pretty little lamb (tom)

« S’il te plait Tommy. » Tu souffles, fais la moue. Elle est jolie ta mère dans sa robe à fleurs. Tu ne peux pas lui dire non, t’as jamais su. T’es le fils à maman, tout le monde le sait. Inspirant difficilement, tu te lèves et pars fouiller dans ton armoire, dénichant un dessin que t’as fait la semaine dernière. Un dessin de ton frère. Un dessin grisâtre où d’énormes nuages noirs semblent vouloir engloutir celui qui aurait du t’aimer. Celui que t’aurais du admirer. Mais t’as sept ans et ça fait longtemps que t’as compris qu’entre vous, y’aura rien d’autre que de la haine. Il te déteste parce que vos parents semblent t’aimer plus que lui. Tu le détestes parce qu’ils lui accordent plus d’importance qu’à toi, plus de temps. Parce qu’ils sont malheureux à cause de lui. Et que toi, putain, ça te fait chier. « Tu n’as pas un autre dessin mon amour ? » Tu jauges de tes orbes bleues le morceau de papier. T’as peut-être un dessin où la tête de son frère s’est décrochée de son corps. Un autre où il se fait manger par un crocodile. Non, c’est probablement le moins… sanglant. « Non. » Tu boudes puérilement. C’est l’anniversaire de Jesse et tu dois lui offrir un cadeau. Parce que ta mère te l’a demandé. T’as pas souvenir qu’il t’ait offert quoique ce soit. Il est plus du genre à te voler tes cadeaux et toi à détruire les siens. Elle souffle et s’installe à ton bureau avec ton oeuvre d’art horrifique. Tu la regardes, les bras croisés, torse bombé, modifier ton dessin. Elle rajoute un peu de couleur et ose même insérer un putain de coeur. Un coeur bordel ! Elle se tourne vers toi et te tend un crayon. « S’il te plait Tommy. » De mauvaise foi, tu t’empares du feutre rouge et vient gribouiller un joyeux anniversaire jesse sur le papier. Elle te remercie d’un grand sourire et pose un baiser bruyant sur ta joue ronde, y laissant au passage une marque de son rouge-à-lèvres hors de prix. Une heure et demi plus tard, t’as les dents plantées dans le bras de ton frère, tentant probablement de le tuer - ou au moins le lui arracher, ton dessin gisant déchiré sur le carrelage sur le carrelage froid de la grande maison. Tu le détestes, ton frère.

Tu comprends leur douleur mais tu ne la partages pas. L'autre abruti n'a pas donné de nouvelles depuis plusieurs mois. Toi, tu t'inquiètes pas vraiment. T'as toujours rêvé qu'il disparaisse de ta vie. T'es content mais tu fais semblant. Semblant d'aider tes parents à chercher. Semblant de les réconforter. De le pleurer. Mais putain, t'as jamais été aussi heureux de toute ta vie. Pas d'insultes. Pas de remarques désobligeantes. Pas de plans machiavéliques pour t'humilier encore plus. T'as l'impression de revivre sans lui et tu ne comprends pas pourquoi tout le monde panique autant. Qu'il crève dans un caniveau, tu t'en fous. T'as jamais vraiment eu de grand-frère, un étranger qui te brutaliser vivant sous le même toit. Tu te demandes comment vous pouvez partager le même adn. Vous êtes tellement différents. Tu dégringoles les escaliers en chaussettes jusqu'à la cuisine. Ta mère est absorbée par son ipad, probablement en train d'espionner sur facebook les amis de Jesse, en espérant voir apparaitre sa tronche de drogué. T'aimerais lui dire de vérifier aussi la nécrologie, mais t'es trop gentil, tu t'abstiens sagement. « Prend un verre Tommy.» T'obéis et reposes la bouteille de jus d'orange que t'avais déjà dévissé pour t'emparer d'un verre. Tu t’assoies à ses côtés sur l'un tes tabourets en lui souriant. « Des nouvelles ? » Elle soupire et te sourit piteusement. C'est probablement un non. T'hausses les épaules et avales une gorgée de ta boisson. Elle a l'air malheureuse ta mère. T'en veux à Jesse d'être parti comme un voleur. Un petit sms ne lui foulerait pas le poignet. Votre mère, elle vous aime tellement. Tu comprends pas comment il peut se montrer aussi égoïste, narcissique et inhumain. Mais tu ne l'as jamais compris. Son besoin de tout remettre en question. De se rebeller. De s'émanciper. De foutre le bordel dans ta vie.

