(lazaro), faith falls hard on our shoulders.

avril 1995, barcelone (espagne).
« On s’en va. » C’était le beau milieu de la nuit, quand leur mère était venue les réveiller, la lumière allumée, elle se dépêchait de remplir une valise qu’elle avait trainée avec elle. Elle l’avait souvent dit, qu’ils allaient partir, à chaque fois que les choses dégénéraient avec leur père, elle disait, qu’il était grand temps de partir, pourtant, elle ne le faisait pas, parce qu’à chaque fois, il hurlait à travers la maison que si elle partait, il la retrouverait, il la tuerait, elle et les enfants. Ce n’était pas difficile de le prendre au pied de la lettre, vu comment il était. Un homme usé par la vie et surtout par l’alcool qu’il n’avait de cesse d’ingurgiter pour oublier un peu la misère dans laquelle il vivait. Ça le rendait colérique, violent et il s’en fichait de savoir sur qui il tapait. Sa femme, leurs enfants ou même le pauvre clébard qui n’avait rien demandé à personne. Il était fou, qu’elle disait leur mère. Lazaro, releva les yeux vers sa sœur cadette qui dormait dans le lit d’à côté, elle avait l’air aussi paumée que lui, voire même plus. « Prenez vos affaires, dépêchez-vous ! » Face aux ordres de leur mère, les deux gamins finirent pas quitter leur lit, avant de ramasser ce qu’ils avaient ici et là – pas grand-chose – dans leur chambre, sans vraiment comprendre ce qui était en train de se passer. Une poignée de minutes plus tard, les valises et les sacs étaient dans la voiture et eux aussi, ils avaient emmené le chien aussi, pas question de laisser la pauvre bête derrière. Les deux gamins n’avaient pas la moindre idée d’où ils allaient, surtout au beau milieu de la nuit. Finalement, leur mère se gara devant une jolie maison, bien plus belle que la leur, eux, ils vivaient dans un taudis, parce qu’ils n’avaient pas les moyens de s’offrir mieux. Ils descendirent en silence de la voiture, pour voir leur mère embrasser et enlacer le type qui attendait là, un grand sourire sur les lèvres. Elle revint rapidement vers eux. « C’est James, un ami à moi, il va nous aider, on va rester avec lui, d’accord ? » Ils n’avaient pas forcément le choix de toute façon, alors, les deux gamins hochèrent la tête en signe d’approbation, de toute façon, ça ne pouvait pas être pire qu’à la maison. « Et si papa nous retrouve ? » Il ne put s’empêcher de poser la question, Lazaro, il avait bien entendu et compris les menaces que le père de famille n’avait de cesse de hurler à leur encontre. « T’inquiète pas, tout va bien se passer, on est en sécurité ici, je vous le promets. » Si elle promettait alors, tout irait bien. Si seulement ça pouvait changer, ils n’en seraient que plus heureux, il fallait que ça change, ils vivaient dans la misère et dans la peur depuis déjà beaucoup trop longtemps.

décembre 2001, wellington (nouvelle-zélande).
Quitter l’Espagne, ça avait peut-être été la meilleure chose à faire, une bonne façon de prendre un nouveau départ, mais ça ne lui réussissait pas forcément à Lazaro. Changer de pays au beau milieu de son adolescence, c’était loin d’être facile. Mais sa mère avait épousé James et James, il venait de Wellington et il avait été grand temps pour lui de rentrer à la maison. Evidemment, qu’ils avaient suivi. Qu’est-ce qu’il leur restait là-bas de toute façon ? A part les souvenirs d’une histoire catastrophique ? Leur mère, elle avait fini par obtenir le divorce et leur père, il avait perdu tous ses droits sur les deux gamins. Ils ne l’avaient plus revu depuis des années et ce n’était pas plus mal comme ça. Mais la Nouvelle Zélande, c’était compliqué. C’était loin de ses racines à Lazaro, c’était même plus la même langue qui était parlée, c’était déstabilisant et puis il était à cet âge, ou c’était facile de décompresser en faisant tout un tas de conneries, en levant les yeux au ciel face à ses parents comme s’ils étaient incapable de comprendre quoi que ce soit. Il n’arrêtait pas d’agir comme ça, comme un gamin qui n’en faisait qu’à sa tête, alors qu’en vérité, il savait bien qu’ils étaient mieux ici. Depuis que James avait épousé leur mère, ils étaient plus heureux, s’il n’arrêtait pas de lui dire haut et fort qu’il n’était pas son père, n’empêche qu’il était ce qui s’en approchait le plus et il était meilleur dans ce rôle que celui avec qui il partageait une partie de ses gênes. James, c’était ce qui leur était arrivé de mieux dans leur vie. Il aimait leur mère, il les aimait eux, comme ses propres enfants et même s’il le savait, il n’arrivait pas à se comporter convenablement. Ça allait s’arranger, qu’il disait le psy qu’on le forçait à voir, il disait qu’il avait besoin de temps pour s’habituer à tous les changements. Mais en attendant, il s’était de nouveau retrouvé au poste de police après avoir été retrouvé dans une bagarre. Il avait encore la tronche bien abîmée, c’était sûr que sa mère allait en faire tout un plat, en attendant sa voix derrière lui qui appelait son nom, indiquant qu’elle venait d’arriver, il ne put d’ailleurs s’empêcher de laisser échapper un soupire las, il le savait déjà : la soirée allait être longue.  

