castle walls / ruby

C'était d'un ennui à mourir. Avant même que les invités n'arrivent, Millie avait déjà envie de se pendre. Les repas de famille n'étaient jamais une bonne nouvelle, et ils l'étaient encore moins lorsque la raison de la réunion concernait le travail. Les Steadworthy étaient des perfectionnistes, des bosseurs, à cheval sur la réussite et les apparences. Réunir des avocats, juges, chirurgiens et toute cette ribambelle de cravates et chignons serrés n'était jamais une réjouissance pour la petite dernière de Jeff Steadworthy. Elle en soupirait déjà, avachie sur le canapé, sa mère lui répétant à nouveau de bien se tenir. Pour son bien, disait-elle. Millie la croyait, sa mère avait toujours pensé au bien-être de ses enfants. Mais la benjamine n'avait aucune volonté, et encore moins un dimanche midi, coincée entre les comptes en banque trop gros alors qu'elle aurait préféré dormir, ou peindre. Stan vint se poster près d'elle, alors que les premiers coups sur la porte se firent entendre. Pile à l'heure, comme toujours. On ne se demandait même plus d'où venait le perfectionnisme de Millie, elle l'avait dans le sang. Elle se leva, salua tout le monde, jusqu'à arriver à sa cousine, Ruby, à qui elle offrit un grand sourire soulagé. - T'es là, mon dieu, tu sauves cette journée juste par ta présence. Elle la serra rapidement dans ses bras, et suivi toute la petite bande qui avait déjà entamé le sujet professionnel jusqu'à la salle à manger. - J'hésitais à me jeter du balcon pour échapper à cette torture. Elle ricana, et son père lui lança un regard mi-amusé, mi-désespéré. Elle plaisantait, Millie. Elle adorait sa famille, tous ces gens étaient de bonnes personnes. Déterminées, justes, honnêtes. Ils méritaient tout leur succès. Mais elle, elle ne voulait pas de ça. Et Ruby non plus. La seule différence était que cette dernière avait cessé de se forcer, et avait suivi sa propre voie. Milicent l'appelait le mouton noir des Steadworthy, pour rire, mais au fond, elle l'enviait d'avoir su imposer ses choix. Elle, elle n'en serait jamais capable. Au point même qu'elle n'avait jamais avoué à personne sa passion pour la peinture.

castle walls

milly & ruby

Les repas de famille, j’avais horreur de ça. Encore plus lorsque mes parents m’obligeaient à venir avec eux, sachant très bien que je me sentirais exclue des sujets de discussion, et que je serais encore pointée du doigt vis-à-vis de mes études bien différentes de celle de ma famille. Les Steadworthy, avocats et chirurgiens depuis un bon nombre de génération, pareil du côté des Howlett, et puis moi, petite Ruby qui débarque et qui étudie les sciences. Le petit mouton noir comme m’appelle ma cousine, celle qui s’est un peu loupé, démarqué de sa famille. Celle qui n’a pas suivie, et qui en est même fière. Sur le trajet vers la maison de ma cousine, j’allume une cigarette afin de passer le temps et entrouvre légèrement la fenêtre de la voiture afin de ne pas enfumer toute ma famille, même si parfois, j’en ai envie. Ma mère me lance un regard noir, et mon père soupire. Je sais pertinemment qu’ils sont contre les fumeurs. Ma mère, me parle beaucoup de ma tante, la mère de millie qui est chirurgienne, et me dit souvent qu’elle soigne beaucoup de cancers du à la cigarette, et je sais très bien qu’elle essaie de me faire peur. Mais j’ignore, sachant très bien ce qui m’attend si je continue. La voiture se gare, et je descends en m’avançant ensuite sur le pas de porte, derrière toute ma famille. Aujourd’hui, nous sommes au complet, tous les huit, et c’est tellement rare que cela me fait en même temps plaisir. J’entre, fais la bise à mon oncle et ma tante, puis Milly, ma cousine s’approche de moi et me prend dans ses bras. « T'es là, mon dieu, tu sauves cette journée juste par ta présence. » Je rigole un peu. « Si tu savais, tu peux remercier ma mère. » Je lui souris, et mes frères ainsi que mes parents parlent déjà boulot dans le salon, tandis que Milly prend à nouveau la parole. « J'hésitais à me jeter du balcon pour échapper à cette torture. » Je rigole à nouveau, puis regarde Tonton Worthy qui regarde Milly de manière amusée. « J’aurais fais pareil franchement si tu n’étais pas là ! » Je lance un regard à ma mère, avant de poursuivre. « Remarque, je n’aurais pas été une grande perte pour certain. » Dites sur un ton froid, ma mère me lance un regard froid avant de continuer sa discussion avec ma tante. Quant à moi, je me tourne à nouveau vers Milly. « On s’éloigne un peu dit ? J’comprends rien quand ça parle. » Je penche un peu la tête en souriant, et en essayant en même temps de déchiffrer la conversation qui se déroule à côté de nous. Là bas, ça papote argent, bénéfices, puis anatomie et chirurgie et j’avoue que je n’y comprends pas quand chose. « Ça va sinon ? Mis à part ce dimanche qui s’annonce joyeux et pas du tout ennuyant. »

