maybe I'm too busy being yours (addie)

Elle était la gamine – la fille d’à côté. La fille plus jeune, la fille insignifiante. La fille des voisins, la petite sœur des deux jumeaux. Elle comptait pas, elle n’existait pas. Lui en tout cas, Noe, il a pas prêté attention à elle. Pas comme ça. Pas comme elle aurait voulu. Pas comme elle en avait rêvé. Faut dire qu’elle était plus jeune que lui, Addie. Plus jeune, et pas son genre, pas son type. Son type, à Noe, c’était quoi ? C’était les autres, plus âgées, plus jolies, moins discrètes, plus extraverties. Ce n’était surtout pas elle, certainement pas elle. D’ailleurs, Noe, il ne s’est jamais intéressé à Adaline, parce qu’il ne la voyait pas. Elle était plus comme une petite sœur, il était protecteur. Une petite sœur rêveuse, immature, qui ne comprenait pas. Une petite sœur, restée petite malgré le temps. Ce n’est même pas dans la friendzone, qu’elle était, Addie : ouais, c’était bel et bien ça, la sisterzone, et à ses yeux, y’a jamais eu rien de pire. Elle l’a vu, des tonnes de fois, avec des filles – de son âge, évidemment. Jamais, il ne l’a regardée de cette façon si particulière, qu’il avait eue de les regarder elles. Jamais il ne lui a souri, comme il leur a souri. Il la faisait rire tout de même, mais toujours dans cet esprit de grand frère, taquin, l’embêtant. Mais un autre grand frère, elle n’en voulait pas, n’en avait pas besoin – y’avait déjà Reynold et Aiden, et c’était déjà bien suffisant. Alors Addie, du haut de ses douze ans, elle s’est contentée de rêvasser, de garder ses désirs et ses songes pour elle-même. Et puis un jour, elle n’y a plus pensé – peut-être que c’était plus simple, étant donné que Noe, était parti poursuivre ses études ailleurs. Elle a grandi alors Addie, elle a mûri aussi. Elle a oublié ses fantasmes et ses rêveries de préadolescente, elle a découvert peu à peu qu’elle pouvait exister, elle s’est ouverte, elle a trouvé son propre sens. Elle a aimé pour la première fois, elle a changé, perdu toute innocence d’antan, elle est peu à peu devenue femme ; si bien que quand Noe, il est une fois retourné voir ses parents, en croisant Adaline, il en a été tout retourné. Mais Addie, amoureuse d’un autre alors, elle ne l’a plus vu, Noe.

Ç’avait été un retentissant non. Un refus clair et net, des explications précises, et tout de suite. Elle savait ce qu’elle voulait, ou plutôt, elle savait ce qu’elle ne voulait pas, Addie. Isaac, elle l’aimait, mais elle ne voulait pas l’épouser, pas plus qu’elle n’avait voulu sortir avec lui déjà, en premier lieu. Mais il l’avait pas lâchée, il lui avait couru après, et elle avait bien dû admettre qu’il lui plaisait, qu’il l’amusait. Elle avait pas voulu trouver du temps pour lui, de même qu’elle n’avait pas voulu lui laisser de place dans son cœur – pourtant il s’était imposé dans sa vie, sans qu’elle ne puisse rien y faire, Addie. Elle n’a pu que se soumettre, aux volontés de son cœur, elle n’a pu que céder, abandonner. Elle pensait même pas, que ça durerait. Elle voulait pas d’histoire, elle voulait pas s’attacher, à un homme qu’elle risquait de perdre, à un homme qu’elle aurait peur de perdre constamment. Et elle l’a fait quand même, alors elle s’est soumis, elle a laissé tomber, elle s’est laissée allée. Ils ont été heureux, Isaac et Addie, alors c’est peut-être pour ça, qu’il lui a demandé de l’épouser. Parce qu’ils étaient bien ensemble, parce que ça avançait bien, parce que ça durait, en dépit du fait qu’elle n’avait jamais été franchement optimiste à propos de leur histoire. Et c’est peut-être, ce qui a fait que ça fonctionnait