mars 2015, wellington (nouvelle-zélande).
« T’as pas le droit de faire ça Jessica ! » Il avait beau ne pas être un connard comme l’avait été son père avant elle, pour la première fois de sa vie, il avait vraiment envie de frapper sur la nana en face de lui. Mais elle lui avait déjà presque tout pris, pas question qu’elle lui prenne aussi son intégrité. Ils avaient été mariés pendant cinq ans, ils avaient été plutôt heureux, encore plus quand leur fille était venue au monde. Emma, ça avait été sans conteste la plus belle chose qui pouvait lui arriver dans sa vie et du haut de ses quatre ans, elle était sa plus grande fierté. Mais Jessica, elle se permettait de la lui arracher comme si ça n’avait pas d’importance. Elle l’avait trompé, mettant un terme à leur mariage, parce qu’un beau jour, il était rentré un peu plus tôt que prévu du boulot et il l’avait trouvée au lit avec ce type. Un grand avocat. Un grand con ouais. Y avait fort à parier que ce connard était lié à toute l’arnaque qu’avait été ce procès. Il avait demandé le divorce lui évidemment et même vexé par le comportement de son épouse ; ex-épouse, il avait réclamé la garde partagée d’Emma, parce que jamais il n’aurait voulu la séparer de sa mère. Mais, elle, elle avait décidé que s’il voulait la quitter, il devait aussi tracer un trait sur leur fille, comme si c’était de sa faute à lui qu’ils en étaient arrivés là. « D’après le tribunal, si. » Elle haussa les épaules, cet air fier sur le visage, qui rendait tout encore plus compliqué. Il l’avait tellement aimée qu’il n’avait pas pensé pouvoir la détester comme ça un jour. Elle avait gagné ce putain de procès de façon tellement injuste qu’y avait forcément quelque chose qui ne tournait pas rond. Il n’était pas con, il en avait vu d’autres des procès, pour des trucs bien plus graves qu’un divorce, puisqu’il travaillait dans la police et que son job consistait à arrêter des criminels. Alors il savait bien que tout ça, ça avait été perdu d’avance, parce que Jessica et son connard d’amant en avaient décidé ainsi. « J’te laisserai pas t’en tirer comme ça ! » Il allait trouver quelque chose, n’importe quoi, mais il ne pouvait pas rester les bras croisés à la laisser embarquer sa fille ailleurs et laisser ce type l’élever comme s’il était son père. « Fais gaffe, si tu t’approches trop de nous, je ferai demander une injonction de restriction. » Elle était capable de l’obtenir, c’était ça le pire. Il laissa échapper un soupire alors que la jeune femme montait sans sa voiture, elle avait ce sourire arrogant sur les lèvres, auquel il répondit par un regard noir. Il ne l’aurait jamais crue comme ça, comme quoi tout ce mariage était une belle connerie.

juillet 2016, auckland (nouvelle-zélande).
Il était grimpé dans sa voiture à la vitesse de la lumière quand Jessica avait téléphoné, après un an à ne plus avoir le droit de voir sa fille, sans la moindre raison, hormis que son ex-femme était une horrible personne, il avait enfin reçu un coup de téléphone, lui indiquant qu’Emma voulait le voir. Il n’avait pas cherché à comprendre lui, il voulait voir sa fille. Quand il était arrivé à l’adresse qu’elle lui avait donné, après huit heure de route pour rejoindre Auckland, elle lui avait appris qu’Emma, elle avait été diagnostiquée atteinte d’une leucémie, peu de temps après leur divorce et que maintenant, ils avaient bien besoin de faire des tests pour savoir s’il était compatible pour un don de moelle. Soudainement, Jessica s’était souvenu que c’était lui, son père et pas l’autre con avec qui elle s’était barrée. Il la détestait encore plus Jessica, pour lui avoir caché tout ça pendant tout ce temps. Il les avait passé les tests évidemment, maintenant il avait le cul vissé sur un tabouret de bar parce qu’il fallait attendre plusieurs jours pour savoir s’il était compatible ou non. Il n’avait rien de mieux à faire que de trainer au fond d’un bar, ce qu’il faisait presque tous les soirs depuis son divorce et il s’arrangeait pour ne pas rentrer tout seul. Il aurait pu rester sérieux se dire qu’il rencontrerait quelqu’un d’autre, qu’il tomberait amoureux et qu’il oublierait ce que Jessica lui avait fait, mais franchement, l’amour, ça ressemblait juste à une grosse blague pour lui. Il s’était engagé, corps et âme dans une histoire qui l’avait complètement détruit, alors on ne l’y reprendrait pas deux fois. Les histoires courtes, au moins, c’était plus simple à gérer. Sa bière à la main, il soupira, alors qu’il regardait autour de lui, sans savoir ce qu’il cherchait. Il réalisa que bizarrement c’était une personne en particulier qu’il cherchait. Des cheveux blonds, deux yeux bleus, un sourire qu’il n’arrivait pas à oublier. Vivian. Il ne savait pas trop pourquoi elle, il ne s’était vu que quelques fois, rien de sérieux, mais il l’aimait bien. C’était pas ici qu’il allait la trouver de toute façon et y avait peu de chance pour qu’elle se demande où est-ce qu’il était passé lui, de là où elle était. Tant pis, c’était idiot, il ne savait même pas pourquoi il pensait à elle en particulier. Il termina finalement sa bière avant de se relever pour aller vers une fille qui était là, toute seule au comptoir, histoire de lui payer un verre, avec un peu de chance, ils pourraient aller chez elle, ce serait pas mal, parce qu’il n’avait pas encore investi dans une chambre d’hôtel et il n’avait pas franchement envie de passer la nuit dans sa voiture.

