Somehow, I knew that my journey had only just begun.

C'était au matin du 20 Février 1991, que Mildred Wakefield, la soeur aînée de son père, Harry Wakefield était arrivée à l'orphelinat Church of England Children's Society où, sa filleule, Evelyn Cecilia Wakefield avait été prise en charge. Sept jours plutôt, son père et sa mère, Aideen avaient trouvé la mort dans un accident de voiture. Elle n'avait que neuf ans, surveillée par la nourrice qu'elle surnommait affectueusement Nana, dans leur maison de style géorgienne. Elle était entrain de jouer tranquillement à l'exploratrice dans le jardin enneigé de leur demeure de Stratford Upon Avon, berceau de Shakepeare, quand la police avait frappé à la porte. Quand elle avait entendu la sonnette de l'entrée. Evelyn s'était précipitée à l'intérieur, émerveillée par sa découverte et excitée à l'idée de montrer son trésor à ses parents. Puis elle avait vu les uniformes et les visages moroses. Son monde d'enfant s'était mis en pause. Sa nourrice avait tenté alors de lui expliquer que ses parents ne reviendraient pas et après avoir préparé quelques affaires pour sa protégée, elles s'étaient lancées un dernier regard. Nana avait pris sa voiture en pleurs de laisser derrière sa douce Eve, aux mains d'inconnus. Elle avait passé sept jours dans un orphelinat avec peu d'affaires, et pour seuls compagnons, un livre orné d'Alice aux Pays des Merveilles que son père lui avait offert et une peluche que sa mère avait rapiécé plusieurs fois avec des morceaux de tissus de ses robes. Elle ne connaissait que très peu l'unique soeur de son père, d'ailleurs, unique tante qu'elle avait puisque Aideen Wakefield née O'Brien était fille unique. Légalement, Mildred était sa marraine, mais elle vivait aussi plus que convenablement avec un mari travaillant pour le gouvernement britannique et elle était en meilleure position de prendre soin d'un enfant supplémentaire, plutôt que la jeune enfant ne soit envoyée à ses grands-parents maternels à Galway, en Irlande. Evelyn arriva donc à Londres auprès de sa tante, de son oncle et de leurs enfants.


La vie à Londres était bien différente. Evelyn était devenue une sorte de pion que l'on déplace sur un échiquier. Elle souriait quand elle devait sourire, s'adaptait à la vie de ses tuteurs sans pour autant saisir cette vie à pleines mains. Evelyn s'était créé un monde à elle. De part la fortune de sa famille, elle avait sa propre chambre. Au fil des anniversaires et des Noël, elle avait formé une bibliothèque dans laquelle son plus beau trésor restait ce livre orné que son père lui avait offert, mais il y avait aussi des livres sur les légendes celtiques, l'histoire de la Grande Bretagne, de l'Ecosse, des Irlandes. Evelyn s'évadait dans la littérature et l'histoire. Elle passe son temps à lire dans sa chambre, dans le jardin, dans la cours de récréation, les jeux avec ses cousins très peu pour elle. Ils s'entendaient bien, mais elle était certaine qu'ils la trouvaient bizarre, comme un OVNI sorti de nul part. Dans le jardin, son imagination prend toujours le dessus, elle s'invente un monde de fées, parlent avec la nature et y apprend les bienfaits et les dangers. Evelyn avait deux vies, celle qu'elle s'était créée et celle que la société lui imposait. Elle devait attendre sa majorité pour toucher l'héritage, conséquent, que ses parents lui avaient légué. En attendant, elle avait toujours étudié pour être la meilleure à l'école, portant fièrement son uniforme. Après le lycée, où elle avait été diplômée avec les honneurs, Evelyn était entrée à l'université de Londres, Queen Mary où elle fit une licence d'anglais et d'histoire pendant trois ans. Son entrée à l'université marqua alors le début de son indépendance.



