quitter cette maison et ses parents qui lui avaient fait tant de mal. Avec une année de retard, elle entreprit des études de journalisme. Ses parents avaient les journalistes en horreur, les journalistes étaient des fouineurs, ils avaient tendance à déterrer les cadavres dans les placards. C’était sans doute pour cela, qu’elle avait décidé de faire carrière dans le journalisme. Parallèlement, elle n’a plus jamais parlé de sa petite fille. Clairement dans le déni, elle faisait comme si cette période de sa vie n’avait jamais existé. C’était plus facile pour elle de prétendre que ça n’existait pas. C’était moins douloureux aussi. Il lui arrivait de se demander à quoi pouvait bien ressembler ce petit trésor, puis elle se giflait mentalement et s’efforçait de penser à autre chose. C’était un bourreau de travail, elle ne vivait que pour ses études. Georgia avait vingt-trois ans, quand elle ouvrit son cœur à nouveau. Pendant sept ans, elle n’avait pas laissé d’homme s’approcher d’elle. Mais Lazaro était différent, il était simple, il était à des années lumières des hommes qu’elle connaissait. Et il était accepté par ses parents. Avec cet homme – dont elle était réellement amoureuse tout de même – Georgia cherchait à combler un vide au fond d’elle. Ils sortaient ensemble depuis deux ans quand ils se sont mariés. Georgia avait vingt-cinq ans, des rêves plein la tête. Elle était heureuse, dans le fond, même si parfois, elle se sentait encore terriblement vide dans son cœur. Ce vide, elle pensait qu’elle allait le combler quand ils décidèrent d’avoir un enfant. Ils eurent une magnifique petite fille, qu’ils décidèrent d’appeler Emma. Elle était heureuse de voir ce petit trésor, Georgia. Mais elle ne pouvait s’empêcher de penser que quelque part, une petite fille de douze ans avait été privée de sa maman. Elle donnait une tonne d’amour à Emma, en devenant presque étouffante. Mais elle se demandait si son autre petite fille était heureuse. Est-ce qu’elle avait des parents aimants ? Est-ce qu’il la traitaient bien ? Ou est-ce qu’elle était traînée de famille d’accueil en famille d’accueil ? L’idée même lui faisait péter les plombs. Et même si c’était une mère exemplaire pour Emma, elle la surprotégeait beaucoup trop, l’enfermant dans un cocon d’amour, essayant de la protéger d’attaques inexistantes. Parallèlement, elle n’était plus si sûre d’être heureuse dans son mariage. Ce n’était pas qu’elle n’aimait pas Lazaro, pas du tout. Elle ressentait toujours de l’affection pour lui. Mais lui non plus ne parvenait pas à combler le vide dans son cœur. Elle qui s’efforçait de tout contrôler, de ne jamais dériver pour qu’aucune surprise ne s’immisce dans sa vie, elle avait un jour dérapé. Il s’appelait Eric, il était grand, il était beau, il était charmant et surtout, c’était un beau parleur. Elle l’avait interviewé pour un article, ils avaient bu quelques verres et il avait su exactement quoi dire pour captiver son attention. Ça ne devait être l’affaire que d’une nuit, mais cette nuit a été réitérée, encore et encore. Elle n’était pas sûre que c’était véritablement de l’affection, mais ce qui était certain, c’est que la passion peuplait chacun de leurs échanges. Peut-être que c’était le goût du risque qui lui faisait ressentir le frisson du désir, mais elle n’avait jamais ressenti cela. Elle pensait l’aimer. Elle pensait avoir développé des sentiments pour lui. Si bien que son mari a fini par l’apprendre. Comment aurait-il pu en être autrement ? Elle partait tôt, elle rentrait tard. Elle ne regardait plus vraiment son mari. Lazaro a fini par demander le divorce et contre toute attente, ça ne l’a pas brisée tant que ça. En revanche, elle avait conscience de s’être comportée comme la pire des