Avoir Ruby avec elle dans de telles circonstances était salvateur pour Millie, car elle l'empêchait d'avoir à trop mentir à ses parents. Alors que, seule, elle aurait dû faire bonne figure, prétendre que sa future carrière d'avocate était ce qu'elle attendait le plus dans la vie, que le droit était sa passion, comme son père. Mais avec sa cousine, elle pouvait omettre les vérités, sans mentir réellement. Les parents savaient que lorsqu'elles étaient ensemble, il n'était pas possible qu'elles s'intéressent aux conversations professionnelle de la ribambelle d'avocats et de chirurgiens qui s'étaient installée autour de la table de la salle à manger. Ruby, elle avait su imposer ses choix. Et les parents de Millie l'avait accepté, parce qu'elle n'était pas leur fille. Cependant, c'est à leur regards lorsqu'elle leur avait annoncé la nouvelle, pleine d'espoir de pouvoir suivre sa propre voie, elle aussi, qu'elle avait compris que si elle suivait son exemple, elle les décevrait plus que jamais. Alors elle n'avait rien dit. Comme à personne. Millie grimaça aux remarques cinglantes qu'envoyait Ruby à sa mère, et se sentait même désolée de leur relation conflictuelle. La plupart du temps, Millie s'entendait plus que bien avec ses parents et son frère. Mais ça n'était pas le cas pour toutes les branches de la famille. Elle l'attrapa par le bras en souriant. - Oui, merci, lâcha-t-elle dans un soupir faussement exagéré, avant de l'entraîner près de la fenêtre dans le salon, son endroit préféré de toute la maison. Elle s'assit sur la petite banquette, en tailleur, et hocha la tête. - Tu veux dire, à part les dimanches ennuyeux, le stage, les examens qui approchent, les gens qui me tapent sur les nerfs et la pluie qui noie toute la ville ces derniers jours ? Ça va au top. Elle lâcha un petit rire, faisant ensuite la moue. Millie, elle était défaitiste. Un seul petit problème, et tout lui semblait être la fin du monde. - Et toi, alors, dis-moi que t'as des trucs croustillants à raconter, sinon je te préviens, je te jette direct dans la fosse aux lions, plaisanta-t-elle en désignant du doigt la tablée endiablée qui semblait totalement passionnée par les divers sujets de conversation. Son frère, Stan, était plus que dans son élément, au milieu de tout ça, avec sa chemise bien repassée et son dos droit. Elle l'admirait, Millie. L'enviait, même, d'avoir su toujours faire la fierté de leur parents. Elle savait qu'un jour, elle les décevrait. Et elle le redoutait. Mais elle se concentra sur sa cousine qui était bien le rayon de soleil de cette journée maussade.

