be proud of your pain, for you are stronger than those with none.

« C’est la dernière fois, Wendy. » D’un air faussement menaçant, sa mère levait un doigt strict sous les yeux de sa fille, qui ne pouvait s’empêcher d’afficher un sourire en coin. Il ne fallu pas attendre longtemps pour en voir un autre naitre au coin des lèvres de sa mère. Madame Bishop avait l’habitude des caprices de sa cadette, et, même si elle se promettait toujours de les faire cesser, elle ne pouvait s’empêcher d’être étonnée, voir fière, de la détermination de sa fille. Bien sûr, elle ne voulait pas la voir devenir gâtée, mais elle était déjà persuadée que cela n’arriverait jamais sous sa garde. C’était la dernière fois. Et elle avait raison, ça l’était. Le dernier caprice. Le dernier que Wendy aura jamais fait. Le plus fatal, finalement.
Ce n’était pourtant pas pour grand chose que la jeune adolescente tapait du pieds cette fois. Elle avait eu vent du cadeau de Noël de Mia et, comme toute soeur cadette qui se respectait, elle en était follement jalouse. Elle aussi elle voulait un beau collier, comme celui que Mia allait recevoir. Elle aussi voulait recevoir un tel cadeau. Elle voulait ressembler à sa soeur. Elle faisait tout comme elle. Alors sa mère avait levé les yeux au ciel, sans broncher pour autant. Après tout, ça lui faisait plaisir. Ses deux filles auraient quelque chose de marquant pour Noël, cette année. Un joli collier, attaché à leurs cous, à jamais. C’était leur premier cadeau qui avait tant de valeurs aux yeux de chacune. Elles en connaissaient la signification. Wendy, Mia et leur mère ; on pouvait parler d’un trio. Un amour inébranlable liait les trois, inégalable. Un simple collier ne pouvait suffire à en témoigner, mais c’était déjà un bon début.
C’était la première fois que Wendy pénétrait dans une si belle bijouterie. Tout scintillait, toutes ces pierres, tout cet or, se reflétait avec grâce dans les mêmes yeux marrons qu’elle partageait avec sa mère. C’était un de leur seul trait commun ; Mia avait hérité du reste. Leur ressemblance était frappante, presque blessante pour la cadette. Mais ça, c’était un caprice qu’elle ne pouvait gagner. Alors elle s’installa sur la chaise que sa mère lui présentait, fière, alors qu’une vendeuse disposait une chaine dorée autour de son cou encore très fin. Il était parfait, simple, fin. Il était délicat, et sa mère aimait rappeler à Wendy à quel point il était important d’être délicate dans la vie. D’être brave, mais délicat. C’était ainsi qu’elle avait toujours vu sa mère. Son admiration se lisait dans ses yeux d’enfant. Elles eurent le temps d’échanger un sourire, avant qu’un son strident ne se fasse entendre. L’alarme de la boutique poussa Wendy à se boucher les oreilles de ses mains, tandis que le collier tombait à terre.
Tout se passa très vite. Tout était devenu flou sous ses yeux. Elle se rappelait des mains de sa mère qui l’avaient agrippé pour la pousser sous la table. Elle se souvenait des cris, des hurlements, des ordres. Elle ne voyait pas leurs visages, mais ils ne semblaient pas beaucoup plus vieux que Mia. Elle était là, recroquevillée sous une table, camouflée par la silhouette de sa mère tentant de calmer ces ravisseurs. Ce dont Wendy se souvenait le plus, c’était sa voix. Elle était d’un calme incroyable, d’un ton si posé, si doux. Elle leur parlait comme si ils n’avaient rien fait. Comme si ils ne venaient pas de gâcher leurs vies. Comme si ils ne faisaient rien de mal. Comme si ils étaient des enfants. Et c’était ce qu’ils étaient. Ils ne savaient pas ce qu’ils faisaient. Ils avaient été gagnés par l’appât du gain, l’appât du danger. Ils étaient des gamins, Wendy l’avait compris, bien des années plus tard. Ils avaient voulu faire quelque chose d’important, sans savoir comment faire. Ils avaient voulu écouter Madame Bishop, quand elle leur avait demandé de baisser leurs armes. Ils avaient vraiment voulu écouter. Mais ils avaient aussi eu peur, en attendant les lointaines sirènes annonçant l’arrivée de la police. Et le coup était parti. L’espace d’une seconde, tout avait basculé. L’espace d’une seconde, la gâchette avait été appuyée, par peur. Ils n’avaient pas voulu tirer. C’était ce qu’ils avaient dit, pendant le procès. Ils avaient fait une erreur, une simple et minable erreur. Une erreur qui tacha d’un rouge vif et épais la moquette blanche de la bijouterie, alors que sa mère était tombée sous ses yeux. Prostrée sous la table, Wendy ne pouvait esquisser un geste. Tremblante, elle voyait les yeux de sa mère se fermer doucement, alors que son chemisier blanc se couvrait de rouge. Mais elle ne pouvait pas l'aider, elle ne pouvait pas sortir. Elle lui avait fait promettre. Elle lui avait glisser quelques mots, à l'oreille, dans la tempête qui avait envahi les lieux. Elle voulait rendre sa mère fière. Elle voulait rester brave, et délicate. Comme elle avait pu l’être.