across the water / jethro

i. Jethro a une soeur, Jacintha. (Les Miller aiment les prénoms en J, visiblement.) Elle a un an et demi de moins que lui, et ils ont toujours été très proches. Il y a une petite dizaine d'année, Jacintha est partie terminer ses études d'agronomie à Auckland. Désormais ingénieure dans ce domaine, elle rapidement décidé de tout plaquer pour monter sa propre ferme biologique, dans la périphérie de Wellington.

ii. Jethro a, quant à lui, fait des études de cuisine après le lycée. Il a fait de nombreux stages dans plusieurs restaurants, allant du petit bistro de York au grand hôtel londonien. Il a même fait un stage dans un restaurant français, et dans un restaurant italien. Il a ouvert son propre restaurant a vingt-trois ans, à York. Celui-ci a tout de suite très bien fonctionné, et a été largement adoubé par les critiques culinaires. Il aime dire qu'il fait de la "cuisine gastronomique gourmande". Les plats sont très élaborés, mais ils refusent de servir des assiettes où se chamaillent trois tranches de pommes de terre, deux lamelles de carotte et trois pétales de fleurs. Il aime bien manger, et ne souhaite pas que ses clients repartent en ayant la faim au ventre.

iii. Jethro a une peur bleue de l'avion. L'idée que l'appareil soit porté par rien d'autre que de l'air ne l'a jamais rassuré. Il l'a pris une fois, pour rejoindre Rome depuis Londres, et ça a été un vrai calvaire. Pour le retour, il a préféré les 18 heures de train. Autant dire que le trajet pour venir à Wellington a été très, très long. Ça ne lui a pas déplu pour autant, parce qu'il en a profité pour se retrouver avec lui-même, en tant qu'homme libre. Il a beaucoup lu, a rencontré un tas de personnes sur son chemin, et s'est arrêté dans plusieurs villes pour les visiter.

iv. Jusque là, Jethro n'avait jamais quitté le continent Eurasiatique. Il n'avait d'ailleurs jamais voyagé très loin. Le pays le plus éloigné dans lequel il s'était rendu était la République Tchèque, qu'il avait choisi de visiter alors qu'il était en stage en France.

v. Jethro est un grand curieux, et un amoureux de la culture. Pas très porté sur l'art plastique, il aime tout le reste des arts : la musique, la littérature, le cinéma. Il adore l'histoire, de son propre pays mais aussi celle des autres, ceux dans lesquels ils se rends et ceux dans lesquels il n'ira probablement jamais. Il a aussi toute une collection de Beaux Livres sur les paysage, anglais comme étrangers.

vi. Il a un accent de York très prononcé, et ne s'en excuse pas. Ajoutez à ça les expressions particulières qu'il a apprise à Birmingham, et vous avez un beau mélange. Autant il passe plutôt aperçu en Angleterre, autant à Wellington ça risque de ne pas être la même. Paraîtrait que l'accent British fait craquer ces gentes dames.

vii. À deux mois de fêter ses vingt-six ans, Jethro roulait en pleine campagne, de retour d'un petit producteur qui fournissait son restaurant en légumes frais. Il était allé rendre visite pour voir la façon dont il travaillait, et bâtir une relation de proximité avec ce fournisseur de qualité. Une plaine à perte de vue, pas un chat à l'horizon. Un bruit de moteur au loin, finalement. Une moto qui roule vite, très vite. Bien plus que la vitesse autorisée. Alors qu'elle n'est plus qu'à une cinquantaine de mètres, la moto dévie semble-t-il volontairement. Le motard n'a pas l'air endormi, et la moto file. Cinquante mètres à quatre-vingt-dix kilomètres heure, c'est très peu. À cent-soixante encore moins. Jethro tente de dévier du chemin de la moto, mais il n'a pas le temps. Il arrive seulement à lui présenter la portière passager, au lieu de son propre côté - et c'est la collision.

vii. Il a été en couple avec la même femme pendant près de six ans. Il l'a quittée quelques mois avant l'accident, parce qu'il ne s'entendait plus avec elle. Elle, elle en avait marre de ne pas le voir aussi souvent qu'elle l'aurait souhaité - la restauration était un milieu qui prenait beaucoup de temps, plus encore lorsqu'on se mettait à son compte. Jethro l'avait prévenu, pourtant. Il faisait des efforts, mais ce n'était pas suffisant. Au final, il en a eu marre de ses accusations incessantes, de ses jalousies insoutenables, de son pessimisme à toute épreuve, de son absence d'ambition cruel. Il s'est rendu compte qu'il ne l'aimait plus, et qu'elle lui pourrissait plus la vie qu'autre chose.

