to be alone with you (reynold)

(I) dans ta vie, tu n’as connu qu’une seule femme. sophie. l’histoire bateau d’un gars timide et maladroit qui tombe sous le charme de cette fille un peu trop populaire pour qu’il ose l’approcher. il t’aura fallu une année pour aller la voir et non sans l’aide d’un loukas, désespéré de voir son meilleur ami craquer pour une fille dont il se contentait de rêver. ensuite, tout s’enchaîna très vite. un mariage à tout juste dix huit ans, histoire de vous dire “je t’aime”, avant que vos chemins ne se séparent pour quelques années. le temps qu’elle parte à auckland pour faire ses études et que toi, tu restes à wellington.
(II) tu n’as toujours rêvé que d’une seule chose dans ta tendre enfance. devenir pompier. dès le jour où tu as foulé l’entrée de la caserne, où travaillait le grand-père de loukas, tu n’as plus rien voulu faire d’autre. les camions te fascinaient, tout comme leurs impressionnants occupants qui, à l’époque, tu donnais l’impression d’être aussi costauds que hulk. et puis, il y avait aussi les uniformes qui étaient cool et leur mascotte, un chien prénommé dobby. alors, c’est ce que tu fis, tu devins pompier.
(III) tu as grandi dans une famille conventionnelle aux revenus moyens, mais suffisants. une famille aux traditions juives bien ancrées et pour laquelle les valeurs familiales étaient importantes. une famille aimante dont tu n’oserais te plaindre, aujourd’hui, et pourtant. le 1er août 1984, tu n’es pas le seul cooper à avoir vu le jour et si au départ, on ne faisait aucune différence entre vous, ce ne fut pas toujours le cas. avec le temps, l’ambition et le charisme d’aiden se mirent à faire de l’ombre au garçon discret et rêveur que tu étais. et gentiment, un fossé commença à se creuser entre deux frères que rien n’aurait dû séparer.
(IV) à présent, on ne peut plus vraiment parler d’un fossé entre vous, les frères cooper. cratère, serait un terme plus juste pour définir votre relation. il ne vous reste donc plus qu’un nom et un visage aux traits pratiquement similaires pour dire de vous que vous êtes de la même famille et même jumeaux. ça et une soeur dont l’amour ne fait pas de distinction. une soeur que vous protégez, que vous couvez, depuis toujours. la seule chose sur quoi vous êtes d’accord, bien que contre toute attente, aiden t’ait choisi toi, pour être le parrain de sa fille.
(V) tu as rendu ta femme heureuse pendant plus de quinze ans. mais étais-tu véritablement heureux, toi? tu étais l’homme que l’on attendait que tu sois. aimant, attentionné et fidèle, tout au long des années. pas une bavure. tu étais le mari parfait dont sophie aimait se vanter parfois, auprès de ses amies dont le mari ne l’était pas. tu aimais voir cette étincelle dans ses yeux, lorsqu’elle te regardait et lorsqu’elle s’éteignait, tu faisais tout ton possible pour la rallumer. tu l’aimais ta femme, c’était évident, mais pas toujours facile. néanmoins, il n’y eut pas un seul obstacle que n’ayez pas réussi à surmonter ensemble. pas même lorsque les médecins vous annoncèrent la stérilité de sophie. certes, ce fut un coup dur pour toi qui rêvait un jour de devenir père, mais tu étais prêt à te faire à l’idée que tu ne le serais jamais, pour elle. par amour.
(VI) il y a un an et demi, alors que tu étais en intervention, tu as été grièvement blessé. brûlé au troisième et quatrième degré sur tout le côté gauche de ton corps, tu as passé plusieurs semaines dans le comas et puis d’autres à souffrir le martyr en attendant que tes brûlures cicatrisent. tu en gardes aujourd’hui d’importantes cicatrices qui s’étendent de ton cou à ta cuisse. mais surtout, tu en fais toujours des cauchemars qui te sortent brusquement de ton sommeil au beau milieu de la nuit, haletant et dégoulinant de transpiration. des cauchemars dans lesquels tu revis inlassablement ce jour où sam, l’un de tes meilleurs amis et coéquipiers, t’as sauvé la vie au prix de la sienne.
(VII) au lycée, tu voulais faire de l’aviron. alors, tes parents t’ont inscrit dans un club et c’est là que tu as fait la connaissance de sam, et un peu plus tard, de norah et du reste des davis. depuis la mort de ton ami, tu te sens coupable d’avoir survécu à l’accident qui lui a coûté la vie. c’est peut-être pour cette raison que tu as l’impression d’être redevable à sa famille. quoi qu’il en soit, tu fais de ton mieux pour veiller sur eux et en particulier sur norah. vous avez tissé un lien fort depuis la disparition de sam et intimement, peut-être bien que tu essayes de le remplacer, en quelque sorte. pas dans son coeur, mais dans tes actes de bienveillances.
(VIII) après quelques mois, tu t’y étais fait à l’idée que tu ne serais jamais père, mais cela ne te rendait pas moins malheureux. évidemment, tu gardais cette tristesse bien enfoui au fond de toi, pour préserver ta femme qui en souffrait tout autant. mais tu l’acceptais. et puis, un jour, sophie est venue vers toi avec une solution. elle voulait que vous fassiez appel à une mère porteuse. ça te paraissait un peu étrange quand même, mais quand tu as vu ce sourire sur ses lèvres, tu as été incapable de le lui retirer. alors, tu as dit oui.
(IX) il y a de cela un mois, ta femme a trouvé la mort dans un triste accident de la route, alors qu’elle rentrait du travail. ça peut paraître fou, mais tu n’as pas versé une seule larme, ni en l’apprenant, ni depuis. le lendemain, tu étais même à la caserne pour assurer ta garde et il a fallu que le chef te renvoie de force chez toi. dans une maison que tu n’as plus le désir d’occuper, à présent. jamais tu n’avais imaginé ce que serait ta vie sans elle. pourquoi faire? tu t’étais toujours dit que si l’un de vous devait mourir avant l’autre, ce serait toi. tu n’étais pas préparé, comme personne ne l’est, certainement. pourtant, tu ne te laisses pas démonter. tu te bats, bien qu’une part de toi souffre atrocement. et tes actes en sont la preuve. tu prends des risques inconsidérés à chacune de tes interventions et mets ta propre vie en danger, l'esprit embrumé par cette envie insatiable d'oublier.
(X) lorsque sophie t’as parlé de bianca, pour porter votre enfant, tu t’es dit qu’elle savait ce qu’elle faisait. alors, tu n’as pas posé de questions. tu la connaissais plutôt bien. c’était une jeune femme charmante et puisque ta femme avait confiance en elle, toi aussi. tu n’as jamais rien su de ce pacte, qu’elles avaient fait quelques années auparavant. peut-être que si tu avais su, tu aurais posé plus de questions. quoi qu’il soit, la meilleure amie de ta femme est aujourd’hui celle qui porte cet enfant que vous aviez tant espéré. mais aujourd’hui, sophie n’est plus là et toi, tu n’as plus l’espoir. tu n’as plus l’envie. cet enfant, vous le vouliez ensemble. tu le voulais pour vous. pour le bonheur de votre mariage. pour ton bonheur. mais sans elle, plus rien de tout cela n’a d’intérêt ou même de sens. aujourd’hui, tu es dans le déni. il y a une jeune femme qui porte ton enfant, quelque part dans cette ville et tu ne l’as pas revu depuis des semaines.