Après avoir remercié indirectement ma mère, Millie me prend par le bras et m’emmène à  côté de la fenêtre du salon, et je m’assoie près d’elle, sur la petite banquette. « Tu veux dire, à part les dimanches ennuyeux, le stage, les examens qui approchent, les gens qui me tapent sur les nerfs et la pluie qui noie toute la ville ces derniers jours ? Ça va au top » Je la regarde en grimaçant. Si moi, je m’éclate clairement dans les études, je sais pertinemment que ce n’est pas le cas pour Millie. Je sais très bien qu’elle fait du droit pour ses parents, pour la famille et non par choix, et c’est clairement ce qui nous démarque le plus toutes les deux. Moi, j’aime être libre de mes choix, de ne pas avoir à me plier aux envies et désirs d’une personne ou d’un groupe, en l’occurrence ici ma famille. Mais je sais que Millie ne veut pas décevoir ses parents, et je la respecte pour ça. Au fond, nous sommes aussi forte toutes les deux, mais simplement à des degrés différents. Si moi j’ose me détacher des avis des autres, elle arrive à tout faire pour ne pas décevoir les autres, qui est une force importante que je n’ai pas. Mais peut-importe, au fond, on est comme on est. « Et toi, alors, dis-moi que t'as des trucs croustillants à raconter, sinon je te préviens, je te jette direct dans la fosse aux lions » Elle rigole, et je la suis pendant un petit moment lorsqu’elle pointe la fosse aux lions, qui n’est autre que notre chère et adorable famille. Je regarde un instant mes frères, dont l’un me regarde en fronçant les sourcils. Il m’énerve, et il est vraiment bête comme un manche celui là. Puis j’aperçois en même temps ma mère qui me jette de temps à autre des regards soupirants. « Des trucs croustillants, si tu veux, j’ai découvert une nouvelle marque de céréales, je kiff trop le matin. » Je rigole un instant, puis poursuis plus sérieusement. « Je me suis encore engueulée avec ma mère, et je crois que ça devient la routine en ce moment. Je crois que je vais arrêter de lui adresser la parole, elle a toujours un truc à me redire. » Je baisse un peu le regard, montrant ma peine de cette révélation. Clairement, la relation avec ma mère est de plus en plus conflictuelle, et même si je la provoque avec mes mots sans arrêt, au fond de moi, j’en ai marre. « Et un mec m’a dragué toute la semaine ça m’a gonflé. » Je lève les yeux au ciel et soupire. « Enfin en plus, c’est pas trop mon style, t’imagines bien ! » Je souris un peu, histoire de faire oublier les propos que je viens de tenir sur ma mère, puis regarde Millie en penchant un peu la tête.

Millie fixa sa cousine, une moue faussement désolée collée au visage, puis elle ne put retenir plus longtemps son rire qui éclata d'un seul coup. - T'es trop nulle. Ruby savait toujours comment la faire rire, même avec des blagues idiotes et pas du tout drôles, il suffisait qu'elles viennent d'elle pour que Millie rit. Puis elle devint plus sérieuse, affichant un demi-sourire triste. Elle savait qu'elle avait beaucoup de chance d'avoir des parents comme les siens, malgré tout. Ils se disputaient parfois, mais ils étaient soudés et aimants, même s'ils avaient du mal à le montrer, Millie le savait. Ruby elle, n'avait pas cette chance. Pourtant, elle se doutait que ses parents l'aimaient plus que tout au monde, mais Ruby n'avait pas suivi la tradition familiale, et c'était devenu un sujet de dispute récurrent dans cette branche de la famille. Elle posa sa main sur son épaule, une main qui se voulait rassurante. - Dis pas ça. Ça va s'arranger, j'en suis certaine. Elle n'était pas sûre d'y croire, Millie, parce qu'elle était pessimiste dans l'âme, mais elle voulait y croire. Elle détestait voir sa cousine aussi triste, elle détestait les relations conflictuelles qui animaient sa famille, et elle voulait plus que tout que toute cette histoire ne devienne qu'un mauvais souvenir. Il y avait peu de chance pour que ça arrive, mais elle voulait y croire, et aider Ruby à y croire. Elle avait sa part de responsabilité là-dedans, elle aussi. Elle afficha une mine surprise, le sourire presque moqueur aux lèvres, puis lâcha un petit rire. - Effectivement, j'imagine bien. Tu lui as dis, au moins ? Elle appuya son coude contre le rebord de la fenêtre et appuyant sa tête contre sa main. - Le pauvre, tu vas lui briser le cœur quand il apprendra. Elle rit doucement, taquinant sa cousine comme elle aimait tant le faire.