viii. L'accident a eu un impact considérable dans la vie de Jethro. Ce grand optimisme à la joie de vivre débordante, qui n'avait jamais causé de mal à qui que ce soit, a vu sa vie se faire écrabouiller du jour au lendemain. Alors qu'il était encore à l'hôpital pour soigner ses blessures (plusieurs contusions, un léger traumatisme crânien ainsi qu'un bras et deux côtes cassés), on lui a appris qu'il était poursuivi pour homicide.

ix. Assigné à résidence pendant six mois, dont cinq de procès. C'était sa voix, contre celle de toute une famille qui venait de perdre leur fils. Les parents de Jethro avait une confiance inébranlable en leur fils, mais ça n'a pas suffit. Les hypothèses du suicide ont été balayées, tout comme celle d'une attaque de la part du motard. C'était la petite moto contre le gros quatre-quatre. Après plusieurs mois de délibération, Jethro a été condamné pour homicide involontaire. Sept ans de prison, 90 000 livres d'amende. Adieu la liberté, adieu le restaurant, adieu la réputation, adieu les économies pour s'acheter une maison.

x. En autres sports comme la course à pieds, la natation ou la randonnée, Jethro fait du basket. Il en a toujours fait pour le simple plaisir et, même s'il n'était pas mauvais, n'a jamais voulu faire de compétitions. Pendant son séjour en prison, il a eu l'occasion d'organiser et d'animer des séances de sport pour les autres détenus. Si certains avaient pour rôle de faire le ménage, lui était chargé de ce genre d'animations. Il a essayé de lancer un club lecture, un jour, mais ça n'a pas vraiment pris. À son arrivée, il avait volontairement refuser de s'occuper de la cuisine, se sachant incapable de verser des grandes barquettes plastiques de produits insipides dans les assiettes des détenus. Il avait peur que ça le dégoûte de la cuisine, la vraie.

xi. Le départ de sa sœur pour la Nouvelle-Zélande l'a beaucoup tracassé. Inséparables, complices, Jethro et Jacintha étaient comme deux meilleurs amis. Il ne la cependant pas retenu parce qu'il savait que c'était le mieux pour elle. Ils n'ont cessé de se faire des conversations visuelles, à raison de plusieurs par semaine. Elle est revenue une fois par an au cours des premières années, puis beaucoup moins quand elle est devenue responsable de sa ferme. Jethro ne lui a pas dit tout de suite qu'il avait eu un accident et qu'il était attaqué en justice, même si sa sœur n'a pas mis longtemps à comprendre que quelque chose ne tournait pas rond. Il ne voulait pas qu'elle s'inquiète et qu'elle revienne en Angleterre juste pour ça, mais elle ne l'a bien sûr pas écouté.

xii. Contre toute attente, Jethro n'en a pas perdu de son positivisme. Il s'est dit qu'après tout, sa peine de prison permettrait à une famille de faire son deuil. Ça lui a permis de faire le deuil, lui aussi. Car s'il n'était pas responsable de la mort de cet homme, c'était bel et bien sur sa voiture qu'il avait foncé. Jethro ne s'est cependant pas laissé abattre, n'ayant de cesse de penser à sa vie après la prison. Il comptait bien reprendre son restaurant, laissé à l'abandon durant toute sa peine. Il a malheureusement bien vite compris, à sa sortie, que ce serait impossible. Dans les rues de York, beaucoup ne le voyaient plus que comme un tueur. Et les autres détournaient le regard, gênés. Après une réduction de peine d'un an pour bonne conduite, Jethro est sorti de la prison à trente-et-un ans bien entamés après un peu plus de cinq ans de prison, pour huit mois de sursis. Interdiction de quitter le territoire. Il a profité de ce temps-là pour organiser son départ à Wellington, pour quitter cette ville qui l'avait injustement condamné et rejoindre sa sœur.

xiii. Jacintha a énormément aidé Jethro dans la recherche d'un local pour son restaurant. Ils ont fait les visites ensemble, par conversation visuelle. Il a jeté son dévolu sur un local dans Te Aro, qu'il a acheté. Son coup de cœur s'est confirmé lorsqu'il s'y est rendu, à son arrivée.