avril 2017, wellington (nouvelle-zélande).
« Alors t’en penses quoi de Vivan ? » Il ne put s’empêcher d’avoir un ricanement nerveux. Il était revenu après avoir passé neuf mois à l’autre bout du pays, avec se faire prélever de la moelle osseuse pour sauver la vie de sa fille et une fois que le traitement semblait avoir bien marché, Jessica lui avait demandé de partir aussi vite qu’il était venu. Il venait donc tout juste de s’engager dans une nouvelle poursuite judiciaire, qu’il préparait mieux que la première, pour ne pas se faire avoir par les ruses du nouveau petit-ami de Jessica et il apprenait que son meilleur ami était fiancé à une nana avec qui il avait couché un peu avant de partir. Tout ça en neuf mois. Alors ce qu’il pensait de Vivan ? C’était assez compliqué. Il haussa les épaules. « Elle a l’air … gentille. » Ce fut le seul mot qu’il trouva. Elle était gentille, pour ce qui la connaissait, il aurait pu dire qu’elle était drôle aussi et qu’elle se donnait la peine d’écouter ce que les autres avaient à dire, même quand ils étaient là, un verre à la main à traiter leur ex-femme de tous les noms qu’ils pouvaient trouver. Ou peut-être qu’il aurait dû dire qu’elle était jolie, attirante, carrément sexy, mieux encore : une bonne partenaire au pieux ? Ou juste, malhonnête, parce qu’elle n’avait pas l’intention de dire à son fiancé qu’elle s’était tapé son meilleur ami, plusieurs fois, avant de le rencontrer et qu’il semblait bien qu’elle allait tuer le meilleur ami en question s’il osait ouvrir la bouche. Peut-être que c’était mieux qu’il se taise, dans le fond, ce n’était qu’une histoire de cul, sans importance, il voulait juste que Jeremiah soit heureux. Mais c’était bizarre quand même. « Vous devriez passer un peu plus de temps ensemble, tu seras quand même témoin à notre mariage. » Cette fois, il manqua de s’étrangler avec le contenu de son verre. Il aurait dû s’en douter que ça finirait comme ça cette histoire. Jeremiah, il avait été son témoin à lui, des années plus tôt quand il avait épousé la femme qu’il détestait plus au monde à présent. « Puisque j’ai pas le choix. » Il leva son verre pour trinquer avec son ami, des fiançailles, ça s’arrangeait après tout. « En tant que futur témoin, je peux te poser une question ? » En face de lui, son ami hocha la tête, de toute façon, sa question, il la poserait quoi qu’il arrive. « J’ai attendu presque deux ans avant de demander à Jessica et ça a été la pire erreur de ma vie. Tu connais Vivian depuis quoi, six mois ? T’es sûr de toi ? » Fallait bien que quelqu’un la pose cette question après tout, six mois, c’était vraiment rapide, il haussa les épaules. « Ouais, je suis sûr de moi. » Dans ce cas-là, alors, tant mieux pour lui. « Okay. Félicitations. Puisse ton mariage être plus heureux que le mien. » Il le lui souhaitait vraiment, même si toute cette histoire avec Vivian, ça lui semblait déjà mal barré, y avait cette sensation au fond de ses tripes, qui faisait qu’il savait que c’était pas barré, peut-être qu’à ça, y avait un genre de jalousie mal placée ; Vivian, il l’avait rencontré en premier et voir Jeremiah avec elle, ça ne lui plaisait pas. Cette histoire ne lui plaisait pas, mais fallait croire qu’il n’avait pas d’autre choix que de faire comme si ça lui allait et de fermer sa gueule.