si bien – y’avait pas de pression, ils vivaient leur histoire comme ils l’entendaient, ils faisaient bien ce qu’ils voulaient, dans la limite du raisonnable tout du moins. Ils se parlaient souvent, voire même tout le temps, quand il n’était pas là, quand il était loin d’elle. Du mieux qu’elle pouvait, elle ne s’inquiétait pas, elle se focalisait sur son travail, et c’était mieux comme ça. Peut-être que leurs boulots, rendaient les choses plus simples – Isaac il n’était pas souvent là, et elle, elle n’avait pas beaucoup de temps libre, alors l’un dans l’autre, c’est comme s’ils avaient tous les deux été tout le temps, absents. Mais ils s’aimaient quand même, et c’est ce qui était beau, c’était simple mais ils y mettaient leur originalité, c’était très bien comme ça – Addie, elle était très bien comme ça, alors elle a dit non. Lui rabâchant ses peurs constantes, sa première crainte, comme prétexte peut-être, comme excuse. Mais elle était sûre de son choix, Addie. Isaac, il a réessayé une nouvelle fois, ç’a été la même chose, les mêmes paroles maladroitement blessantes, mais Isaac il est resté quand même, c’est vrai qu’ils étaient bien ensemble, que la vie ainsi leur convenait, et il savait qu’il l’aimait quand même – de toute façon pour elle, il aurait tout accepté, tout coupable qu’il se sentait, d’être loin, de lui causer du souci. Et puis y’a eu Ilse, Ilse inattendue, Ilse pas prévue. Adaline d’abord, elle a pas compris. Ce n’est pas qu’elle n’en avait pas voulu, c’est simplement qu’elle ne s’y était pas attendue. Elle avait jamais pris le temps d’y réfléchir, avant ; et puis c’est arrivé comme ça, alors elle s’était dit, pourquoi pas. Ils ont déménagé, quittant leur petit appartement, dans lequel Isaac n’était finalement pas souvent, pour vivre dans une grande maison, avec un beau jardin, pour faire comme les autres finalement – le mariage, en moins. Et puis Ilse est arrivée ; et ç’a peut-être été le plus beau jour de sa vie, à Addie.

Il aurait pu rester, tenter sa chance. Cesser ce jeu, interminable, ce jeu existant depuis des années. Il avait fini par se dire, que c’était fini de faire le con ; que pour une fois il pourrait assumer. Assumer qu’elle lui plaisait, et ce depuis des années. C’était plus une gamine, Addie, et il le savait depuis longtemps – il avait fini par la voir, quand elle ne le voyait plus. Elle avait trouvé quelqu’un d’autre, quand il avait enfin ouvert les yeux ; et plus tard quand ils s’étaient revus, totalement par hasard, c’est lui qui était avec une autre – quand elle n’avait plus personne. Et depuis ça n’avait eu de cesse, de s’inverser, continuellement ; c’était un jeu du chat et la souris avec la vie, quand l’un était libre, l’autre ne l’était plus, c’était un jeu interminable qui ne prendrait visiblement jamais fin. Ils s’étaient recroisés, des tonnes de fois, à croire que leur destin était de sans cesse se rencontrer, sans cesse ressentir de vieux regrets, de vieux rêves jamais osés, jamais réalisés. Ils s’étaient plu mutuellement, mais jamais en même temps, c’était la triste réalité, d'Addie et Noe. Et au moment où il avait fini par se dire, qu’il était temps d’agir, il avait débarqué au moment où Isaac, allait la demander en mariage. Il a pas écouté la réponse, il était déjà parti, parce qu’il en avait assez entendu. « Non. » Ouais, ç’avait été assuré pourtant, peut-être qu’elle l’aimait, Isaac, mais peut-être qu’il aurait pu avoir une chance, Noe, enfin, après tant d’années à se chercher. Mais il ne le saurait jamais, elle non plus, puisque de toute façon, ils ne se sont depuis, jamais revus.