xiv. Jethro a mis les pieds pour la première fois à Wellington au début du mois de janvier. Après un mois de travaux, d'élaboration de la carte, de recrutement de serveurs et commis de cuisine, et d'essais de plats, il a ouvert son restaurant. Il l'a nommé Te Ingarihi, tout bêtement. L'Anglais, autrement dit. Il voulait que ce soit évocateur et, cuisinant des produits typiquement anglais, il ne voyait pas meilleure appellation.

xv. Il loue un bel appartement au centre-ville, complètement rénové. Il se compose d'un grand salon - salle à manger avec cuisine ouverte, d'une suite parentale, d'une chambre et d'une salle de bain - wc. Il ne possède pas de terrasse, mais le salon est bordé de grandes baies-vitrées exposées plein sud, qui illuminent l'appartement. Et puis, il a quand même un petit balcon dans sa chambre.

xvi. Pour son restaurant, il se fournit en fruits et légumes chez sa sœur. Pour le reste, il attache une grande importance à acheter des produits locaux, si possible issus de l'agriculture biologique.

xvii. On aurait pu croire que les 90 000 livres d'amendes qu'il a été obligé de payer l'auraient endetté à vie, mais ce n'est pas le cas. Issu d'une famille plutôt aisée, il n'a jamais eu de problèmes d'argent. Il a systématiquement économisé une partie de ses revenus, et son restaurant ayant très bien fonctionné dès le départ, ses revenus ont été plutôt conséquents. Par ailleurs, ses parents ont toujours investi aux bons endroits, aux bons moments. Résultat, lorsque la sentence est tombée, Jethro a vidé les trois-quart de son épargne - gardant une partie pour son projet néo-zélandais, et ses parents ont complété le reste. Aujourd'hui, il a obtenu un prêt auprès d'une banque de Wellington pour financer son restaurant, et il espère bien le rembourser rapidement. S'il connaît le même succès que celui qu'il avait ouvert à York, il ne devrait pas y avoir de problème.

xviii. Jethro hésite à adopter un chat. Il aimerait vraiment avoir un animal de compagnie, mais un chien demande trop de responsabilités et trop de temps, surtout en appartement, et il ne pourrait pas le balader aussi souvent qu'il en aurait besoin. Il avait songé à un lapin aussi, mais le pauvre ne verrait jamais l'extérieur et c'était hors de question de l'enfermer vingt-quatre sur vingt-quatre dans une cage. Au moins, un chat pourrait vivre sa vie comme bon lui semblerait.

xix. Jethro donne régulièrement de l'argent à des associations caritatives. Il aurait aimé s'impliquer davantage, un débit mensuel étant bien trop impersonnel à son goût, mais il n'a malheureusement pas le temps.

xx. Depuis son arrivée, Jethro est allé à de nombreuses reprises rendre visite à sa sœur et y a fait la connaissance de ses collaborateurs. En dehors de ça, il ne s'est pas encore trop sociabilisé. Il s'est fait la promesse d'emmener ses collègues au bar et de leur offrir une tournée, dès qu'il en aurait l'occasion. Sinon, il passe ses journées entre son appartement et son restaurant. Et dernièrement, le musée s'est ajouté à l'équation. Il s'y rend en milieu d'après-midi, entre la fin du service du midi et le début de celui du soir. Il profite souvent de ce temps libre pour rentrer chez lui et faire une sieste, mais depuis qu'il a rencontré par hasard la belle June Byers, il n'a plus vraiment l'esprit à dormir au milieu de l'après-midi. Il n'arrive pas à sortir de sa tête le doux son de son rire et son regard captivant. Cela faisait bien longtemps qu'une femme ne lui avait pas tapé dans l’œil de cette manière, plus de dix ans au bas mot, et il ne comptait pas passer à côté. Visiblement très occupée, la solution qu'il a trouvé pour avoir la chance de la voir était tout simplement de suivre les visites qu'elle guide au musée Te Papa. La première fois, il a écouté le contenu de la visite avec attention. Les deux autres fois, il s'est contenté de la regarder et de l'écouter, elle. Sur les lèvres de Jethro, un sourire de bonheur. Aussi, un peu charmeur.