sophie ↠ shooting stars

Depuis qu’elle a appris à lire et à écrire, Sophie trouve dans les mots un calme nécessaire à sa vie. Si on écoute ceux qui l’entourent, la blonde est une peste, et s’acharne sur ses camarades. La vérité est autre, c’est simplement qu’elle refuse de s’encombrer l’esprit avec des mensonges et à bercer d’illusions les autres enfants qui ne l’intéressent guère. En grandissant, elle a commencé à comprendre que parfois ce n’était pas judicieux de dire tout ce qu’elle pense, et s’est donc enfermée dans un certain mutisme, mettant de fait une distance entre elle et le reste du monde, mais au moins ça n’avait plus de conséquence. L’avantage de l’écrit c’est qu’elle a l’occasion de lire et relire ce qu’elle rédige et qu’elle peut se poser toutes les bonnes questions afin de décider de ce qu’elle doit dire, ou non, pour satisfaire ses lecteurs. C’est avec cet état d’esprit qu’elle prend son stylo et écrit à ses parents, qui sont restés à Wellington, à plus de 2500 km de Melbourne. « Chère maman, cher papa. Ici tout va bien, j’ai commencé les leçons de danse la semaine dernière. Les professeurs sont extraordinaires et je travaille beaucoup pour être à la hauteur de ce qu’ils attendent de nous. A l’école aussi tout se passe bien, ce n’est pas très difficile. » Elle réfléchit en mettant le point à la fin de sa phrase. C’est tout ce qu’elle a à raconter. Elle n’est pas très bavarde et ses parents ne comprendraient pas les détails techniques de ses cours de danse qu’elle pourraient leur raconter, alors elle décide de s’arrêter là. Non, elle rajoute une dernière phrase, pas tant qu’elle la pense, mais plutôt parce qu’elle sait que ça leur fera égoïstement plaisir. « Vous me manquez. Je vous embrasse, à bientôt. Sophie.» Et voilà, la petite ballerine est satisfaite, ils devront s’en contenter.

« Chez mes parents… Oui, à Wellington, oui. » Assise en papillon sur le canapé en cuir, les plantes de pieds jointes, la main droite de Sophie joue machinalement avec le fil du téléphone pendant que la gauche tient le combiné près de son oreille. « Ma jambe? » Elle baisse les yeux sur son ventre nouvellement rebondi et laisse ses doigts en tracer délicatement les courbes. « Ecoute ça ira, je crois, pour l’instant je suis encore plâtrée, alors j’évite de le poser par terre. » Elle déteste mentir, encore plus à Julian, mais il ne comprendrait pas. Personne ne comprend, pas même elle. Comment peut-on ignorer, pendant 8 mois, qu’on est enceinte ? Et comme est-il possible que, dès l’instant où on l’apprend, son ventre se gonfle comme un ballon et on ressent une vie s’activer à l’intérieur de soi, sursautant à chaque coup. « Evidemment que je reviens. La première de Giselle c’est le 2 novembre, je serai là et je te volerai la lumière. » Elle sourit en s’imaginant sur scène, dans les bras de son partenaire, et l’espace de quelques secondes, oublie la folie qui a pris possession sa vie. « Non… Non, non non. » Ses yeux s’emplissent de larme mais la blonde interdit à sa voix de flancher. « Julian… Julian écoute-moi. Julian ! Ne les laisse pas m’oublier, tu m’entends !? Dis-leur. Tous les jours, répète leur que c’est moi la meilleure, qu’ils ne peuvent pas me remplacer. » Sophie coince le téléphone entre son oreille et son épaule le temps de détendre ses doigts qu’elle n’avait pas conscience d’avoir crispés avant de reprendre le combiné. « Un mois. Enfin, je serai là dans trois semaines… » Elle s’emporte en répondant aux reproches qui lui sont faits. « Oui, je sais que ça fait long, mais je ne peux pas décider de quand je vais acc… pouvoir reposer le pied par terre. Pour l’instant je suis coincée dans mon canapé, et c’est tout, c’est comme ça. » Elle baisse d’un ton en ajoutant : « Alors en attendant que je revienne, tu vas te battre pour moi. De toutes façons tu sais que c’est dans ton intérêt, c’est avec moi que tu danses le mieux. » Et ça il ne pourra pas le nier. Ils sont faits pour danser ensemble. Séparément ils sont bons, excellents même, mais lorsqu’ils partagent la même scène, c’est de la magie à l’état pur qu’ils créent. « petit test »

Si d’ordinaire Sophie est plutôt douée avec les mots, les phrases et leur sens, voilà plusieurs semaines que sa page demeure plus blanche que les murs de son loft. Assise à même le tapis, les jambes écartées et les coudes posés au sol, entre ses genoux, elle désespère devant cet email qui ne s’écrit pas. En même temps, que voulez-vous qu’elle dise…? « Bonjour Emily, je suis ta mère. Oui, tu sais, celle qui t’a abandonnée à la naissance et qui a manqué les 21 premières années de sa vie parce qu’elle préférait se concentrer sur sa carrière. » Elle soupire. Evidemment que ça ne va pas. Mais ça ne va pas parce quoiqu’elle dise elle ne réussira pas à faire oublier la réalité de son absence, ni à faire comprendre à la jeune femme que non, elle ne regrette pas sa décision. Elle aurait aimé la connaître, c’est certain, mais elle reste persuadée encore aujourd’hui qu’elle a fait le bon choix et que ni l’une ni l’autre n’aurait été heureuse autrement. « Chère Emily, » Non, pas chère, on n’est pas en 1985 Sophie. « Bonjour Emily, » C’est mieux. Et maintenant ? « J’espère que tu vas bien. Je suis heureuse d’avoir réussi à te retrouver, enfin. Ce n’est pas évident à dire alors excuse moi d’avance pour mon manque de tact., mais je pense être ta mère biologique. Je comprendrais si tu refusais d’entendre parler de moi, après toutes ces années, mais j’aimerais beaucoup apprendre à te connaître. » Elle soupire, affligée par son manque d’inspiration, mais ne peut se résoudre à effacer ce qu’elle vient d’écrire, et continue : « Je suis bien consciente que tu ne me dois rien, et c’est pour cela que ce message est le seul que tu recevras de moi, mais j’espère qu’une petite partie de toi a envie de me rencontrer. J’attendrai un signe de ta part, aussi longtemps qu’il le faudra. Je t’embrasse, Sophie. » message envoyé. La danseuse ne prend même pas le temps de relire le mail, de peur de reculer au dernier moment, et préfère l’envoyer. Advienne que pourra.