Faut croire que c’était pas suffisant. Qu’Aiden finisse cocu, que Reynold ait un grave accident et perde quelqu’un lui étant cher, qu’Isaac décède dans une autre catastrophe. Faut croire que c’était pas assez, qu’ils avaient pas tous les trois, assez souffert – surtout Reynold. Il a fallu que Sophie, elle s’éteigne aussi – à croire que les Cooper, ils sont maudits. Addie, ça l’a replongée un an plus tôt, au décès d’Isaac. Elle avait eu mal, elle avait souffert, elle lui en avait voulu, comme si c’était lui qui avait décidé de mourir, de les abandonner, Ilse et elle, quand elles avaient cruellement besoin de lui. Ça lui a fait un mal de chien, à Addie, tant et si bien, qu’elle a plus été capable, de s’occuper de sa fille – elle le faisait quand même, seulement elle étouffait, seulement elle avait l’impression que l’amour lui manquait. Elle a été dans l’impasse, elle s’est retrouvée malgré elle à repousser l’enfant, qu’elle aimait pourtant tellement. Elle s’est tout de même vite reprise en main, sans doute grâce à l’aide de ses frères, et puis de Sophie – Addie, elle a toujours pu compter, sur sa famille. Et elle s’est relevée. Pitoyable, coupable, elle n’a depuis eu de cesse, de se reprocher ce qu’elle considère comme un abandon, de sa fille. Elle se pardonne pas ses écarts, sa faiblesse, quand bien même c’était peut-être compréhensible. Elle a eu besoin d’aide, pour s’en sortir, pour s’en relever – et depuis elle est plus forte, elle apprend chaque jour qui passe, à surmonter. C’est pas facile, mais il faut bien, elle tient trop à Ilse, pour se laisser aller. Elle travaille d’arrache-pied, elle ne s’arrête jamais – elle voit de moins en moins sa fille, et elle déteste ça, mais elle n’a pas franchement le choix. Faut bien qu’elles mangent, qu’elles survivent ; alors Addie, elle se débrouille comme elle peut, pour lui donner un avenir, à sa fille. Mais Sophie, c’était pas prévu, Sophie, la vie avait pas le droit. De le leur enlever, de le leur arracher. Maintenant Addie, elle voit son frère en deuil, comme elle un an plutôt. Peut-être qu’il ne pleure jamais, mais c’est précisément ce qui l’inquiète le plus. Alors elle lui offre son appartement, sa chaleur, son amour de sœur, et son piètre canapé. Elle est présente, peut-être étouffante, envahissante – mais au moins, elle est là. Et puis de l’autre côté, y’a Aiden, qu’elle surveille. Toujours, tout le temps. Elle dit rien mais elle observe, qu’il ne fasse pas de conneries – si elle savait, ce qu’il se passe en fait, dans sa vie. Et du mieux qu’elle peut, de temps en temps elle les rassemble. Qu’ils restent unis, comme ils l’ont toujours été. Qu’ils restent une famille, qu’ils se soutiennent en cas de coups durs. Parce qu’elle a plus qu’eux, plus que cette famille, Addie. Y’a qu’à cette famille que son cœur, s’ouvre encore. Elle n’est pas prête à revivre autre chose, elle ne sait même pas si dans le fond, elle le sera un jour, à nouveau. De toute façon Addie, elle ne voit pas les regards qu’on porte sur elle. Elle ne voit plus qu’elle intéresse, qu’elle est vue. Elle ne voit plus rien. Addie, c’est l’intouchable. Parce qu’elle a une fille, encore en bas-âge. Parce qu’elle en a perdu le père, qu’elle est la veuve « pas veuve ». Parce qu’elle est l’indisponible. Mais si elle savait, Addie, comme elle est vue.