(jenna) dancin' with the devil

"Putain, mais quelle connerie !", ton pas est rapide, tu consultes ta montre d’un mouvement de poignet. Tu es énervée. Énervée parce que tout ne se passe pas comme prévu et que tu détestes au plus haut point ce sentiment d’avoir perdu le contrôle sur quelque chose. Tu détestes encore plus les personnes qui te mettent des plans à la dernière minute. Le photographe qui devait réaliser les clichés de tes nouvelles parures en diamant t’as fait faux bonds. Motif ? Son jet privé ne veut pas décoller. C’est une blague ? Vous êtes à une heure du shooting et personne n’est foutu de te trouver une solution ! C’est toujours toi qui dois te démerder pour te sortir des situations délicates. Faut dire que tu es plutôt doué dans ce domaine et heureusement pour toi. C’est peut-être pour ça qu’aucune de tes assistantes n’est restées plus d’un mois. Aucune d’elles n’a su se démarquer par ses lumières et brillantes idées. A croire que le cliché des assistantes bécaces se révèle vrai. Où vont-ils te les chercher celles-là ? Tu ne payes pas un DRH pour qu’il te ramène des incompétentes. Ça te fait perdre ton temps et ton argent avec.

Te voilà maintenant dans le grand hall de ton affaire, à te creuser les méninges pour trouver une idée, à appeler à droite, à gauche pour apporter une solution à ton problème. Ton cerveau bouillonne, tu es une vraie machine à penser, les idées s’entremêlent dans ta tête et tu finis par remonter au premier où se trouve le service communication et événementiel. A chaque étage - il y en a trois - se trouve une secrétaire. Tu prends les escaliers, pas le temps pour l’ascenseur et tu déboules dans le service pour te jeter sur Talia. Elle tressaute en te voyant, comme un enfant prit en flagrant délit de vol de bonbons dans le placard. "Ma… Madame Hotchkiss que me vaut le plaisir ?", pas le temps pour les commodités, "Talia, vous vous souvenez de ce petit photographe qui avait essayé de nous démarcher pour nous vendre ses services il y a quelques mois de cela ?" "Hm, ce même photographe dont vous aviez dit qu’il n’avait aucun talent ?" "Ah. Ce doit être ça !" "Oui ?" "Pouvez-vous l’appeler et lui dire que son jour de gloire est arrivé ?", tu la vois perplexe, "Eugène nous a planté pour le shooting de ce matin et il est impensable pour moi de le décaler ou de l’annuler. La grande mannequin suédoise Adela Bengtssön s’est déplacée exprès pour ça et je me vois mal lui dire de retourner dans son pays sans faire d’ennuis, vous m’suivez ? Sans parler de la pub qu’elle nous ferait. C’est pourquoi, Talia, je vous demande de contacter ce jeune homme pour lui dire de rappliquer au plus vite dans le studio et fasse ce pour quoi il prétend avoir un quelconque talent." "Bien madame. Il doit être là dans combien de temps ?", tu consultes une nouvelle fois ta montre, "Une petite quarantaine de minutes. Inutile qu’il ramène son matériel, un vrai professionnel s’adapte à ce qu’on lui présente.", tu t’apprêtes à partir et au moment de quitter son champ de vision tu te retournes, "Oh et Talia, ne me décevez pas." tu es bien conscient que la pauvre femme sent au-dessus d’elle l’épée de damoclès et que si jamais personne ne peut assurer le shooting, ça deviendra sa responsabilité, son échec, sa punition.


A la fin de la journée tu es presque satisfaite. Le shooting s’est bien déroulé, il n’y a pas eu de désagrément et la jeune suédoise a même signé pour un nouveau contrat plus tard cette année. Tu te doutais que le photographe de dernière minute ne refuserait pas ton offre. Comment aurait-il pu ? Certains se couperaient le petit doigt pour bosser avec toi et finalement, il n’était pas si miteux que tu le pensais. De toute façon il n’aurait pas approché de près ou de loin l’appareil si tu n’avais pas eu une once de confiance en lui. Tu peux être une véritable vipère blessante quand tu le veux, mais tu sais reconnaître des compétences quand c’est nécessaire. Non pas que tu adores faire des compliments aux autres. Le cirage de pompes c’est très peu pour toi. Tu verras bien comment rendrons les photos, mais à première vu cela te convient, tant que la parure est mise en valeur.

Dans ton bureau tu regardes au travers de la grande baie vitrée. La capitale néo-zélandaise commence peu à peu à plonger dans l’obscurité. Généralement tu restes tard au bureau, bien après que tout le monde soit parti, mais aujourd’hui tu as envie de rentrer tôt. Pas que tu sois attendu, ou peut-être par Gimli qui risque d’avoir les crocs, mais plutôt parce que t’as bien envie de te détendre après les noeuds au cerveau que tu t’es encore fait ce matin. Tu boucles le dernier dossier qu’il te reste à traiter et tu files, prenant cette fois l'ascenseur. Arrivé au rez-de-chaussée tu traverses le hall pour atteindre l'entrée principale où le portier est toujours en poste. Il te salue et te souhaite une belle soirée. En sortant sur la gauche le petit kiosque gourmand où boissons chaudes et douceurs se vendent comme des petits pains est toujours allumé. Tu t’y arrêtes pour te prendre un café au lait avec une pointe de cannelle. C’est un peu ton rituel du soir, bien que certains disent que la caféine avant de dormir ça excite. C’est peut-être vrai, mais certainement pas pour les personnes qui boivent près d’un litre de café par jour. C’est simplement ton petit plaisir du soir. Plaisir qui vient d’être gâché par quelqu’un qui te percute au même moment que tu te recules pour poursuivre ton chemin. Voilà que le quart de ton café au lait se retrouve sur tes chaussures et éclabousse ton tailleur. "Putain mais c’est pas vrai !" tu n’arrives pas à retenir le juron qui sort de ta bouche comme on dit bonjour. Tu examines tes affaires et constates que tu vas devoir aller faire un tour au pressing le lendemain. Comme si tu avais que ça à faire. Elles sont limite foutues, ce genre de matière ça ne pardonne pas. Tu es en rogne. Même le joli minois qui se présente à toi comme étant l’infâme qui a commis cette erreur ne te retire pas ce regard noir dont toi seule a le secret. Après plusieurs excuses embarrassées mais sincères de la part du jeune homme, tu décides de le laisser partir sans faire plus d’histoire, mais tu gardes ce goût amer dans la bouche. Encore un qui appuie le fait que tu n’aimes pas les gens. Il a de la chance que le shooting se soit bien passé ce matin, autrement il n’en serait pas sortie indemne. Tu finis par tourner les talons et appelles ton chauffeur. Tu n’es plus d’humeur à finir la route à pied.