« T’es un abruti. » Tu t’affales sur la table de la bibliothèque, bousculant la pile de livre sur l’art de la renaissance. Elle s’offusque, marmonne des trucs que t’entends à peine, sur l’exposé que vous devez faire, sur la tonne de boulot, sur ton manque d’implication. Tu la regardes griffonner sur son calepin, les ordi c’est trop mainstream. Les bouquins sont pleins de post-it colorés où tu peux y déchiffrer les lettres rondes de son écriture. Vert. Rose. Jaune. Violet. Vert pour les artistes. Rose pour les oeuvres. Jaune pour le contexte historique. Violet pour les idéologies. « Je comprends pas comment tu peux l’apprécier ! Elle est complètement tarée ! » Elle se relève vivement et tu manques de renverser le gobelet de café en sursautant. Elle jette son stylo bic quatre couleurs avec force, s’enfonçant dans sa chaise en croisant les bras. Tu t’inquiètes de la voir si remonter. Tu ne comprends pas l’animosité qu’elle éprouve envers Elaine. Toi, tu la trouves sympas…et jolie. Vraiment jolie. « Je suis sûre que si elle pouvait, elle te tuerait dans ton sommeil ! T’es vraiment aveugle Tommy ! » Elle se redresse et appuie ses coudes sur la table, vrillant son regard dans le tien, une moue coléreuse sur le visage, un doigt accusateur pointé vers toi. « Tu crois vraiment qu’elles s’intéressent à toi et ton père ? Tu les as bien vu Tommy ? » Tu souffles, perdant tout sourire. Tu sais bien que ta nouvelle belle-mère et sa fille ne plaisent pas à Esther. Tu l’as compris. Mais elle ne les connait pas, toi si. Et t’es persuadé qu’Elaine est quelqu’un de bien. « Elles sont là que pour l’argent de ton père ! Elle se dandine là, dans ses fringues moulantes comme une pute et toi t’es tellement nul que tu baves ! » Elle s’énerve Esther. Sa voix s’élève un peu trop, attirant les regards curieux vers votre table. « Esther, s’il te plait… » Elle devient rouge ta meilleure amie. Elle attrape son sac et le pose violemment sur la table, réveillant Jaimie et Pete qui ronflaient. Elle le remplie de quelques livres dans des gestes violents, et t’as presque l’impression qu’elle va pleurer. « Va te faire foutre Thomas. »

T'as encore du mal à le digérer alors que tu grimpes deux par deux les marches de l'escalier. T'as dédaigné l'ascenseur pour te calmer. Tu ne peux pas croire qu'il soit de retour. T'as cru que ton père se foutait de ta gueule. Jesse, le si imparfait fils. T'as refusé de participer à ce pseudo diner de famille. T'as préféré fuir qu'affronter ta némésis. T'es persuadé qu'il est là pour l'argent de tes parents. Il n'a probablement plus assez de billets pour se payer sa drogue. Au fond, ça te fait rire qu'il revienne en rampant. Le si beau Jesse, si intelligent, si rebelle, vient quémander de l'aide. Tu ricanes tout seul dans le couloir en sortant ton double des clés. Ta mère t'a prévenu qu'elle serait absente. Un week-end tu-ne-sais-où avec ta tante. T'aurais pu demander l'asile à Esther. Mais elle est bizarre en ce moment. Elle... t'effraie. Son aversion pour Elaine. Ta belle-mère. Pete est persuadé qu'elle est maladivement jalouse. Qu'elle a peur que tu l'abandonnes pour la blonde. Alors elle crache son venin. Jaimie argue qu'il ne faut pas que vous vous en mêliez. Que c'est surement un truc de filles. T'attrapes le petit post-it collé sur le frigo et tu souris en le lisant. Hello mon amour. Je t'ai pris en rentrant du boulot ton plat préféré de ton restaurant préféré. Passe un bon week-end mon bébé. P.S : essaie quand même de parler à ton frère. Je t'aime. Tu roules des yeux. T'attrapes un post-it vierge et un marqueur. Lui parler me donne de l'urticaire, je t'aime aussi. Il est trop con pour que t'ailles lui parler. Tu survivrais probablement pas à une rencontre. Putain. Tu vas l'éviter autant que tu peux. Comme la peste. Ou le choléra. Ou la syphilis.