black swan (ava)

01. Bartolotti. Ca te fait frissonner dès que tu l’entends, te fous un peu plus en l’air alors que la boule au ventre grandit. Tu le détestes, mépris chancelant d’un patronyme trop signifiant. Et toi, t’es qu’insignifiante, créativité qu’on veut carrée, qu’on veut parfaite. Dictateurs d’une éducation ratée, draconienne, noirceur terrifiante d’un paternel déchu 02. Mais autrefois, il brillait le paternel, de ses doigts qui pianotaient sur les touches brillantes du piano familial, vedette d’un orchestre symphonique, iconique. Jusqu’à l’accident, jusqu’à la main qui tremble, qu’un rêve brisé, fait de mille morceaux éclatés. Le rêve transposé, la môme au talent exploité, mise derrière un piano depuis trop de temps. Toi qui ne bronches pas, la musique qui t’anime, corps qui frissonne à chaque note juste, bercement symphonique des cassettes d’opéra. 03. Et l’Italie tu la quittes, et l’Italie elle te fend le coeur le coeur en deux. Ces contrées foulées, ces rues pavées dans les antiquités qui vont te manquer. Mépris contre ces jours heureux, ce sol européen que tu quittes pour l’ailleurs, l’inconnue du pacifique. Bartolotti envolé pour conquérir des terres neuves, patriarche qui décide sans demander. Qu’une doctrine du silence, tes opales qui croisent celles de ton frère, supplices aphones quand l’avion décolle. Et tu te tais, comme une éternelle rengaine d’encaisser, éponge à sentiments d’un stoïcisme déconcertant. 04. Mardi. Tu détestes les mardis, surement plus que les lundis. Mardi, le jour du repas familial, réunion hypocrite entre tous les membres. Le dos droit collé contre le dossier de la chaise à fixer les aiguilles de ta montre en attendant que les heures défilent. Monstruosité temporelle, secondes qui paraissent minutes, dîner aux allures hautaines qui se veut interminable. Et le schéma n’est qu’identique, éternelle répétition d’une pièce mal jouée. Les couverts claquent la table, les voix se haussent dans les discours moralisateurs. Toujours faire mieux, jamais assez pour eux, Ava l’étoile qui se meurt dans le ciel imparfait. 05. Gratification inattendue, désignée pianiste principale d’un orchestre trop réputée pour tes frêles épaules. Sous hypnose quand tu joues, les partitions qui paraissent trop simples sous tes doigts. Là, assise sur ce banc à ta hauteur, ces violons et ces cordes seulement pour toi, mélodies harmoniques qui résonnent dans les opéras. Star au piano, à peine 20 ans, ces opales indiscrètes et médisantes qui te fixent. Toi qui te tentes insensible, toi qui te veux inhumaine, dénuée de sentiments pour avoir mal, automate rôdé à seulement jouer. 06. Et tu sais pas, et t’en sais rien, les étoiles à tes yeux quand la nuit vient s’immiscer. Les heures au compteur qui défile dans les silences, remise en question perpétuelle quand vient minuit. Pas assez bien, pas assez bonne, les doigts qui tapotent le bois de chêne de la fenêtre, toi qui reluis d’imperfection. Agonisant, étouffant d’être en deçà, de n’être que banalité à leurs yeux. Et si tu renonçais ? Et si tu laissais tout tomber, à faire des valises trop lourdes pour toi, à t’enfuir ailleurs pour le meilleur. Le rêve si alléchant, si détestable, jamais plus la colombe ne sera libre. 07. T’as un frère, partie de ta vie qui n’est pas moindre, pilier dans cette famille d’aliénés. L’élément sain, celui qui a les pieds sur terre et la tête sur les épaules. Ton frère, c’est pas celui qui t’a éduqué non, c’est celui qui t’a appris la vie, le goût de la barbapapa pendant que les doigts étaient collés par les gouffres. Le goût des cocobohemes et l’odeur de la victoire. Portée à bout de bras, le marionnettiste qui se plait à faire jouer indéfiniment son pantin, des heures et des années à oublier la réalité ensemble. 08. T’es passablement maniaque, dérangée du rangement, chaque objet qui doit être à sa place. Une vie sous contrôle, le contrôle sous tes doigts, qu’un désir de perfection héritée de ton père. Trop souvent claquée pour oublier, les marques à ta joue toujours imprimées avec férocité. Séquelles utiles, faiseuses de bonnes manières, violence ironique. 09. Du mal à te suivre, du mal à te comprendre, toi l’indécise d’une vie, mystère que tu préserves avec ardeur autour de tes sentiments. Masque de fer, coeur embetonné dans ses craintes, à battre trop doucement, trop silencieusement. Non, t’es pas de celles qui se donnent, s’abandonnent trop vite, toujours des freins que tu balances au dernier moment. Musique qui va crescendo, le point d’extase jamais atteint. Toujours fuir, jamais entièrement prête pour succomber, pureté d’une âme et d’un corps conservée. 10. Falaise sous tes pieds, sur le point de tomber, le futur chancelant qui tente de décider du sort. Tu ne peux prédire, pronostiquer l’impossible alors que les cartes se mélangent. Un jour qui viendra, de ces mots qui sortiront pour écraser les maux, rébellion d’une âme robotique, emprisonnée.