Le jour suivant sa remise de diplôme, Evelyn s'installait dans un avion. Pendant quatre ans elle enchaîna les missions humanitaires où elle enseignait l'anglais et le français aux enfants dans le besoin. Chacun de ses voyages étaient entrecoupés de pauses à Londres auprès de son oncle et de sa tante ou dans les grandes capitales d'Europe, mais la vie londonienne ne semblait plus lui convenir lui donnant à chaque fois envie de repartir encore plus loin. Alors après l’Éthiopie, le Kenya, la Namibie, Evelyn avait enchaîné avec le Nepal, le Sri Lanka, le Cambodge puis le Costa Rica et l’Équateur. Evelyn ne s'était jamais sentie aussi vivante, enseignant à des enfants qui s'attachaient à elle, qui lui apportait tellement. Elle en apprenait sur les différentes cultures. Elle s'improvisait infirmière, soeur, mère. Elle vivait du strict minimum, loin du confort de Londres. Le contact qu'Evelyn auprès de ces populations dans le besoin remplissait ce vide en elle qui existait depuis ses neuf ans. Malheureusement, elle avait dû couper court à sa dernière mission, Tante Millie était malade et réclamait la présence de sa filleule. Malgré son besoin d'aventures, de libertés, Evelyn lui devait tellement et ne pouvait pas lui refuser sa présence. Evelyn avait pris son sac et le premier avion pour Londres. Millie était atteinte d'une tumeur au cerveau et d'un cancer au sein métastasé au dernier stade. Auprès d'elle, Evelyn réalisa à quel point elle avait été égoïste ces dernières années. Elle avait pensé à elle, à comment survivre la perte de ses parents à travers ses études et ses missions. Elle avait arrêté de penser à eux, alors que Millie, elle aussi, avait perdu un frère. Elle aurait aimé avoir une meilleure relation avec sa nièce et en voulant se protéger, Evelyn s'était éloignée. Il n'y avait pas de rancœur, juste un peu de regrets qu'elles s'étaient pardonnées sur son lit de mort. Tante Millie lui confia alors une série de journaux intimes de cuir brun rédigée par Harry Wakefield et avant lui Henry Wakefield, son père, sur leur famille, leur histoire, en espérant qu'Evelyn continuerait cette tradition. Evelyn lui en fit la promesse.


Après le décès de Millie, Evelyn décida de se poser pendant un temps. A maintenant 25 ans, la décision de mettre ses aventures de côté s'imposait. La jeune femme n'avait nullement l'intention de rester à Londres. Tout en s'installant au centre-ville d'Oxford, dans un petit appartement, elle prit un poste d'enseignante dans un lycée. Sa vie était devenue calme, seules les photos de ses voyages lui rappelaient sa vie antérieure. Dans son salon, une vingtaine de journaux à la couverture de cuir ornait ses étagères. Evelyn les avait lu, dévoré. Elle avait appris à connaître sa famille alors qu'elle était maintenant la seule héritière Wakefield. Elle commença à écrire les siens, comme elle l'avait promis à sa tante. Entre son travail, sa rédaction, et son implication pour diverses causes, Evelyn pensait avoir peu de temps pour des relations amoureuses. Pourtant, elle finit par rencontrer Andrew, lui aussi professeur. Ils n'avaient pas les mêmes loisirs, les mêmes passions, mais malgré tout ils s'apportaient le confort, le réconfort, la sécurité dont ils avaient besoin. Elle s'était convaincue de ces besoins comme elle s'était construit son monde après le décès de ses parents. Elle avait fini par se convaincre que cette vie là était celle dont elle avait besoin. Ils avaient franchi les étapes en cinq ans de relation : l'appartement, la rencontre avec la belle-famille, les discussions de fiançailles et de mariage, d'avenir. D'ailleurs, après trois ans de vie commune, ses recherches généalogiques et une proposition d'emploi à Edimbourg avait engendré un déménagement. Ils avaient quitté l'Angleterre pour l'Ecosse et Evelyn avait même commencé un Doctorat à l'Université de la ville tout en continuant à enseigner et être engagée dans les causes qu'elle défendait.