garces et d’avoir brisé un homme qui ne méritait rien de tout cela. Mais Georgia, tout ce qui l’intéressait, c’était sa fille et elle en devenait presque complètement folle. Elle ne pouvait pas la perdre, elle aussi. Alors, elle a demandé à Eric de tout faire, même les crasses les plus basses, pour qu’elle puisse garder Emma. Elle se fichait pas mal qu’Eric puisse prétendre que Lazaro n’était pas un père idéal, tout ce qu’elle voulait, c’était garder Emma. Et ça a été le cas, ils ont gagné, la petite fille est restée avec elle. Il y a deux ans, Georgia a décidé de suivre Eric à Auckland. Ce n’était pas tant qu’elle avait particulièrement envie de vivre avec lui, c’était simplement qu’elle voulait éloigner Emma de Lazaro, pour être certaine qu’il ne chercherait pas à la lui reprendre. Elle devenait paranoïaque, Georgia, chaque fois que quelqu’un regardait sa petite Emma de trop près, elle se disait qu’on risquait de la lui enlever et elle ne pouvait pas le supporter. Georgia s’est très vite lassée d’Eric. Visiblement, c’était le frisson de l’interdit qui la poussait dans ses bras, mais le jeune homme avait très vite été dépourvu de tout intérêt pour elle. Elle a emménagée seule, avec Emma et quand elle ne travaillait pas, sa vie toute entière ne tournait qu’autour d’Emma. Elle l’emmenait à la piscine, à la patinoire, elle l’emmenait faire du shopping, elle la conduisait à ses cours de danse. Elle s’efforçait d’être une maman cool, pour palier l’absence de son père. Mais ses erreurs la rattrapèrent bien rapidement. Cela faisait environ un an qu’elle s’était installée à Auckland quand on diagnostiqua à Emma une leucémie. Elle eut l’impression que son monde s’écroulait une nouvelle fois. Il y eut la chimiothérapie et Georgia mit sa fierté de côté, pour demander à ses parents de l’argent, pour qu’elle puisse arrêter de travailler et passer ses journées avec sa fille. Mais très vite, il devint évident qu’elle ne pouvait pas tenir Lazaro à l’écart de tout ça. Emma avait besoin d’une greffe de moelle et Georgia n’était pas compatible. Même si elle avait gardé le silence pendant un an, Georgia s’était précipitée sur son téléphone pour demander de l’aide à son ex et il n’a pas tardé à rappliquer. Lui était compatible. Il y eut des opérations lourdes, des heures et des heures passées à l’hôpital à attendre. Lazaro passa plusieurs mois à ses côtés. Il l’aida beaucoup. Puis un matin, alors qu’on lui avait annoncé qu’Emma allait mieux et qu’elle s’en sortirait, elle lui avait demandé de partir. Elle ne supportait plus sa présence à ses côtés, elle se sentait redevable, elle se sentait proche de lui, alors qu’ils avaient tous les deux tournés la page. Surtout, elle s’en voulait, elle sentait le poids de la culpabilité peser sur ses épaules et elle ne pouvait plus le supporter. Mais elle le vit ce regard, dans les yeux de son ex, le jour où il était venu dire au revoir à Emma. Elle l’avait déjà vu ce regard. Elle l’avait vu dans ses yeux, des années plus tôt, quand on lui avait prit son enfant. Accablée par le remord et par la culpabilité, elle avait passé des jours à pleurer et à tourner en rond, avant de prendre la décision la plus logique qui soit : rentrer à Wellington. Elle ne pouvait pas priver Emma de son père et elle ne pouvait pas faire non plus à Lazaro ce qu’on lui avait fait des années auparavant. Le jeune homme, dans son bon droit, relança d’ailleurs la procédure pour la garde de leur fille. Ils obtinrent tous les deux la garde alternée. Emma était une semaine chez l’un, une semaine chez l’autre. Un changement que la brune, mère surprotectrice, à bien du mal à accepter. Mais elle prend sur elle, pour le bien d’Emma. Il n’y a que sa fille, son petit trésor qui compte à ses yeux.