brisée

belle comme le jour
toujours. chaque matin c'est le même rituel. pour rendre à son visage sa fraîcheur, ne laissant que le naturel primer au dessus des fards. elphege n'est pas une adepte du ravalement de façade. une femme qui prend soin d'elle, et que l'on remarque. elle a cette candeur dans le regard, que beaucoup admirait. cet éclat se ternit un peu, mais son physique toujours aussi flatteur n'en aura pas fini de faire tourner les têtes. mais sous les draps, quand elphege ne porte que la tenue d'ève on y voit les marques de l'opéra. belles blessures, elles parcourent son corps. des pieds rougis, usés par les pointes et les heures de répétitions. maintenant elle en compte une nouvelle dans sa collection. une rupture du tendon ça ne fait pas de belles choses.

cours toujours
dans un soucis d'endurance et de tenue de route, la brune devint une accro aux drogues de la course. courir, un peu chaque jour. courir demain. courir toujours. elle enfile volontier, ses apparats de course à pied, elle s'enfile entre les couples et les poussettes dans les parcs. des écouteurs pour masquer la vie autour. juste elle et son cœur qui accélère. mais la pauvre elle ne l'entend pas.

je franchirais les mers
mademoiselle warner aimerait bien revoir les reliefs de son berceau. apprécier la beauté de ce langage. revoir sa famille sur l'autre rive. plus tard avait promis sa mère, après l'opéra, après les ballets. elle l'avait écoutée. comme une petite fille bien sage. elle regrette un peu, mais maintenant elle n'en a plus la force. franchir la mer, c'est franchir ce vide qu'elle installe entre elle et son bonheur. un saut trop grand à faire. elphege est fatiguée. elle choisit donc un autre océan pour aller s'échouer.

les cachets de ta douleur
opération, fils et cachets blancs. ça devait être temporaire. ça devait revenir comme avant. complications et nouveaux diagnostics. et bien non. retour à la case départ. retour dans le lit aux draps stériles. encore des pilules, encore des substances incolores qui parcourent tes veines, vitesse lumière. après la tempête elles ont voulu partir mais achille elle était avare de ces petites molécules. elle a sombré de l'autre côté de la barrière. c'est pas comme la clope, ça ne donne aucun style. ça calme simplement sa douleur et parfois ça l'aide à mieux dormir.

le parechoc dans le mur
demoiselle n'aime pas vraiment les voitures. elle conduit très mal, elle n'aime pas ça et ne compte pas s'améliorer. c'est un moyen de transport, une chose qu'elle évite. un carton, un soir en rentrant chez elle l'a bien refroidie. rien de grave, quelques bleus et réparations. un avertissement de la vie. deux ans plus tard une cause totalement différente la priva des hautes scènes.

rougir et battements de cils
amour lui ne l'a pas percée de ses flèches. quand par malheur il se fait voir, elle prend ces teintes pivoines. elle se trahit en rougeurs, parce qu'on ne lui a jamais dit qu'elle était belle. enfin aucun garçon n'a pris le temps d'aller prendre cette rose si fragile. peut-être la croyait elle prise par un prince dansant. non elphege est seule face à son désarroi sentimental. timide à s'en ronger la peau, elle se brise sous les regards fiévreux, sous les échanges enivrant. elle ose à peine offrir ses lèvres alors son cœur!

remet ton costume une dernière fois
new-york et son opéra. il lui fallait ce dernier lever de rideau. une salle vide et de la musique. rien que ça pendant une heure. plutôt trois ou quatre. elle se fait violence. sa cheville qui dit stop, qui se braque sur les temps qui tombent trop vite. elphege veut faire ses adieux. elle en pleure finalement quand enfin elle rend les armes. une dernière fois avant de ne devenir qu'une vague idée de son succès. elphege warner ne sera donc qu'une supernova qui s'éteint dans le système. elle n'est plus l'étoile qu'on guette le soir venu.

le sourire des gamins
parce qu'il faut bien que dans son exil la jeune femme gagne de quoi manger le soir. elle donne des cours. sans aucun mal elle s'est raccroché à une troupe de professeurs. contrairement à elle ils restent passionnés, animés par ce désir de perfection qui fut l'ultime erreur d'elphege. mais pour l'adoucir et sûrement à cause de son exigence, elle ne s'occupe que d'enfants en bas âge. et rien n'est plus pareil. il y a cette flamme qui se rallume en elle. elle en oublie presque ses cachets au fond de sa poche.

plus de coups de téléphone
elle est partie sans rien dire. sans un mot, se réfugiant à l'autre bout du monde. elle y connaissait une partie de sa famille. des cousins, un oncle, peut-être une tante. un prétexte. pour ne plus voir sa mère démunie face à son désespoir à elle. pour ne plus voir son père déçu, même s'il se tue à le cacher. fuir loin et ne revenir que dans dix ans. un mal pour oublier celui qui s'empare de son âme. la bonne solution? peut-être.

dépression orageuse
elle s'anime sous la colère et les larmes mais ce n'est pas elle. ce voile gris devant ces yeux ne lui montre que le monde qu'elle aurait voulu côtoyer. seuls les enfants savent le faire tomber. en dehors de sa salle de danse achille est  morose, persuadée que la vie ne lui donnera plus rien de bon. oh douce enfant comme tu es naïve!