Après ma blague, ma cousine explosa littéralement de rire. « T’es trop nulle » Je continue de rire à mon tour. Je poursuis en parlant de ma mère, et ma cousine se veut rassurante en me posant sa main sur mon épaule. « Dis pas ça. Ça va s'arranger, j'en suis certaine » Je la regarde en souriant. « Oui enfin, j’espère car j’en ai marre là. » Je soupire, mais nous passons à un autre sujet rapidement, celui du garçon qui me drague depuis le début de la semaine. En réalité, il fait bien plus que me draguer puisqu’il cherche à m’embrasser dès que je le croise dans les couloirs de l’université. La situation me fait rire. « Effectivement, j’imagine bien. Tu lui as dis, au moins ? » Ma cousine se pose sur le rebord de la fenêtre, et je rigole en levant les yeux au ciel. « Tu rigoles ! C’est trop drôle de le voir espérer. » Je rigole un peu. « Le pauvre, tu vas lui briser le cœur quand il apprendra » Elle me taquine, et je le sais et cette remarque me fait rire. L’idée même d’imaginer sa tête me fait délirer, mais alors le fait de le savoir briser me le fait d’autant plus. « Tant pis pour lui ! » En plus ce mec, c’est vraiment un vrai coureur de jupon, et je sais très bien qu’il ne souhaite qu’une seule chose : me mettre dans son lit. Si je n’ai jamais testé les relations sexuelles avec les hommes, il en est hors de question, j’aurais clairement l’impression d’être une grosse soumise et j’ai horreur de ça. Je regarde un instant mes frères et mes parents qui discutent, puis me retourne vers Milly tout en regardant à travers la fenêtre. « Et toi alors ? Ton stage, passionnant ? » Sur un ton ironique, je sais très bien que Milly n’y prend pas plaisir. Au fond, le droit, c’était certainement pas sa vocation, mais bon, elle est tellement fidèle à sa famille. Je souris. « Avec Tonton Jeffy en plus, je le supporterais pas à la fois la journée et le soir. » Je rigole un peu, puis regarde ma cousine en attendant sa réponse.

désolé, ma réponse est vraiment nulle

Millie frappa Ruby sur l'épaule, doucement, le visage tordu en un sourire retenu. - T'es cruelle, le pauvre, il va croire qu'il a ses chances. Tu connais pas le dicton fuis-moi je te suis ? Elle secoua doucement la tête en riant. Millie n'avait jamais connu de telle situation. On la draguait rarement, parce qu'on craignait la réputation de ses parents. Pourtant, ils n'étaient pas si exigeants et sévères qu'il y paraissait. Juste peu attentifs. Ils n'avaient jamais tué personne, mais leur regard sur les petits amis de Millie, et celle de son frère, était parfois trop strict, c'était certain. Millie n'avait de toute façon pas de temps à consacrer à une relation amoureuse. Les études étaient sa priorité. Rendre fiers ses parents étaient sa priorité. Elle sourit, haussant les épaules nonchalamment. - Oui, c'est plutôt cool, en fait. Un peu stressant par contre. Un stage dans le cabinet d'avocat de son père signifiait être épiée à chaque heure de la journée, le double de pression sur les épaules, et aucune seconde chance. Elle se rendait compte de l'opportunité, et voulait la vivre convenablement. Elle rit doucement. - C'est pas le même à la maison et au travail, c'est certain. Elle fronça les sourcils et l'imita d'une voix grave : - Millie, as-tu avancé sur le dossier que je t'ai confié ? Elle rit de nouveau, détendue. Son père était loin d'être un monstre, il en était le contraire, même. Mais gérer un cabinet aussi réputé, porter un nom pareil, ça n'était pas de tout repos. C'était aussi pour cela qu'elle n'avait pas le droit à l'erreur. Elle n'avait aucune envie de salir le nom des Steadworthy, ni même de perdre la lueur de fierté qu'elle voyait dans le regard de son père lorsqu'il parlait d'elle. - Heureusement qu'il n'est pas en mode avocat tout le temps, il y aurait de quoi se jeter du balcon.