L’Écosse avait donné un second souffle à la vie d'Evelyn. Après deux ans, elle avait réalisé que la vie qu'elle menait ne lui convenait pas... Enfin, seulement une partie de sa vie. Elle aimait ses études, elle adorait faire ses recherches, passer du temps à la bibliothèque, elle aimait apprendre, elle aimait aller aux réunions étudiantes et planifier des actions pour promouvoir les organismes et encourager la population à aider ceux qui en avaient le plus besoin. Elle aimait écrire ses journaux sur la famille Wakefield, chercher encore plus d'informations sur ses ancêtres, sur le contexte dans lequel ils avaient vécu. Mais petit à petit, sa relation amoureuse avec Andrew s'essoufflait. Elle s'en voulait de ne pas faire de lui sa priorité, mais ça aurait été se mentir. Elle aurait prétendu être une personne qu'elle n'était pas. Il avait souffert de la rupture, parce que lui l'aimait réellement. Mais Evelyn savait qu'elle ne serait pas heureuse de faire sa vie avec un homme qu'elle n'aimait pas à sa juste valeur. Andrew méritait mieux. Quelques mois plus tard, alors qu'elle distribuait des tracs pour une mission au Ghana où elle se rendrait, retrouvant ainsi sa passion du passé, un écossais typique était venu l'accoster. Il était grand, roux, bâti comme un viking. Il était beau, sans nul doute. Il s'était intéressé à sa mission, lui posant des questions mais Evelyn n'était pas dupe, elle savait qu'il tentait de la draguer et ça n'avait pas manqué puisqu'il lui avait proposé d'aller boire un verre. Evelyn avait vite eu vite fait de le rembarrer. L'écossais n'avait cependant pas abandonné, revenant le lendemain au même endroit. Mais il avait reçu la même réponse. Elle venait de rompre avec Andrew quelques mois plutôt et elle partirait bientôt au Ghana pour trois mois alors se lancer dans une relation n'était clairement pas dans ses projets... Ce fut lors d'une soirée dans un pub avec des collègues de l'Université et où elle recroisa son chemin qu'elle se dit que même pour une nuit, elle aurait peut-être pu craquer. Pourtant il y avait quelque chose d'autre chez lui qu'elle n'arrivait pas à déterminer. Avec quelques verres descendus déjà, elle l'avait laissé venir à elle. Un jeu entre eux s'était installé, il proposait, elle disait non, il n'écoutait pas et le faisait quand même. C'était à la fois charmant et agaçant. Au petit matin, elle s'était réveillée chez elle à l'odeur d'un petit déjeuner. Euan, impossible de faire plus écossais, était resté dormir sur son petit canapé, espérant la charmer avec un petit-déjeuner et qu'elle dirait enfin oui... Impossible de refuser. Il s'était comporté en parfait gentleman et ils étaient repartis chacun de leur côté sans un baiser, lui à l'armée, elle en mission humanitaire. Même si elle était heureuse de repartir après six ans sans voyage, elle avait aussi hâte de retourner à Édimbourg à la fin de sa mission pour retrouver l'écossais qui hantait ses jours et ses nuits.


Cinq ans de bonheur, rythmés par les permissions d'Euan, les missions d'Evelyn, les retrouvailles intenses, passionnées. Les sentiments grandissaient à chaque retour à Édimbourg, à chaque discussion, à chaque repas partagé, à chaque verre de whiskey, à chaque baiser, à chaque caresse. Les séparations étaient difficiles mais compensées par le plaisir qu'elle prenait à ses missions de volontaire, retrouver des enfants dans le besoin, enseigner la langue, partager ses connaissances littéraires. La distance faisait mal mais rien ne la rendait plus heureuse de voir briller les yeux de ces enfants. A trente-trois ans, Evelyn commençait à ressentir le besoin d'être mère elle aussi, en quelque sorte continuer la lignée des Wakefields. Mais avec leur emploi du temps, Euan et Evelyn n'étaient pas en position pour fonder une famille. Malgré tout, Evelyn ressentit le besoin de se poser, d'être à Edimbourg de manière plus régulière, elle accepta alors une position de professeur à l'Université, accueillant Euan quand il revenait de permission, dans l'appartement qu'elle considérait comme le leur. Un matin, le facteur apporta une lettre, Evelyn avait pris sa journée pour préparer l'arrivée d'Euan le jour suivant, mais elle reconnut immédiatement l'écriture. La lettre avouait des choses qu'elle n'avait jamais suspecté. A chaque mot, son coeur se brisait face à la trahison, l'annonce qu'elle avait été trompée ou plutôt qu'elle avait été l'autre femme... Euan était marié, avait une vie en Nouvelle-Zélande et il retournait auprès d'elle. Evelyn ressentit alors un sentiment qu'elle pensait ne jamais ressentir à nouveau, ce sentiment de vide qui lui rappelait la mort de ses parents ; l'abandon. Pendant plusieurs semaines, elle s'était sentie vide, nostalgique, en colère d'avoir consacré cinq ans de sa vie à un homme qui en aimait une autre. Malgré tout, son amour pour lui était incommensurable, beaucoup trop fort pour être jeté aux oubliettes. Puis, elle avait senti ses petites bulles sous son nombril, des indices qui ne trompèrent pas. Dix tests de grossesses plus tard, le résultat était clair : elle était enceinte. Elle avait trouvé une nouvelle raison de vivre. Le 1er Aout 2017, elle put enfin tenir Edan James Wakefield dans ses bras et elle comprit tout le sens de sa vie, faisant une nouvelle promesse : d'aimer et de protéger ce petit être, né d'un amour sincère.
Du moins en ce qui la concernait... Mais même si elle doutait maintenant des mots d'Euan, elle ne doutait pas des siens et ne pouvait pas nier qu'il lui avait fait le plus beau des cadeaux.